«Dans les pays sahéliens, on assume rarement. Mais certains noms filtrent. Ainsi celui de Ndioro Ndiaye qui a été, Ministre et numéro deux de l’Organisation internationale des migrations» a écrit l’hebdomadaire «Jeune Afrique » dans une enquête exclusive sur la franc-maçonnerie en Afrique.
Elue à deux réponses directrice générale adjointe de l’Organisation internationale des Migrations (OIM), l’ancienne ministre sénégalaise du Développement social puis de la Femme, de l’Enfance et de la Famille venait de passer près d’une décennie dans cette agence intergouvernementale née à Genève en 1951 pour secourir les exilés. Son second mandat arrivait à terme et elle avait soixante-un ans. Mais le mot retraite sonne mal aux oreilles d’une passionaria des causes humanitaires. Surtout, en rester là voulait dire arrêter les efforts déployés sans relâche pour amener les diasporas africaines à s’impliquer dans le développement de leur pays d’origine. C’est à elle que revient la paternité du MIDA (Migration et développement en Afrique). Solution? Créer une nouvelle structure, l’Alliance pour la Migration, le Leadership et le Développement (AMLD). Dans ce qui suit, nous revenons sur une interview qu’elle avait accordée au journal «Amina».
L’impact du rôle de la migration sur le développement économique et social fait l’objet d’un intérêt croissant auprès des instances internationales. On en parlait beaucoup moins il y a dix ans. D’où l’idée du MIDA a-t-elle émergé?
J’ai d’abord observé ce qui avait été fait. En 1999, l’OIM disposait d’un fonds libellé migration et développement’. Un maigre fonds, vingt-cinq mille dollars, destiné à accompagner les personnes en détresse qu’on faisait rentrer au pays, en particulier africaines ou latino-américaines. Il faut savoir que l’OIM est une grande entreprise de mouvements de population. Traditionnellement, en cas de catastrophe naturelle ou autre, l’une des premières agences à intervenir sur place pour organiser le transport des victimes en lieu sûr, procéder au regroupement familial, reconstruire les zones détruites … C’est ce que nous avons fait au Rwanda, au Kosovo et qui est fait à présent au Pakistan ou au Sri Lanka.
Ce qui m’a convaincue, c’est que je viens d’un pays de migrants. Les Sénégalais sont nombreux en Europe, souvent bien formés et capables de produire de la richesse dans les pays d’accueil sans pour autant aliéner leur statut. J’ai pensé: « Si les Sénégalais en sont capables, pourquoi pas d’autres? »
L’utilisation commune des diasporas est venue de là, l’idée de canaliser leurs connaissances, leur expertise et leurs acquis vers les secteurs institutionnels en manque dans nos pays: éducation, santé, management des entreprises, bonne gouvernance. Je ne dis pas que les pays développés ont l’apanage de la bonne gouvernance, loin s’en faut. Je dis juste que nos diasporas doivent avoir l’opportunité de connaître autre chose que ce que nous vivons en Afrique. La santé est souvent citée en exemple. Les médecins compétents, bien formés, sont partis parce qu’ils n’avaient pas les opportunités de vie qu’ils étaient en droit d’attendre. De même, les techniciens supérieurs, les infirmières, les sages-femmes ont été recrutés par des pays qui les ont cueillis comme des fruits ‘mûrs’, formés par des gouvernements qui n’avaient malheureusement pas les moyens de les garder.
Voilà l’esprit du MIDA, une architecture qui mettait en scène les connaissances des gens, des diasporas et leurs avoirs, c’est-à-dire les produits financiers gagnés dans les pays d’accueil. Une invite aux gouvernements de ces pays, et des pays d’origine, à faire intégrer à la coopération au développement les forces des migrants, leurs capacités, leur savoir-faire, leurs valeurs et à générer une autre logique, centrée davantage sur l’intérêt des individus.
Avec un certain nombre de collègues de l’OIM – je veux être claire, je ne m’approprie pas le mécanisme même si la paternité de l’idée me revient -, j’ai essayé de traduire ce lien en un concept puis une stratégie.
Qu’en a-t-il résulté?
En 2001, nous avons lancé le MIDA Grands Lacs, mon programme-pilote car il illustrait pleinement l’investissement des forces vives de la migration. Nous avons invité les diasporas rwandaises, burundaises, congolaises de Belgique, du Benelux et d’Europe à participer à la reconstruction de plateaux techniques dans l’éducation, la santé, l’administration, etc. de leur pays. Le Burundi en a bénéficié pour construire un programme de bonne gouvernance au sein d’un ministère créé à cet effet. Les universités de la région, en particulier les facultés de médecine, de droit et de sciences économiques, ont reconstitué les structures destinées à la création de ressources humaines dont ces pays avaient besoin pour faire repartir les formations.
