La disparition de Serigne Sidy Mokhtar Mbacké, khalife général de la confrérie mouride, laisse un grand vide au Sénégal. C’est une perte inestimable pour le Sénégal, pays où, est-il besoin de le rappeler, l’union et la communion sont au-dessus de toutes les valeurs. Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké est un mystique soufi dont la rigueur, l’ouverture au dialogue, la discrétion dans l’action et le respect d’un code d’honneur quasi-céleste ont été salués par toutes les personnes qui ont eu l’opportune occasion de le côtoyer. C’est un homme qui, de par sa position de chef d’une communauté, de voix autorisée et respectée, a su toujours prôner une élévation dans le dialogue. Il s’est fait un pont entre Sénégalais de toutes confessions et origines. Il s’est fait une oreille attentive aux maux du Sénégal, un avocat et un bienfaiteur du monde rural sénégalais qu’il a embrassé et porté toute sa vie durant.
De son fief de Keur Nganda, contrée qualifiée à juste titre de nœud entre son Kayor natal et le Baol de son grand-père Cheikh Ahmadou Bamba, Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké s’est fait maître effacé, travailleur infatigable, pieux patriarche de communautés où la cordialité et le respect sont des valeurs chéries. La porte de sa demeure a de tout temps été grand ouverte, un refuge pour tout individu qui, face aux épreuves de la vie, trouvait en lui un interlocuteur rassurant et inspirant qui acceptait avant de guider, qui écoutait avant de conseiller.
Le défunt khalife a œuvré de façon inlassable à la concorde nationale au Sénégal. Les relations qu’il entretenait avec l’Eglise catholique du Sénégal, comme en attestent les témoignages de religieux qui l’ont fréquenté, sont plus que révélatrices. La force du Sénégal en tant que communauté unie, au sein de laquelle tous mèneraient une vie descente, dans le respect de leurs convictions propres, est la trame de fond de tous les appels lancés par Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké. Ses appels et rappels à la communauté nationale, tout comme aux disciples mourides, sont à voir, avec du recul, comme une infatigable main tendue. Main tendue à des gens d’une communauté d’appartenance, main tendue à une communauté plurielle riche de sa diversité. Ces appels aux communautés confrériques pour le dépassement de toute tentation à voir dans la cohabitation entre foyers religieux une certaine concurrence sont salutaires. Ils ont eu la force de désarmer toute tentative triviale de faire naître dualité et opposition confrérique, ont montré la nécessité d’élévation et de dépassement, ont prêché l’urgence de faire corps dans le monde actuel. On retiendra que durant le khalifat de Serigne Sidy Mokhtar, les relations et concertations entre Touba et les autres grandes communautés religieuses musulmanes ont été très étroites sur des questions politiques, sociales, sociétales et religieuses.
De sa station spirituelle, s’est fait homme de son temps et bâtisseur dévoué, dont les réalisations d’édifices religieux à Touba et à Dakar, l’amélioration d’infrastructures routières servant à toute la communauté nationale dont il a donné grâce (autoroute Thiès-Touba) porteront à jamais le sceau de son califat. Il a été aux côtés du Président Macky Sall pour bénir la cérémonie de lancement des travaux de cette infrastructure autoroutière. Son action dans le dialogue social, notamment par la conduite de bons offices avec les syndicats d’enseignement, pour trouver des issues heureuses à la crise du secteur éducatif, restent des actes forts et grandement parlants. Serigne Sidy Mokhtar s’était toujours évertué à rechercher la concorde au Sénégal. C’est dans une telle optique qu’il s’était beaucoup investi par exemple pour obtenir la libération de Karim Wade après que la justice avait fini de le condamner. Le khalife général des Mourides fait partie des intercesseurs qui avaient demandé une clémence en faveur de Karim Wade et le chef de l’Etat Macky Sall a répondu à de telles demandes.
Le passage de Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké comme khalife général des Mourides est un moment fort. C’est un moment d’une «renaissance spirituelle», pour reprendre le titre de l’ouvrage de Cheikh Thioro Bassirou Mbacké. C’est un temps qui, bien que bref, a laissé des marques indélébiles quant à l’union qui devrait motiver tout acteur de ce pays, l’orthodoxie dans la voie qu’est le Mouridisme en cohérence avec les enseignements de son fondateur, la primauté du Sénégal comme enjeu et trésor commun, au-delà des hommes et des postures. Le califat de Mokhtar le choisi a pris fin, il fut un moment de catharsis et de refondation à bien des niveaux.
Serigne Sidy Mokhtar Mbacké a voulu rester ancré dans son Kayor. C’est ainsi qu’il a mis un point d’honneur à garder sa retraite de Keur Nganda et à célébrer le Magal de Mbacké-Kadior. Le défunt khalife des Mourides a toujours manifesté un attachement particulier pour tout ce qui touche au Kayor, cette province traditionnelle et à ses ressortissants. On se rappelle qu’au moment de son intronisation comme khalife général des Mourides, des amis qui lui sont très proches avaient estimé devoir m’introduire auprès de lui. Grande avait été leur surprise de voir que Serigne Sidy Mokhtar leur montra qu’il me connaissait mieux que les personnes qui me conduisaient auprès de lui. La conversation a très vite tourné autour de ses rapports avec ma famille et il se plaisait à souligner des gestes dont j’avais moi-même perdu le souvenir. Il en a été ainsi durant chaque visite que j’ai eu à lui rendre à Gouye Mbind et surtout à Keur Nganda.
Madiambal Diagne
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