Les faits inédits qui viennent de se passer à l’université ne sont pas nouveaux. Même si le symbole est fort, car pour une rare fois des cousins à plaisanterie descendants d’Aguène et Diambogne ont versé les uns le sang des autres.
C’est que quand la violence s’insinue au cœur d’une nation, elle y évolue de façon si pernicieuse qu’elle en infeste toutes les strates, et colonise les symboles les plus représentatifs de ce peuple. Dans tous les pays du monde qui ont basculé dans le chaos et l’anomie qui s’en est suivie, le point de départ de cette situation fut l’université, les acteurs principaux de ces drames furent les étudiants. L’exemple récent de la Cote d’Ivoire suffit à l’illustrer.
L’UCAD vient de violer un tabou qui devrait suffire à nous faire comprendre définitivement que l’aube d’un jour nouveau s’est levé au Sénégal, et que nous devons relire l’Histoire pour ne pas basculer dans les mêmes conséquences irrémédiables que les pays où les mêmes causes que nous constatons aujourd’hui ont produit les mêmes effets qui les ont engendrées.
De tout temps à l’UCAD, il y a toujours eu des groupes de pression qui ont cherché à incarner le leadership étudiant, par tous les moyens possibles.
Dans la décennie 90-2000, nous assistâmes ainsi dans les campus de Dakar, et de Saint-Louis, à une révolution aussi violente, brutale que rapide, qui surprit même les caciques du milieu estudiantin qui y perdirent positions et privilèges.
Partis de la mosquée du Campus, les intégristes envahirent les amicales des facultés et en prirent la tête, expulsant de ces lieux des dirigeants aussi charismatiques qu’un certain Déthié Diouf et ses comparses des autres facultés, tout aussi surpris par l’irruption en ces lieux de ces ibadous rahmane que par la manière dont ils s’imposèrent pour leur arracher sans ménagement leurs sinécures.
Leurs procédés furent les mêmes qu’ils employèrent quelques temps auparavant pour expulser de la mosquée du campus leurs frères musulmans de la confrérie tidiane qui y furent violemment lynchés quelques temps auparavant, pour le sacrilège d’avoir osé vouloir faire du wassifa dans l’enceinte de la mosquée.
Une fois cet espace conquis au prix du sang versé, ces ibadous conscients de l’efficacité de leurs méthodes se mirent pour la plupart à l’haltérophilie, et entreprirent de s’imposer par leurs muscles, et leurs prétendues probités morales qui leur servirent de base de propagande, à la tête des amicales. C’est ainsi que durant cette décennie, leurs bastons et actes de violence furent couronnés partout par l’élection de leurs membres à la tête des amicales d’étudiants.
Aujourd’hui, nous retrouvons l’essentiel de ce mouvement, surtout les plus fanatisés parmi eux dans l’entourage proche d’un Ousmane Sonko porteur de leur projet politique. Car, rappelons-le, Ousmane Sonko n’est pas membre fondateur du Pastef, il l’a intégré plus tard et il en est le porteur de leurs idéaux, suivant en cela un cahier de charges défini par ses membres les plus déterminants et les plus engagés, les intégristes dont il est sous la coupe réglée, et qui ne lui refusent rien tant que son attitude est conforme à leurs règles et principes.
Ce sont les gens de cette secte qui professent la violence, et qui pour la plupart l’utilisent comme armes politiques, et leur stratégie est d’autant plus efficace qu’ils ont maintenant internet à leur disposition, pour créer des sites, des groupes d’informations avec la technologie nécessaire pour un bon référencement de leurs produits multimédias par lesquels ils vendent le leadership de leur shebbab en chef, tout en maintenant une chape de peur sur l’opinion, par leur violence verbale d’abord, et ensuite par la force de leurs muscles dont l’impact a été largement éprouvé il y a quelques années.
Ne nous leurrons pas, leurs méthodes sont vieilles comme le monde : dans l’Allemagne empêtrée dans une crise économique et financière profonde, Hitler sut remobiliser le peuple par un discours nationaliste qui fouetta leur fierté, et les remobilisa autour de son projet politique : restaurer la grandeur de l’Allemagne et lui rendre le prestige d’une nation bafouée par les conséquences d’un armistice négociée par leurs élites qui privilégièrent leur propre sort au détriment de leur peuple.
L’arme de propagande d’Hitler fut les journaux, et ses terribles SA qui semèrent partout la terreur, au point de rallier à sa cause les dernières personnes conscientes du basculement irréversible vers le totalitarisme qui perçait à travers son discours démagogique. Les juifs furent désignés comme les coupables de cette débâcle généralisée et principaux bénéficiaires de la crise économique. La suite on la connait.
