De ses débuts dans la lutte à son dernier combat, Gris Bordeaux, le troisiéme Tigre de Fass a, le temps de l’émission « Ndékili » de Sud FM d’hier, mercredi, passé en revue les moments forts de sa carrière de lutteur. Dans cet entretien à bâton rompu, il ne manque pas d’asséner ses vérités sur le débat agité à propos du titre de « Tigre de Fass », sur la marche de l’arène et insistant surtout sur l’«injustice » vécue lors de son dernier combat face à Modou Lô.
Qu’est ce qui vous a poussé à pratiquer la lutte ?
Tapha Guéye était mon idole et il m’a inspiré. J’accompagnais au début Rock Mbalax, mon voisin de la rue 23 qui était de l’écurie de Médina avec Toubabou Dior.
D’où vous est venu le surnom de Gris Bordeaux ?
C’est un surnom qui m’a été donné à l’âge de 5 ans par un oncle à cause de la noirceur de ma peau.
Vous êtes reconnu comme un champion, quels sont les moments les plus difficiles dans votre carrière?
Les deux défaites successives contre Baboye puis contre Yékini, ont été des moments très difficiles. Parce que je revenais de deux ans sans combat. D’autant que j’ai été battu sur quatre appuis. Cela fait mal d’être battu sur une glissade. Je me suis interrogé sur ce qui n’allait pas.
Est-ce qu’il n’y a pas là un manque d’encadrement à ce niveau, quand on sait que votre encadrement aurait pu mesurer les risques ?
Il y avait un trop plein de confiance. Cela montre que je ne suis pas un défenseur mais un attaquant.
Quels ont été les reproches de votre entourage ?
J’ai eu le soutien familial et c’était le plus important. On ne peut pas toujours prendre en compte tous les critiques. Je sais que je pratique un métier difficile. Ceux qui doivent vous consoler, ce sont eux qui vous critiquent sévèrement. Dans la presse, certains en profitent pour vous bombarder d’articles, mais je suis quelqu’un de tolérant. J’ai vécu des périodes difficiles et je le gère. Je suis un champion et non un phénomène qui, en cas de contreperformance, ne sait pas souvent comment rebondir. Un phénomène, c’est un lutteur qui n’use pas souvent des moyens pour être performant. Il ne peut pas tolérer d’avoir des défaites et se relever.
Est-ce le cas d’un lutteur comme Yékini qui a été battu après une bonne série de victoires ? Si vous aviez à le conseiller que lui diriez- vous en ce moment?
Je ne ne peux pas conseiller un lutteur comme Yékini. Je n’ai ni son parcours ni sa carrière. Mais nul n’est parfait dans la vie. C’est un super champion et j’espère qu’il est en train de revoir avec son staff les moyens de rebondir.
Quels sont les moments qui vous ont procuré de la joie dans l’arène?
Ma famille m’a beaucoup soutenu dans les moments difficiles. Je ne peux pas oublier mon premier succès face à Eumeu Séne. De même que face à Bombardier. J’avais essuyé toutes sortes de critiques. On m’a traité de fou, de suicidaire mais j’ai cru en moi. Mon staff ne savait plus quelle stratégie adopter et comment aborder le combat. Mais j’avais la détermination et la fougue pour m’imposer. C’est un combat qui a fait bouger le Sénégal et m’a relancé.
Quelles sont vos relations avec les promoteurs et comment ces derniers procèdent–t-ils pour décrocher vos affiches ?
Abdoulaye Mbengue est à la fois mon tuteur et mon homme de confiance. Je prie pour lui ainsi que tous les membres de l’écurie de Fass en commençant par Abass Ndoye, Moustapha Guéye, Mbaye Gueye, Malick Gueye, Moussa Gningue, Monsieur Bâ des Parcelles assainies. Ils travaillent d’arrache pied et avec détermination pour les lutteurs Fassois.
Quel est votre plus grand et le plus bas cachet dans votre carrière ?
Mon cachet le plus élevé a été de 100 millions de F Cfa. C’était lors de mon dernier combat face à Modou Lô. Mon premier cachet s’élève à 30 mille FCfa et c’était en 1998. Seul le travail paie.
Votre écurie figure parmi les plus organisées et les plus influentes dans la lutte. Elle vous a fait confiance en vous investissant comme 3e Tigre de Fass. Qu’est ce que vous avez ressenti lorsqu’on vous a intronisé ?
L’intronisation a été belle. C’était un symbole. Mais la confiance était là et c’était le plus important. On a beaucoup polémiqué sur ce titre et cela m’a un moment dérangé. C’est comme si on voulait dire que je dormais et que je n’avais rien fait pour le mériter. On a épilogué là-dessus comme si c’était un cadeau qu’on me faisait.
