A l’approche de la Mauritanie, le vent se fait de plus en plus sec. Un souffle chaud venu du désert. Dernière « oasis » ou mirage avant les vastes étendues de sable, la ville de Richard Toll alanguie au bord du fleuve Sénégal. Petite cité banale de 50 000 âmes qui cache un trésor, la folie du Baron Roger. Un château bâti en pleine brousse. Témoin des rêves mégalomanes des colons français.
Il faut s’y reprendre à plus d’une fois pour trouver la bonne direction. Beaucoup d’habitants de la ville ignorent son existence. Comme s’ils n’étaient pas concernés par les folies des toubabs (les blancs en wolof). Un château ? Ici ? Des visages énigmatiques répondent à cette question. Comme si c’était totalement impossible. Pourtant, le château existe bel et bien. Le baron Roger, gouverneur de l’Afrique occidentale française au début du XIXème siècle, l’a fait construire pour disposer d’une résidence secondaire, à proximité de Saint-Louis, la capitale de l’époque.
Une folie de style français, sans doute bâtie par nostalgie de son pays d’origine. Cette « œuvre » a même indirectement donné son nom à la ville. Car c’est bien dans ce château qu’un botaniste français du nom de Richard se livrait à la même époque à des recherches de nouvelles essences. Le mot Toll signifie jardin en wolof (la langue la plus utilisée au Sénégal). Ainsi est née la ville de Richard Toll, le jardin de Richard.
Avant d’atteindre la folie, le visiteur traverse des allées ombragées. De vastes arbres, bien souvent des essences européennes, épanchés sur les ruisseaux où des lavandières s’affairent. Dès l’entrée du château le « maître des lieux » vient m’accueillir. Il était couché sur une natte, près d’une bouilloire à thé et d’un poste de radio. Dans l’attente d’un visiteur à guider dans le château. Avec d’autres sans emploi, Hassan l’habite depuis si longtemps qu’il a fini par s’en sentir un peu propriétaire. Encore plus aujourd’hui ; en ce jour de fête, il est le seul maître des lieux. Unique habitant du château.
Il propose d’ailleurs le tour du propriétaire à tous les visiteurs. D’emblée, il annonce son nom dont il est particulièrement fier : Hassan Diop. Celui d’un journaliste de RFI, d’origine sénégalaise, l’une des voix les plus célèbres d’Afrique francophone. « C’est mon homonyme » explique-t-il avec délice avant de faire visiter la chambre où le baron Roger avait l’habitude de se prélasser. Les Français sont partis depuis belle lurette. Mais les chambres ont trouvé rapidement preneur. Hassan Diop et ses amis ont pris le relais des nobles français.
Les squatteurs se sont rendus indispensables puisqu’ils connaissent l’histoire du château sur le bout des doigts et éclairent à merveille les visiteurs de passage. Aucun risque d’expulsion.
Pas besoin de Don Quichotte ou de DAL (Droit au logement) pour venir à leur rescousse. « Il est vrai que l’expulsion ne fait pas partie de notre culture » affirme un Sénégalais qui visite lui aussi la folie. Tandis que les chèvres escaladent des murets qui s’écroulent autour du château. « Une réhabilitation va bientôt commencer » explique Hassan qui ne sait trop s’il faut croire à ce projet maintes fois annoncé et tant de fois repoussé.
Il est vrai que la folie est en piètre état. Mangée peu à peu par la végétation vorace. Mais sa décrépitude fait aussi partie de son charme. Comme si la nature avait pris le pas sur la mégalomanie des hommes. De cette folie coloniale reste juste un château hanté. Un petit morceau d’Ecosse entre Sénégal et Mauritanie. Et un paradis ombragé pour les chèvres et les hommes traqués par le soleil de plomb.
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