Des quotas limitant le nombre de joueurs de couleur ou d’origine arabe dans les centres de formation français ? Après les dénégations de Laurent Blanc et de François Blaquart – qui ont nié Mediapart apporte samedi, à l’appui de ses accusations, la transcription d’une réunion officielle de la DTN (Direction technique nationale) qui se serait tenue à la FFF le 8 novembre dernier, en présence d’une vingtaine de cadres de la Fédération et que le président Fernand Duchaussoy viendra conclure sans pour autant participé à la discussion incriminée, selon le site.
«Il faudrait qu’il y ait un projet. Il n’existe pas. Je ne peux pas parler de quelque chose qui n’a pas eu lieu, à ma connaissance», a rétorqué vendredi le sélectionneur Laurent Blanc lors d’une conférence de presse à Bordeaux. «Tout ça, pour moi, est faux. Dire qu’il est préparé un projet d’une telle envergure et que le sélectionneur national a cautionné tout ça, c’est un mensonge». «On ne peut pas faire des quotas dans le football. Vous ne pouvez pas dire « il nous faut 30% d’une telle race, 30% d’une autre« », a-t-il encore expliqué.
Les débats incriminés, basés sur un audit de l’INF (Institut national du football) de Clairefontaine, étaient dirigés par François Blaquart, DTN par intérim après la démission de Gérard Houiller suite au fiasco du mondial. Ce rapport soulignait que beaucoup de joueurs binationaux, ou susceptibles de changer de nationalité, avaient été formés à l’INF. Extraits de ce qu’ont déclaré les participants à cette réunion. L’intégralité est à retrouver sur le site de Mediapart.
Le verbatim de la réunion :
Erick Mombaerts (sélectionneur de l’équipe de France Espoirs) : François (Blaquard, NDLR), ça mérite quand même
qu’on débatte, ne serait-ce que trois minutes. Tu as évoqué les statistiques sur les derniers résultats de l’Institut national du football (à Clairefontaine, NDLR) : 4 internationaux A français (sélectionnés en équipe de France, NDLR), 26 internationaux étrangers. 20 ou 26….
Laurent Blanc (sélectionneur de l’équipe de France). Ça, ça me choque.
Erick Mombaerts : Ça nous choque.
(…)
Erick Mombaerts : Est-ce qu’on s’attelle au problème et on limite l’entrée du nombre de gamins qui peuvent changer de nationalité ? Oui ? Non ? Donc, auquel cas, on est obligé de le faire sous le coude. C’est-à-dire on est obligé de le faire… Mais est-ce qu’il faut le faire. Je pense que tout le monde doit être concerné, là. Laurent, qu’est-ce que t’en penses ?
Laurent Blanc : Moi j’y suis tout à fait favorable. Sincèrement, ça me dérange beaucoup. Ce qui se passe dans le football actuellement, ça me dérange beaucoup. A mon avis, il faut essayer de l’éradiquer. Et ça n’a aucune
connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l’équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu’après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément (…).
Erick Mombaerts : Donc il faut 30% ? Un tiers de gamins qui peuvent changer (de nationalité, NDLR) ?
(…)
François Blaquart : Même pas. Faut faire un projet. Moi, j’ai dit à Gérard (ndlr. Gérard Prêcheur, directeur de l’INF) qu’on allait se voir pour le concours et qu’on limite. (…) L’idéal effectivement, c’est de dire, mais pas officiellement : de toute façon on ne prend pas plus de tant de gamins qui sont susceptibles de changer (de nationalité, NDLR).
(…)
François Blaquart : On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit. Ça reste vraiment que de l’action propre. Bon voilà, on fait attention. On a les listes, à un moment donné…
(…)
Laurent Blanc : Moi c’est pas les gens de couleur qui me posent un problème. C’est pas les gens de couleur, c’est pas les gens nord-africains. Moi j’ai aucun problème avec eux. Mais le problème, c’est que ces gens-là doivent se déterminer et essayer qu’on les aide à se déterminer. S’il n’y a – et je parle crûment – que des blacks dans les pôles (de jeunes, NDLR) et que ces blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien.
(…)
Francis Smerecki : Les Polonais, quand on est arrivé, on était blanc, et puis la France a eu cette influence polonaise. Et puis ça nous a quand même servis. Aujourd’hui, les règlements ont évolué. Les blacks aujourd’hui, parce que ça a été l’Afrique, et on est fautifs quand même parce qu’on a été les chercher quelque part par wagons entiers. Et aujourd’hui, on voudrait s’en séparer ?
Laurent Blanc : J’ai pas dit s’en séparer.
Francis Smerecki : Ben si, quelque part, puisque certains avancent le nombre de 30%. C’est qu’on veut s’en séparer, d’une manière ou d’une autre. Il faut être concret. Le deuxième point, c’est que si tous ces gens-là, blacks ou beurs, ou autres, on les enlève, est-ce qu’il va nous rester une division ?
Erick Mombaerts : On ne veut pas les enlever ! Les clubs pros, ils peuvent les prendre. Ils se répartissent ! Là on parle des structures fédérales. Nous on travaille pour le football français, on ne travaille pas pour les sélections étrangères.