C’est d’ailleurs un thème d’actualité car cela a été agité après la dernière victoire de Lac Rose. Certains l’ont désigné comme le Tigre de Fass. Comment est-ce possible ?
Je suis le seul Tigre de Fass à être intronisé d’une manière solennelle. Je suis devenu Tigre de Fass avant même que l’on ne m’intronise. C’est une polémique qui a été alimentée par la presse. Mbaye Guèye a pourtant été clair et je l’ai lu attentivement. Il a dit que Lac Rose est un futur Tigre de Fass. C’est donc quelque chose à venir. Cela est différent de « Fass veut enterrer Gris Bordeaux ». On mélange souvent les choses.
Quelle a été votre réaction ?
J’ai appelé Mbaye Gueye pour lui signifier que ses propos sont véridiques et n’ont rien à voir avec ce que l’on a titré. Pourquoi veut-t-on m’enterrer alors que je ne suis pas mort ?
Des promoteurs qui déclarent 20 millions alors qu’ils ont payé un cachet de 100 millions. Est-ce une réalité que vous avez vécue?
C’est mon homme de confiance, mon grand, Abdoulaye Mbengue, qui négocie et gère mes combats. Il est mon intermédiaire avec les promoteurs. J’ai des amis parmi les promoteurs. Gaston est parmi ceux-là. Il peut être en brouille avec tout le monde, mais c’est un homme de principe et un businessman qui va jusqu’au bout. Aziz Ndiaye, El hadji Ndiaye le sont, ainsi que Luc Nicolai.
Quelle est la place que vous accordez au mystique ?
Cela fait partie intégrante de la lutte. Nous sommes des Africains. C’est l’arsenal mystique des lutteurs qui est visible mais on ne parle pas de ceux qui disposent des laboratoires chez eux. Les lutteurs utilisent l’arsenal mystique surtout pour se protéger.
Est-ce que Gris Bordeaux a déjà été atteint sur le plan mystique ?
Je ne l’ai jamais senti. C’est une sensation personnelle. Si les gens qui vous connaissent ne retrouvent pas la rage qui vous habitait lors de vos combats, ils ont bien des raisons de se poser des questions. On ne peut pas l’expliquer parce qu’on peut croire ou ne pas croire. Lors de mon combat face à Modou Lô, j’ai senti quelque chose que je n’ai jamais senti auparavant. Cela m’a empêché de faire ce que j’avais envie de faire. Cela ne doit pas toutefois servir de prétexte pour tous les lutteurs battus.
Mais on vous a vu venir avec une case. Vous avez pourtant déployé les grands moyens. Est-ce que vous n’êtes pas souvent dupés par les marabouts?
C’était une recommandation de mes parents Safen. Ils avaient juré et m’ont assuré que je ne connaîtrais pas de chute. Mais, ils ont ajouté qu’il y avait beaucoup d’actes de trahison autour de mon combat. En effet, il ya eu beaucoup d’injustices autour de mon dernier combat. L’issue du combat m’a fait mal. On n’avait pas respecté les normes et le règlement connus par tous les lutteurs. Mon adversaire m’a lancé des projectiles, mais on ne l’a nullement averti. On lui donné la victoire disant que j’ai eu plus d’avertissements. L’arbitre se devait de donner un avertissement à mon adversaire avant le début du combat pour m’avoir jeté un citron. C’est une injustice. J’ai récolté un avertissement alors que j’avais fini ma préparation 20 minutes avant mon adversaire. Son corps était aussi visqueux. C’est une sorte de tricherie qui figure dans le règlement. On m’a donné un 4e avertissement pour avoir envoyé un coup irrégulier au coup au niveau de la nuque. J’ai perdu le combat par cumul de quatre avertissements injustifiés.
Est-ce que vous avez fait appel ?
Au niveau de Fass on a fait un recours qui a été rejeté. On a donné les faits. Sur le projectile lancé par Modou Lô, ils ont avancé que je n’avais pas été touché. Mais l’intention vaut l’acte. C’est pourtant interdit. Il y a pourtant des images qui confirment tout ces faits. On a retenu 3 millions de F Cfa sur mon cachet pour ensuite être plus clément envers mon adversaire. Je laisse tout entre les mains de Dieu.
Etes-vous prêt pour un autre combat contre Modou Lô ?
Pour le moment, ce n’est pas une actualité, parce qu’il prépare son combat face à Eumeu Séne. C’est possible mais j’aurais aimé croisé d’autres lutteurs.
