Avec les moyens d’analyse dont ils disposent, de jeunes Sénégalais appartenant à des générations différentes tentent de jeter leur regard sur le Sénégal indépendant. Ils sont de 1970, 1980 et de 1990 et apprécient différemment cette indépendance aujourd’hui vieille de cinquante berges. Si pour la génération 1970, le Sénégal a réalisé un grand bon en avant depuis lors, ceux de 1980 dénoncent le néo-colonialisme rampant tandis que leurs cadets des années 1990 semblent réclamer le retour de leur pain-thon au prix de 50 francs.
Le cinquantenaire de l’Indépendance du Sénégal est partagé par plusieurs générations d’hommes et de femmes. Chacune d’elle semble avoir une lecture propre et plus ou moins différente de l’autre. En faisant une analyse objective des points positifs et négatifs engrangés durant ces cinquante dernières années, ces Sénégalais donnent ainsi, à partir de leur environnement immédiat ou de leur vécu quotidien, une lecture riche et variée de tout ce temps traversé par notre pays indépendant. Une analyse, au sortir de laquelle, on note que les plus jeunes (générations 1980 et 1990) semblent être la plus insatisfaites en ce moment. La raison principale, ces jeunes Sénégalais l’expliquent par la conjoncture à laquelle ils font face à l’heure actuelle. Pour eux, même s’ils s’accordent à reconnaître que le régime actuel a fait plusieurs efforts dans le domaine des infrastructures, ils entrevoient l’avenir toujours sous un angle noir. Tout le contraire de leurs aînés de la génération 1970. Certes pour ces derniers, les temps sont durs, mais ils disent avoir goûté aux délices d’un Sénégal meilleur au tout début de l’Alternance. Les difficultés d’aujourd’hui, ils la vivent avec une grande sérénité, tout en espérant des lendemains meilleurs.
Génération 1970 : « un grand bon en avant »
« Le Sénégal a fait un grand bon en avant à tous les niveaux ». Ce point de vue des cinquante ans d’indépendance du Sénégal émane de l’enseignant Oumar Fall. A 40 ans, ce professeur d’Histoire et de Géographie s’appuie sur les domaines prioritaires comme l’Education et la Santé pour dire toute sa satisfaction à la bonne marche du pays en ce moment. Et il rappelle que le Sénégal compte, en ce moment, plusieurs universités éparpillées dans presque toutes les régions du pays. Ce qui, avant, n’était qu’un rêve. Toujours, selon Oumar, aujourd’hui toutes les formations sont disponibles au Sénégal, alors qu’il fallait aller en Europe, aux Etats-Unis ou dans les pays d’Afrique du Nord pour en bénéficier. « C’est un tournant, il faut le reconnaître », insiste-t-il. Le professeur d’Histoire et de Géographie adresse le même satisfecit dans le domaine de la Santé dans lequel il note la création de plusieurs hôpitaux et de centres de Santé. Même s’il reconnaît qu’il y a toujours un manque de personnel de santé et d’infrastructures sanitaires dans les villages les plus reculés.
Avec le développement des infrastructures qu’il qualifie aujourd’hui de « véritable révolution », cet enseignant met tout cela à l’actif de Me Abdoulaye Wade. Aussi, pour lui, le président Wade a été celui qui a donné sens à la coopération Sud-Sud. Il en veut pour preuve le partenariat dynamique que ce dernier a réussi à bâtir entre le Sénégal et l’Inde. « Certes avec son prédécesseur, on a assisté à une ouverture, mais c’était axé surtout sur la coopération Nord-Sud. Wade est venu faire le contraire. En même temps, il a donné à l’agriculture et à l’élevage leurs lettres de noblesse avec la Goana », argue Oumar Fall.
Son collègue Abdel Kader Ndiaye salue pour sa part « la persévérance » de Wade. « C’est la leçon de morale qu’il a su donner à tout le Sénégal. Et cela est valable dans sa conquête du pouvoir politique et sa concrétisation de son projet d’Autoroute à péage », ajoute M. Ndiaye.
A 35 ans, Abdel Kader dit s’être inspiré de cette persévérance de Me Abdoulaye Wade et des valeurs inculquées par son père pour donner sens à sa vie. Pour autant, il qualifie les périodes du naufrage du bateau le « Joola », des inondations dans la banlieue et la disparition de Senghor et de Me Babacar Sèye comme des « moments très difficiles » pour le pays.
Quant au menuisier Malick Seck, il ne semble pas encore tenir le bon bout pour réussir son avenir. A 37 ans, il peine toujours à créer sa propre entreprise, comme le font habituellement les hommes de son métier à un certain niveau d’apprentissage. D’ailleurs, il aime parler de ses deux certificats qu’il a eus, preuves de son aptitude et de ses bonnes dispositions dans le travail. Avec des clients qui font de moins en moins de commande et la forte présence de la boiserie importée sur le marché local, les menuisiers voient leurs chiffres d’affaires baisser. En plus d’être un soutien de famille, Malick peine à s’acheter ses propres médicaments en cas de maladie.
