Le livre de « Ashes : Success and Failures in Politics »[1] peut constituer le point de départ d’une réflexion sur la politique et la démocratie. Différents articles et vidéos de l’auteur aussi ! On y découvre les facettes d’un monde politique telles que l’auteur, enseignant, devenu homme politique, les a vécues. D’ailleurs, dans une de ses brillantes conférences, il reconnait que la politique comporte une part de destin, de contingences inattendues, car lui-même ne s’attendait pas à y entrer. Et une de ses découvertes, c’est « que vous devez vous battre pour faire entendre vos opinions, conquérir votre droit à penser, à être écouté, entendu par chaque votant que vous aurez à rencontrer ». Pourtant, l’étrange comportement des gens de ce milieu est qu’ils vous dénieront ce droit, même en démocratie… Puisqu’ils ne pensent pas la même chose que vous, ce qui est leur droit, pourquoi vous dénient-il ce privilège ? Et ce chemin est ardu, car il faut s’affirmer, se tenir debout et défendre ses droits, pour parler comme Marley… Ce qui est intéressant dans ses thèses, c’est qu’avoir l’ambition pure et dure d’être ce futur leader ne suffit pas ; il faut répondre à une question importante : pourquoi voulez-vous l’être et pour qui ? Pour les autres ? Pour vous-mêmes ? C’est la condition sine qua non du succès durable. En outre, ce qui est extraordinaire, c’est cette nécessité de rencontrer tout le monde, ce qui suppose une capacité à faire preuve d’humilité, à répondre à l’imprévu, d’énergie, d’écoute, etc. Dans cette perspective, la politique est une vocation, une sorte d’appel du destin ; mais pour faire la politique, il faut d’abord savoir qui vous êtes, pour qui ou pourquoi vous le faites, quel est votre idéal. Elle n’est pas une profession d’autant plus qu’il n’existe pas de normes professionnelles comme pour les docteurs, les avocats, les experts comptables et auditeurs, etc. « La vraie démocratie suppose des politiciens qui respectent le droit à différence et qui ne confondent pas ennemis et adversaires :
- Un adversaire (au sens noble) est quelqu’un avec qui vous avez des idées et des opinions différentes, avec qui vous allez vous confronter, à l’occasion d’élections, de débats constructifs pour la société ; avec qui vous pouvez faire des compromis. Cela est honorable et sage car on oublie parfois que les adversaires d’aujourd’hui peuvent bien être les alliés de demain. Les vrais leaders essaient de se coaliser avec d’autres leaders transformationnels pour en faire les alliés de demain. En ce sens, la politique suppose la loyauté, savoir compter sur des gens, des alliés, des amis. Et là est le plus difficile…
- Par contre, un ennemi, c’est quelqu’un que vous voulez détruire ou qui veut vous détruire quitte à mentir, à inventer du faux, à chauffer du réchauffé et de mortes idées. En outre, il y a ces « politiciens » de la meute qui pensent que les gens différents d’eux et qui ont une autre vision que la leur sont des ennemis.
De ce point de vue, être opposant politique est ainsi l’une des choses des plus complexes et des plus difficiles ; il n’y a pas de miracles, vous devez apprendre par les erreurs, encaisser, ne jamais abandonner, savoir occulter, ne jamais se décourager, souffrir, pardonner. « Entre adversaires, gentlemen, la confiance est considérée comme honorable et possible », rappelle-t-il dans un article sur le New York Times. Mais cela suppose des adversaires qui se battent en exploitant au maximum leurs talents, leur élégance et leurs capacités, qui acceptent le verdit d’un combat régi par des règles de jeu justes, éthiques et équitables d’une démocratie politique et électorale, de classe internationale. Mais, souvent, ici, la politique, c’est le contraire, l’art de la guerre entre ennemis ; l’impossible confiance puisqu’on applique les règles d’un jeu enrobées d’apparences peu démocratiques, écrites en sa faveur de sorte à ne jamais être vaincu, à ne jamais passer la main à un dauphin, puisqu’on formalise des semblants d’institutions « démocratiques » inachevées qui n’ont ni les moyens ni les pouvoirs nécessaires à leur raison d’être. Le plus étrange, c’est qu’ils osent en défendre la qualité, la pertinence, leur conformité. Au nom de la victoire, la fin justifie les moyens : gagner, encore gagner. C’est pourquoi, à PROACT, les partisans de la politique autrement et de la nouvelle gouvernance invitent quelque peu à la sagesse, à plus de démocratie, la vraie, à plus d’innovations. En fait, « Les adversaires peuvent facilement se transformer en ennemis si les partis majoritaires ne laissent jamais aux autres une part, voire une demi-part, des possibilités, s’accaparent de tout, ne laissant comme seule issue que l’affrontement destructif avec la majorité. » La politique qui aurait dû être l’alternative à la guerre devient plutôt l’art de la guerre, l’art de vaincre et de soumettre l’ennemi, sans avoir raison…
En explorant des auteurs comme Ignatieff, je me suis laissé inspirer par Sergiusz[2] qui dresse une synthèse remarquable que je voudrais enrichir quelque peu. Pour ce dernier, le livre nous laisse quelques messages au niveau du chapitre « Calling » qui m’inspire l’idée que la politique (la vraie) est ou aurait dû être :
- une cause noble intrinsèque au courage de défendre des opinions, de persister pour partager ce que l’on pense être mieux pour les gens, pour les autres, pour leur offrir des opportunités et de nouvelles perspectives ;
- un art de l’équilibre entre transformer ce qui doit être changé et maintenir ce qui doit l’être pour ne pas être un art de la destruction, du statu quo, de la paralysie ;
- une discipline d’adhésion au respect des institutions démocratiques et inclusives ;
- un respect de ceux qui ont voté pour vous, des opposants qui ont une autre vision et qui ont été parfois « battus » lors d’élections et qui peuvent vous battre un jour ;
- une histoire formalisée, à raconter, pour réussir le plus difficile, convaincre ; en somme une sorte de promesse aux gens sur leurs vies actuelles et futures, un art de faire rêver par des messages et une histoire pleine d’espérances, de vision attrayante et irrésistible, de vrais héros.