Vous vous êtes retrouvés autour de Mohamed NdaoTyson pour créer le groupe de Vip et défendre les cachets que les promoteurs ont voulu revoir…
Nous sommes des lutteurs en activité et il faut surseoir nos activités jusqu’à la fin de la saison. La décision des promoteurs de limiter les cachets a coïncidé avec la mise en place de cette structure. Nous sommes aujourd’hui bien placés pour défendre nos propres intérêts.
On dit qu’il y a toujours des suspicions entre lutteurs et souvent même un manque de confiance. Qu’est ce que vous en pensez ?
Vous pouvez être des adversaires et avoir les mêmes convergences de vue. Mais il n’est pas rare de trouver une certaine complicité.
Comment appréciez-vous la décision de l’Etat de sortir les lutteurs des écoles où ils s’entraînent ?
On parle d’influence sur les élèves, mais il faut savoir qu’elle est liée à l’évolution des médias. Il n’existait pas beaucoup de télévisions, il y a dix ans. Il y avait qu’une seule émission, «Sport de Chez nous ». Aujourd’hui, on note beaucoup d’émissions et de journaux de lutte qui s’arrachent. L’Etat doit appuyer la lutte qui est un facteur de développement. L’influence sur les élèves est vraiment minime.
Pourquoi vous n’avez pas cherché à vous procurer un terrain pour vos entraînements ?
Si vous percevez un cachet de 100 millions, vous dégagez les frais ou encore le pourcentage que vous laissez pour l’écurie, il ne vous reste pas grand-chose. Ce que l’on donne pour l’écurie est normal par ce qu’elle a investi sur vous. Il ne faut pas oublier que d’autres dépendent également de vous.
Est-ce vous avez actuellement des propositions de combats ?
On est en train de démarcher mon combat avec Tyson ou Lac de Guiers 2. El Hadji Ndiaye est en contact avec mon encadrement. Mais depuis trois semaines, les démarches sont en stand by car je n’ai pas encore reçus d’informations.
Est-ce que vous avez une préférence sur Lac de Guiers et Tyson?
Je n’ai pas une préférence. Je suis prêt pour un combat et pour le gagner.
Où puisez-vous cette force qui vous permet de gagner les combats ?
Je les puise de mon entourage, mes supporters qui sont à la Médina, Fass, Gueule Tapée et ailleurs…
Nous avons vu votre jeune frère Gris 2 montrer de bonnes dispositions lors de son combat face à Cartouche. Il est en train de suivre vos traces…
Gris 2 est un jeune frère et aussi un ami. Nous nous ressemblons et partageons la même vision. Je n’ai pas connu de tels débuts. Je ne peux que prier pour lui parce qu’il a tout pour devenir un grand lutteur. Je ne ménagerai aucun effort pour le guider.
Quelles est selon vous la particularité d’aller se préparer à l’extérieur ?
Si vous avez six mois pour préparer un combat, il est souvent difficile de rester sur place. Passer deux mois à l’étranger vous donne d’autres sensations. Car vous vous entraînez dans la plus grande discrétion. Vous sentez vite la différence à votre retour. Cela vaut la peine d’aller faire un tour sur les plages et les salles en Espagne.
Si vous avez un aspect à améliorer dans le fonctionnement de la lutte, ce serait quoi ?
Ce serait certainement de protéger les lutteurs. Je suis favorable à l’utilisation de protège-dents par tous les lutteurs. Dans le sport de combat, nous frappons les mains nues. Un Européen m’a interpellé en me disant que cette forme de combat n’existait qu’au Sénégal. Même le Free Style, l’un des plus durs sports de combats, on utilise des gants. On doit réglementer et obliger les lutteurs à mettre des protège-dents comme à la boxe et au rugby. On parle d’ériger l’arène au site du Technopole. J’estime que c’est très loin. On doit prendre un stade pour l’allouer à la lutte. On n’arrive même pas à maitriser la violence après les combats de lutte qui sont organisés. L’arène nationale au Technopole poserait un problème de sécurité. Certaines personnes risquent même de ne plus se rendre à la lutte si leur sécurité n’est plus assurée.
Que pensez-vous du projet de retrait de la lutte des Jeux olympiques ?
Il y a un problème de communication à ce niveau. La lutte gréco-romaine est une discipline qui date de l’antiquité. Ceux qui ont en charge la lutte, doivent réagir.
Quelle est votre appréciation sur l’arrivée des lutteuses dans la lutte avec frappe?
C’est une belle innovation. Je l’apprécie. Cependant, il faut veiller à ce que les pratiquantes soient bien couvertes avec des tenues spéciales. Je pense que cela peut encourager des femmes d’autres localités à tenter l’expérience.