Votre congrès, dont la tenue coïncide avec le 150e anniversaire de votre prestigieuse formation politique, nous offre l’occasion de communier avec les dépositaires d’un riche patrimoine de combats, d’idées, de propositions et d’actes qui ont grandement servi la cause du socialisme et de l’internationalisme.
Le thème de vos assises : » De l’actualité des valeurs socialistes (valeurs progressistes et valeurs d’actualité) » illustre bien, d’une part votre attachement aux aspirations premières et constantes de notre doctrine commune et, d’autre part, votre souci d’examiner l’effectivité de ces aspirations à la lumière des questions et défis de l’époque à laquelle nous vivons. Et il convient de vous féliciter pour la pertinence du choix de cette problématique. Car les socialistes et la Gauche, d’une manière générale, cesseraient d’être fidèles aux enseignements et aux principes du socialisme si pour apprécier leurs propres réalisations et leurs contreperformances, ils oubliaient les rôles respectifs de la critique, de l’autocritique du diagnostic et de la prospective.
Par ailleurs, le document sur » L’alliance progressiste » qui propose la construction d’un Réseau de forces progressistes pour le XXIe siècle, est, à nos yeux, une esquisse de termes de références, en vue d’élaborer ensemble un projet qui découle du diagnostic objectif de l’échec cuisant du libéralisme qui a régné sur le monde depuis une trentaine d’années. Une telle initiative reflète les principes essentiels du socialisme et constitue une invitation adressée à tous les acteurs attachés à la promotion de l’humain et des valeurs sociales, à œuvrer ensemble pour un monde de justice, de paix et de solidarité.
Je voudrais, en guise de contribution à la réflexion en cours, vous faire part de quelques éléments d’analyse et d’expérience tirés de la vie sexagénaire (seulement) du Parti Socialiste sénégalais et du Mouvement progressiste sénégalais qui s’est mobilisé, récemment, pour concevoir et produire ce que l’on appelle désormais dans mon pays, « Les conclusions des ASSISES NATIONALES ».
Le Parti Socialiste du Sénégal s’est donné pour doctrine « le socialisme démocratique ». Ainsi que le répétait son prestigieux fondateur, le poète-président Léopold Sédar SENHGOR, l’épithète « démocratique » est aussi importante que le substantif « socialisme ». Voilà pourquoi dans sa volonté d’être un parti de masse et un parti ancré dans la modernité, notre formation politique accordera toujours à la question de la démocratie, la place qui lui revient dans son combat pour l’avènement d’une société nourrie aux valeurs du socialisme.
Passé en l’An 2000 du pouvoir à l’opposition pour douze années consécutives, il participe aujourd’hui à l’exercice du pouvoir dans le cadre d’une coalition qui a élu un nouveau président en mars 2012. Notre expérience entre ces différents repères est significative de notre attachement aux valeurs socialistes et aux valeurs démocratiques, à la nécessaire ouverture aux valeurs progressistes qu’il partage avec des mouvements politiques et sociaux divers, pour l’avènement d’une société sénégalaise plus juste, plus équilibrée, soucieuse d’unité, de paix et de solidarité, dans le respect du pluralisme et de la diversité. Au pouvoir, à deux reprises, notre régime a instauré des gouvernements de « majorité présidentielle élargie ». Dans l’opposition nous avons fait l’expérience de plusieurs coalitions – y compris avec des forces de gauche qui nous avaient combattu. Dans les deux situations, notre démarche a été guidée par l’idée que nous nous faisons du socialisme et de la démocratie. Nous sommes d’avis que la démocratie, tout en demeurant l’expression de la volonté populaire, ne peut plus, à notre époque et avec les nouveaux défis, se réduire à un simple rapport mécanique entre majorité et minorité, que la notion de majorité elle-même s’est complexifiée et apparait de plus en plus comme besoin de ratisser large, pour rassembler le plus grand nombre d’adeptes d’idées allant dans le sens du progrès et de l’émancipation des populations.