Les mêmes méthodes propagandistes sont utilisées aujourd’hui, pour rechercher les mêmes effets. Les mêmes expéditions punitives contre la presse jugée complaisante avec le régime ont été perpétrées. Les mêmes scènes de violence avec la destruction des biens appartenant à des personnes soupçonnées proches ou même membres du régime ont été orchestrées. Un discours nationaliste a fleuri, servi avec une bonne dose de mauvaise foi, pour désigner les élites politiques au pouvoir comme les coupables de la crise profonde dans laquelle est englué notre pays le Sénégal, inféodé à la France dont elles seraient le serviteur zélé, au détriment du peuple sénégalais souverain !
Les intégristes religieux qui tiennent Ousmane Sonko sous leur coupe réglée ne lui ne pardonneront pas une frasque liée aux bonnes mœurs. Reconnaître ne serait-ce qu’une relation consentie avec Adji Sarr reviendrait à signer son arrêt de mort politique. Et malheureusement pour lui, il n’a ni les moyens physiques ou économiques d’organiser sa nuit des longs couteaux avant l’heure. De légitimité politique, n’en parlons pas, il n’est pas membre fondateur du Pastef et ne peut donc revendiquer aucun statut sur ce point.
C’est donc dire que la situation est grave, surtout pour un ambitieux qui croit que le pouvoir est en train de lui tendre les mains, et qu’il lui suffit d’imposer un rapport de forces qui lui permettrait d’obtenir des autorités l’abandon des poursuites contre lui, pour le ramasser proprement !
Ousmane Sonko l’a dit, ce sera un mortal kombat, et nous le croyons sur parole, car, déjà, il y en a eu près d’une quinzaine. Gageons, pour rester dans sa logique, qu’il y en aura d’autres, car manifestement, son opposition au régime en place est en train de prendre des relents d’une opposition plus irrédentiste que politique, avec des ramifications qui risquent à terme de mettre en mal la cohésion nationale, outragée et violée effrontément de part et d’autre par tous les acteurs du jeu politique, aussi insolemment qu’impunément !
Les jeunes étudiants du kekendo et de ndef leng ne font que marcher sur les traces de leurs aînés, en pire. Car dans ce temple du savoir, de plus en plus les questions pédagogiques et sociales se règlent à la force des muscles, et quiconque s’impose par la force se garantit à défaut d’une réussite par les études quelques privilèges qui améliorent son existence tant qu’il est dans les dispositions réglementaires pour rester étudiant.
Ils sont les fruits des germes de violences semées à l’université par leurs aînés. Et maintenant que ces derniers ont trouvé une cause politique à leur engagement, la jonction est rapidement faite. L’Université est devenue un no mans land où les conflits politiques trouvent leur champ de bataille propice aux règlements de comptes, pour le bonheur des casseurs et autres fossoyeurs de la paix.
Le Sénégal tout entier devrait se mobiliser pour juguler cette spirale de la violence qui s’exacerbe chaque jour encore plus. Les discours politique ressemblent de plus en plus à des veillées guerrières, tant chaque orateur d’un camp promet l’enfer à son protagoniste de l’autre camp, en des termes que la décence nous interdit de rapporter. Et c’est pourquoi tous les onagres et autres nigauds qui n’ont rien à faire en politique y trouvent un terrain de défoulement privilégié, en ramenant les débats à leur niveau : si ce n’est le peul qui lance un appel à une mobilisation machettique afin d’imposer son mentor à la tête du pays pour un troisième mandat appelé de ses vœux, c’est un opposant qui parle de crime et de sang et évoque un combat mortel auquel répondent tête baissée les foules frustrées par la crise cherchant un exutoire à leur mal vivre, en première ligne les jeunes qui prennent au premier degré ces propos indignes d’un peuple qui se dit épris de paix.
Prenons-y garde, les discours va-t’en guerre qui prospèrent de part et d’autre et finissent par prendre des allures de revendication d’appartenance ethnique pour justifier des postures politiques partisanes sont dangereux et antidémocratiques.
Cherchons la paix. C’est un défi permanent qui ne doit jamais être pris pour définitivement acquis. Et les mots seulement ne suffisent pas à la maintenir. Ouphouet Boigny disait que ce n’est pas un mot, mais un comportement ; aujourd’hui, la Cote d’Ivoire a créé un ministère de la paix, pour la retrouver.
Ne jouons pas avec la paix.
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R