Francis Smerecki : Je ne retourne pas l’argument. Je dis : première chose, c’est discriminatoire. Et si on enlève la totalité des gens qui peuvent choisir, pour une autre sélection (étrangère, NDLR) éventuellement, je ne sais pas si on a une division. Parce que quelque part, même s’ils vont jouer dans un autre pays, il y a des clubs de Ligue 2 qui vivent avec ces joueurs-là. (…un des participants rappelle qu’il y a «300 joueurs français» formés dans l’Hexagone qui jouent dans des clubs étrangers. Laurent Blanc revient, insistant, sur les critères de sélection des jeunes…)
Laurent Blanc : Là, on parle d’enfants de 12 ans, 13 ans ou 14 ans.
Francis Smerecki : Tu peux pas dire à des gens de troisième génération, qui sont nés sur notre sol… Un gamin qui va jouer, je sais pas, pour la Libye ou pour la Guinée, s’il a le choix, si tu le prends (en équipe de France, NDLR), il va aller avec toi, Laurent. Il ne va pas aller là-bas.
Erick Mombaerts : S’il te plaît. Moi je vais prendre le problème à l’envers. Quand on parle des structures, c’est aussi la place qu’ils prennent. Moi ce qui m’intéresse c’est que le jeune qui va jouer pour l’équipe de France puisse être en
équipe de France de jeunes.
Francis Smerecki : Ecoute, moi, ce qui me gêne sur le fond, c’est (qu’il y a) celui qui a la possibilité d’être français-français et d’aller avec Laurent, et celui, parce qu’il n’a pas assez d’aptitudes et de talent pour aller avec Laurent et qui va aller dans un autre pays, et c’est celui-là que vous voudriez éliminer. C’est impossible.
François Blaquart : C’est pas forcément l’éliminer.
Francis Smerecki : Le limiter ? Ça veut dire que vous allez garder lesquels ? Les blancs ? Les moins bons ?
Erick Mombaerts : Ça ne te choque pas que l’INF ait sorti quatre internationaux français et 26 internationaux
étrangers ? Est-ce qu’on peut pas basculer un petit peu. Basculer.
Francis Smerecki : Attends, vous allez pas prendre « Dédé » pour plus con qu’il l’est. Les bons jeunes blancs, s’il avait eu un jeune talentueux blanc, il aurait pris, non ?
(… près d’une heure plus tard, le sélectionneur des Bleus reprend la parole pour relancer le débat sur ces thèmes…).
Laurent Blanc : On veut pas éliminer les étrangers, pas du tout, mais faire en sorte que les pôles Espoirs ou les pôles de la DTN testent sur des critères mieux définis pour pouvoir attirer d’autres personnes, parce que si on a toujours les mêmes critères, y aura toujours les mêmes personnes. Et plus ça va, plus ça va être encore davantage. Parce que je suis sur les terrains tous les samedis, je vois quelques centres de formation : on a l’impression qu’on forme vraiment le même prototype de joueurs : grands, costauds, puissants. Qu’est-ce qu’il y a actuellement comme grands, costauds, puissants ? Les blacks. Et c’est comme ça. C’est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup. Je crois qu’il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d’autres critères, modifiés avec notre propre culture. Je vais vous citer les Espagnols : ils n’ont pas ces problèmes-là. Ils ont des critères de jeu qui sont très précis, à 12-13 ans.
Erick Mombaerts : C’est ça le projet.
Laurent Blanc : Avec notre culture, notre histoire, etc. Les Espagnols, ils m’ont dit : «Nous, on n’a pas de problème. Nous, des blacks, on n’en a pas.»
Erick Mombaerts : Mais Laurent, le phénomène que tu évoques, c’est tellement ancré chez nous que les petits gabarits blancs qui sont dans les pôles Espoirs, les clubs pro me les laissent sur les bras. Ils ne les prennent pas, n’importe comment, même si c’est des bons joueurs !
Laurent Blanc : Les clubs ils auront toujours leurs critères de sélection. Ça tu pourras pas… Même si en formant des éducateurs, tu vas pouvoir peut-être à la longue changer un petit peu les choses, ou influencer un peu. Mais c’est surtout dans les pôles qu’il faut avoir ces critères-là.
(Un participant sort de ses gonds et rappelle qu’un bon joueur est efficace quelle que soit sa couleur de peau, rouge ou blanche, sa taille, grande ou petite).
Laurent Blanc : Oui, mais en ce moment tu n’as pas le choix puisque tu as toujours le même stéréotype de joueurs, tu exagères. Je vois les centres de formation, je les vois de Bordeaux, des cités, et tu as toujours le même stéréotype de joueurs, je suis désolé ! Tu vas aller au centre de formation de Bordeaux, tu vas prendre les joueurs, mais des petits bons joueurs, tu n’en auras pas. Donc il faut inciter.
Erick Mombaerts : Est-ce qu’on peut essayer de proposer avant la fin de l’année un projet, quelque chose de différent, bon pas fondamentalement différent, mais qui va être force de projet. Dire : voilà on va s’attaquer à ça. Bon, on a compris aussi qu’on a besoin d’ouverture, de proposer quelque chose et qu’on peut s’attaquer à quelques croyances bien établies, notamment le jeu, hein, le jeu, au détriment peut-être de l’individu. Mais le jeu, forcément,
ça va être d’intégrer d’autres types de joueurs. Parce que le jeu, c’est l’intelligence, donc c’est d’autres types de joueurs. Donc tout est lié, tout est lié !
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