Au pouvoir comme dans l’opposition, nous avons tenu à rester fidèles aux valeurs du socialisme, en réitérant contre les thèses du libéralisme, le primat du politique et son double rôle de résolution des urgences (chômage, emploi, éducation) et de vision longue (un nouvel ordre des choses dans la société), pour l’avènement d’une société où la qualité de l’existence humaine serait portée à une échelle plus élevée. Une telle conception du politique et des responsabilités des socialistes ne peut qu’appeler de ses vœux le plus large rassemblement des forces de progrès ayant une base commune d’appréciation des défis de l’heure. La dure réalité de la situation politique, économique et sociale de l’Afrique, a fait de la question de la démocratie, à l’étape actuelle, la question majeure qui conditionne son développement et son émancipation dans tous les domaines. A y regarder de près, donner à la démocratie cette place éminente dans l’étape actuelle du devenir de l’Afrique, voire de l’humanité c’est rester fidèles, comme à l’origine des théories du socialisme, aux valeurs du socialisme.
Les questions permanentes posées à la DÉMOCRATIE sont des questions nécessaires à l’avènement la primauté des politiques publiques du socialisme : comment placer ou replacer l’être humain et le citoyen au cœur du système ? Répondre à une telle question c’est effectivement avoir à l’esprit les aspirations originelles du socialisme et les examiner quotidiennement à la lumière des défis de notre époque qui font surgir des problèmes nouveaux et qui tendent à creuser le fossé entre les attentes du plus grand nombre et les solutions piégées par des intérêts égoïstes de minorités économiques et sociales. Notre expérience est qu’effectivement la construction – jamais achevée – de la démocratie concourt à la réalisation des aspirations du peuple souverain, aspirations qui sont consubstantielles aux valeurs du socialisme. L’édification de la République (laïque et sociale), le respect de la souveraineté du peuple, la primauté des politiques publiques vouées à la satisfaction des besoins élémentaires du plus grand nombre, l’effectivité de la diversité ethnique, religieuse et culturelle, l’attachement à la centralité de l’éthique du bien commun nourrie à la sève de la culture civique, constituent autant d’aspects convergents du socialisme démocratique dont notre parti a fait sa doctrine, depuis les Pères fondateurs conduits par Léopold Sédar SENGHOR, en 1948.
Lorsqu’il s’est agi, après douze ans de dérives autoritaires et de politiques antisociales, de rétablir les équilibres et de fixer un nouveau cap, c’est à la démocratie et aux valeurs de progrès portées par le socialisme, que le Mouvement national dénommé Assises Nationales s’est référé. En effet si cette instance de réflexion et de proposition a correspondu à l’attente des masses populaires, face aux périls d’un régime insouciant et rétrograde, c’est parce qu’elle a su mettre au cœur des Termes de référence qui l’ont guidé, trois axes fondamentaux : une concertation nationale large et inclusive qui a mis en synergie les apports de partis politiques, de mouvements syndicaux, de groupes de la société civile et de personnalités indépendantes, emblématiques ; l’érection de la démocratie participative comme mode de consultation des populations à l’élaboration des solutions à la crise , et aussi comme mode de gouvernance pour l’application des conclusions des Assises Nationales ; enfin l’éthique et la citoyenneté pour l’édification d’une République des valeurs .
Cette expérience et ces idées, dont on attend la mise en œuvre avec l’avènement d’une nouvelle alternance politique à la tête de l’État, n’a pas manqué, dans son état des lieux et son diagnostique de prendre en compte une donnée essentielle : la part considérable prise, sur une période de cinquante ans, par des politiques d’ajustement et les effets pervers de la globalisation dans la marche des pays du Sud notamment, marqués par l’aggravation de la pauvreté et la marginalisation du continent africain . C’est dire que l’examen de la situation de nos pays ne peut faire l’économie d’une évaluation des politiques publiques et d’une connaissance réelle de l’impact des contraintes imposées par une mondialisation économique de type libéral responsable de la crise qui sévit dans le monde et qui confirme l’échec du modèle capitaliste d’organisation de la cité. Les Assises Nationales du Sénégal se sont donc voulues une réponse progressiste au double questionnement du bilan des politiques publiques et du comment faire face aux défis d’un monde déréglé par trente ans d’hégémonie libérale.