« J’aurais souhaité me marier, mais ce n’est guère possible avec cette conjoncture », se dit-il.
Même s’ils analysent différemment ce cinquantenaire de notre indépendance, la génération 1970 des Oumar, Abdel Kader et Malick, s’accordent sur une chose : le travail est la seule voie de salut pour le Sénégal. Oublier cela revient, selon eux, à sacrifier l’avenir pour longtemps.
Génération 1980 : « nous sommes toujours colonisés »
« Notre liberté est toujours remise en cause. Nous sommes encore colonisés ». Cartable à la main, le jeune El Hadj Ibrahima Gaye critique par-là le fait que les Occidentaux imposent toujours aux ressortissants de leurs ex-colonies le visa avant d’entrer dans leur pays. Mais cet étudiant en Espagnol de l’Université Cheikh Anta Diop n’est pas le seul à tenir ce discours. Il partage la même lecture que Codé, un jeune médaillé de Taekwondo qui dit en avoir fait la preuve à travers les différentes sorties effectuées hors du pays. Pour lui, ce sont des tracasseries à n’en plus finir et des rendez-vous longs visant à dissuader le candidat au voyage qui sont imposés dans les ambassades occidentales. « L’indépendance existe, mais il reste encore beaucoup à faire », ajoute-t-il.
Pour sa part, El Hadj Ibrahima Guèye pense que le Sénégal, comme beaucoup d’autres pays africains, est encore « dépendant » au plan économique. Ce jeune écolier de 23 ans pointe du doigt les institutions de Bretton Woods qui, pense-t-il définissent toujours les politiques économiques de nos Etats. Ce qui est à ses yeux une forme de « néo-colonialisme » longtemps entretenu.
Pourtant, Ibrahima Guèye salue l’émergence d’une élite d’intellectuels qui prend de plus en plus conscience des « réalités ». De même que le développement croissant des infrastructures. Son camarade El Hadj Ibrahima Gaye soutient cette dernière idée sur les infrastructures.
« Il y a des avancées de ce côté-là avec des routes qui ont été multipliées par deux voire par trois. C’est une bonne chose », ajoute El Hadj Ibrahima.
Par contre, cet écolier pense qu’il existe encore bon nombre de problèmes à résoudre sur l’éducation. Il en veut pour preuve la ville de Barcelone qui, selon lui, compte une quinzaine d’universités, alors qu’on n’a pas encore dix universités pour l’ensemble du pays. Au plan économique et social, il note aussi que la corruption et le népotisme gagnent de plus en plus du terrain. Mais le jeune homme ne se prive pas de donner ces deux conseils : la suppression du Sénat et la limitation du nombre des postes ministériels entre 15 et 20.
En cinquante années d’indépendance, la génération 1980 reste à satisfaire au vu des critiques et des récriminations que ces jeunes formulent le plus souvent.
Génération 1990 : « je n’arrive plus à acheter mon pain-thon à 50 francs »
Ils ont à peine 20 ans ces jeunes nés dans les années 1980. De l’indépendance du Sénégal, ils n’ont qu’une vague notion. Mais ils puisent de leur vécu de tous les jours pour essayer de donner leur propre lecture de l’évolution du Sénégal. A 16 ans, Doudou Mour Doumbia donne comme référence l’année de naissance de sa mère, en 1960. « C’est pour moi un double anniversaire ce cinquantenaire donc. Pour célébrer celui de ma mère et celui de mon pays », estime le jeune garçon. Pourtant, Doudou signale que la vie est chère en ce moment. Lui qui accompagne toutes les fins du mois son père acheter les ravitaillements connaît les prix réels du riz, de l’huile et de la tomate au magasin.
« Mon père donne beaucoup pour la nourriture et trouve parfois des difficultés à donner la dépense quotidienne », révèle-t-il. Joseph, quant à lui, illustre la vie chère par cette formule : « quand j’avais dix ans, je pouvais acheter avec 50 francs du pain et du thon, maintenant ce n’est plus possible avec la même somme ».
Dans son école, Diouma, 16 ans, fait partie des élèves qu’on nomme les « cas sociaux ». Selon elle, c’est parce que son papa ne vit plus et que sa mère se débat pour les faire vivre, elle et ses frères, qu’elle éprouve bien des difficultés à payer ses études. Elle ne semble guère s’épanouir comme les jeunes de son âge.
Joseph, par contre, même s’il tient toujours à son pain-thon à 50 francs, note quand même des « avancées remarquables » du Sénégal dans le domaine des nouvelles technologies.
Maguette NDONG
lesoleil.sn