Certes, diront beaucoup de gens : c’est le contraire que l’on voit chaque jour. C’est vrai !
En terminant cette réflexion et en prenant en compte quelques conférences de l’auteur sur YouTube, voire sur le Net, en découvrant ces partisans du « Blue Ocean Strategy » en politique, il m’est apparu que ce ne sont pas les bonnes paroles et les grandes messes qui changeront les choses. Ce qui doit changer, c’est la classe politique au sens de la vieille garde, la politique elle-même comme elle est faite jusqu’ici, ce que les gens de « basse » culture et les laudateurs qui y sont entrés par intérêt pensent être le politicien, la politique.
Penser, agir, faire la politique et gouverner autrement, c’est bien notre credo au PROACT ! Pour que cela change, le point de départ est l’existence de nouvelles règles de jeu :
- La fin des découpages électoraux calculés et les incessantes manipulations de cartes ou de fichiers électoraux pour gagner et encore gagner;
- Une autorité électorale complètement indépendante en amont et en aval du processus électoral comme la Direction générale des Elections du Canada que certains ont mal et très partiellement copiée, en dépit des apparences sémantiques ;
- Des règles de financement des campagnes électorales saines, équitables et justes, auditées, d’où l’impératif de la réforme du contrôle d’Etat, à cet égard;
- Des règles et de l’éthique qui empêchent les députés d’être les affidés de l’exécutif malgré leur indépendance constitutionnelle et d’abuser de leurs positions pour tout tirer en leur faveur au nom d’une majorité mécanique, mais alors capables de rester digne et de dire NON quand cela est nécessaire ;
- Des pratiques politiques et électorales qui permettent le bon parrainage, c’est-à-dire aux électeurs de savoir qui est qui, quelle est la qualité des candidats (passé, réalisations, héritage à la communauté, capacités antérieures de leadership, managériales, entrepreneuriales, éthique, succès antérieurs, avoirs et patrimoines avant d’être élus, etc.) ;
- Une presse privée, forte et indépendante, voire « rentable » car leur pauvreté est aussi le lit de leurs mauvaises pratiques et corruptions en éliminant la presse d’Etat inutile (ou en la mettant en compétition éthique) à l’ère des nouvelles technologies avec ces multiples télévisions YouTube que l’on écoute avec des oreillettes servant de micros, avec ces radios et « podcasts » que toute personne entreprenante peut créer ;
- L’affaissement des alibis de la théorie du complot comme socle de propagande tant démodée, mais à laquelle les vieux profils de politiciens « croient » encore ;
- Un état facilitateur et catalyseur ainsi que des instances régulation fortes et ouvertes à la société civile, aux entrepreneurs, aux créateurs de d’idées qui ne tuent pas la créativité et ne soumettent pas la société au micro-management;
- Une réforme de l’Etat et du secteur public compatible avec ce qui précède, car ce n’est pas finalement à l’Etat tout seul de créer la prospérité à la place des citoyens ;
- Peut-être bien d’autres choses encore…
En voilà au moins un minimum pour un messie tant attendu. Vaste programme ? Par quel type de leader, de leadership ? Là est la vraie question !
Abdou Karim GUEYE
Abdou Karim GUEYE, écrivain, est un Inspecteur général d’Etat à la retraite et un ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal. Aujourd’hui, militant du parti ACT, il est le Conseiller en Gouvernance publique du Président Abdoul MBAYE. Il a aussi été Expert auprès du Premier Ministre de Djibouti et a aidé le gouvernement de ce pays à créer et développer son Inspection générale d’Etat de 2003 à 2008. Vidéo à regarder: https://www.youtube.com/watch?v=AI2oRhyVPyE
Article – New York Times: Enemies vs. Adversaries, Michael Ignatieff, Oct. 16, 2013
[1] Inspiré de « Fire and Ashes : Success and Faliure in Politics »
« Sont-ils adversaires ou ennemis ? Succès et faillites de la politique », Michael Ignatieff, ex- dirigeant du Parti Liberal du Canada, auteur. Source New York Time.
[2] Ignatieff, M. (2013). Fire and Ashes. Success and Failure in Politics. Cambridge (Massachusetts) – London (England): Harvard University Press, pp. 205.Bober Jesuit University Ignatianum in Krakow Institute of Political Science