La complexité de ce double enjeu, dans le droit fil de ce qui est suggéré par le projet de Réseau des forces progressistes pour le XXIe siècle, recommande de regarder cette crise persistante d’une manière qui nous sorte du piège du paradigme libéral/capitaliste. Un tel modèle ne peut ni être adapté ni être simplement réformé pour répondre aux aspirations des peuples qui souffrent. Il a échoué, il doit être abandonné. Il faut, comme le suggère si pertinemment le philosophe et sociologue Edgar Morin, considérer que nous ne sommes plus seulement devant une crise économique, mais bien plus fondamentalement, face à » une crise de civilisation », parce que multidimensionnelle : économique, politique, social, éthique, culturel. Qu’en conséquence, l’avènement d’un nouvel ordre mondial doit s’exprimer en termes radicaux : » changer la vie ». Ce qui signifie concrètement, construire à la place d’une civilisation vouées aux seuls valeurs d’avoirs matériels, techniques et économiques, une civilisation qui humanise les rapports entre les membres de la société. D’où l’actualité des valeurs socialistes, car les termes nouveaux (avènement d’un nouvel ordre mondial, changer la vie) ne sont rien d’autre que l’expression des aspirations originelles du socialisme, aspirations rendues plus actuelles par le caractère multidimensionnel de la crise et par l’échec du capitaliste à répondre aux attentes d’un monde pris dans le tourbillon incessant de bouleversements économiques et politiques sans précédent. C’est dès ses premiers balbutiements que le socialisme a fait son crédo de changer le paradigme qui régit la vie de la majorité des hommes sur notre Planète.
L’aspiration originelle du socialisme est de donner un autre sens à la vie de millions de gens exploités, sous-éduqués, affamés, jetés les uns contre les autres dans des formes de violence qui n’ont rien à voir avec leurs intérêts réels. « Sens » de la vie s’entend dans la double acception d’orientation et de raison de vivre. Ce sont les valeurs du socialisme qui sont à même de conduire une politique d’humanisation de notre époque et de notre Planète. Il faut pour cela une Coalition Globale des forces de progrès, à la mesure de la globalisation / mondialisation qui a produit des effets pervers. Ce n’est certainement pas hasard si vous avez choisi le terme « Réseau ». Dans le Mouvement mondial progressiste, des initiatives et des actions comme celles de l’Internationale Socialiste, œuvrent pour le rassemblement d’entités les plus profondément ancrées dans les réalités de leurs pays et continents. Le Comité Afrique de l’Internationale socialiste que j’ai eu l’honneur de présider pendant plus d’une quinzaine d’années constitue l’un de ces ruisseaux qui forment ce grand cours d’eau qui ambitionne d’apporter une réponse alternative et salutaire à l’effondrement du modèle capitaliste. Le réseau des forces de progrès qui est proposé correspond bien au besoin de maillage à l’échelle internationale qui fédère les initiatives de même ordre, sur la base d’un programme axé sur les défis du XXème siècle, à la lumière des enseignements tirés de la Crise. Cette Force serait animée par le vecteur constant des valeurs de progrès que ses différentes composantes ont en partage et elle serait riche de l’apport des acteurs qui portent dans les différentes aires culturelles du monde, des expériences susceptibles d’éclairer le cheminement. Voilà pourquoi, réhabiliter le politique et réaffirmer le rôle prospectif et stratégique du politique sont inséparables des aspirations originelles et actuelles du socialisme. Pour changer le paradigme catastrophique qui a mainte fois conduit l’humanité au bord de l’abime, il faut des politiques publiques et des vecteurs de coopération internationale voués à l’homme, pour son épanouissement individuel et collectif.
Seules de telles politiques peuvent, en mettant l’homme et le citoyen au cœur du système, se donner pour leviers d’action humaniste et progressiste le contrôle humain, politique et éthique des moyens extraordinaires que la science, la technique et les échanges produisent pour le bien-être de l’humanité.
C’est pour toutes ces raisons, qu’au nom du Parti Socialiste du Sénégal, je souhaite que ces assises soient le prélude à une ère nouvelle de solidarité entre forces progressistes du monde entier, pour » changer la vie » de millions d’êtres humains qui souffrent et qui aspirent à une vie décente, à la paix, à l’éducation et à la fraternisation sans frontières.
Ousmane Tanor Dieng
150èmeANNIVERSAIRE
S P D
(Leipzig, Allemagne – 22 mai 2013)