Ce MIDA a eu un impact énorme en Afrique Centrale et de l’Est et je rends hommage à Louis Michel, le premier à y avoir adhéré quand il était chargé des affaires étrangères de son pays, la Belgique. L’Italie, les Pays-Bas ont suivi puis l’Allemagne, le Portugal. L’Espagne est en train de financer un MIDA. La France fait du co-développement, nous sommes dans la même veine. Le mouvement s’est étendu ainsi à une bonne partie de l’Europe.
Pour mieux identifier les diasporas et les mettre en contact avec les ministères de pays ayant besoin de leurs capacités, j’ai proposé un modèle d’analyse économique crée par le Millenium Institute de Washington. Cet Institut m’avait offert de modéliser les segments de la migration dans les domaines traités par les documents stratégiques de réduction de la pauvreté : éducation, santé, économie, femmes … Le modèle analyse et utilise les valeurs ajoutées de la migration, puis traduit les comportements de chaque domaine stratégique influencé par la migration.
J’ai créé l’AMLD sur cette lancée parce que l’intérêt est là, l’assistance est là et j’ai la capacité à conduire des travaux dans ce domaine. Je ressentais aussi la nécessité d’aller un peu plus loin que ce que nous avions accompli à l’OIM et qui n’est pas si mal puisque nous avons généré le MIDA, que raconte un livre lancé le 19 janvier 2010 en présence des ambassadeurs membres de notre Conseil et de nombreux amis: « The Mida Experience and beyond ». L’actuel directeur de l’OIM me l’ayant proposé, je l’ai fait écrire par des agents impliqués dans le programme.
Pourquoi avoir ajouté la notion de leadership?
L’Afrique manque de leaders dans ce domaine. Qu’est-ce qu’un leadership? Une définition de cap, d’orientation claire dont les gens ont besoin. Il faut le créer et se donner les moyens de le garder. A cet égard, je me réjouis que le DCAF nous ait retenus pour son étude sur les systèmes sécuritaires au Sénégal: forces armées et paramilitaires, police, services de sécurité intérieure et de renseignement, garde-frontières, structures de contrôle parlementaire, gouvernemental et de la société civile, etc. Car il s’agit vraiment d’un programme destiné à former le leadership: hommes et femmes ensemble pour assurer aux populations une meilleure prestation dans la sécurité. Je pense que les femmes ont là un rôle à jouer et peuvent exceller autant que les hommes. Elles ont aussi une grande faculté de gestion des objectifs de vie. Dans les objectifs de vie, j’inclus un gouvernement performant.
Et s’agissant de notre réunion à Paris, j’espère que l’OIF, qui regroupe une quarantaine de pays, fera le nécessaire pour que cette étude serve ses États-membres.
L’AMLD est volontairement une petite structure. Avec quel mode de fonctionnement?
Il est simple, sans contrainte physique de présence. Vous le verrez sur notre site (amld-ong.org), les membres de l’association vivent en Afrique, en Suisse, aux États-Unis et en Europe. Notre siège est à Dakar et nous avons un bureau de liaison à Genève au sein du Centre international pour la Migration, la Santé et le Développement, Nous fonctionnons suivant trois hubs : migration, leadership, développement. Chacun est dirigé par un leader qui développe ses programmes, coordonnés par un chef de projets. Plusieurs jeunes universitaires contribuent à la gestion quotidienne du bureau de Dakar.
Ce fonctionnement permet d’amoindrir les coûts et de faire participer le maximum de personnes au travail il fournir.
On vous sait très attachée à la formation. Quelle place allez-vous lui accorder?
Une place majeure. La migration doit sortir du cadre exclusif de la gestion internationale, aller vers la société civile, en priorité les ONG, les femmes par le biais des réseaux existants, les jeunes; tous contribuent à une bonne gestion de la migration. Il faut associer les décideurs’ que sont les gouvernements, ceux des pays d’origine en particulier, pour les amener à mieux connaître et à faire connaître les rouages administratifs des pays d’accueil, les aider à créer des outils – dans leurs langues nationales à l’intention des populations migrantes. Pour migrer il faut savoir avant le départ pourquoi on part, où aller et comment, connaître les enjeux auxquels on fera face. On ne peut pas frapper à une porte sans savoir si on sera reçu et sous quelles conditions!
Cette démarche passe par la formation d’une masse critique africaine, capable d’aider ses gouvernements à prendre en charge leurs problèmes migratoires. Je l’avais entamée à l’OIM au vu des résultats obtenus en Asie, en Amérique latine, un peu en Europe. J’avais interrogé les universités: « Qui a un programme de formation sur la migration ?» Peu en avaient. J’avais alors proposé des programmes de formation jumelles entre universités africaines (Sénégal, Botswana, Ouganda, Kenya), anglaises (Londres, Sussex) et américaines (Columbia et d’autres dans le Massachusetts, l’Ohio, sur la côte Ouest).
J’ai l’intention de continuer sur cette voie, de créer des modules de migration en commençant par Dakar, qui a un mastère et prépare un cursus ‘migration et santé de niveau post-doctorat. Dakar coopère déjà avec l’université de Lyon et avec une université italienne. Nous allons contribuer à l’enseignement de la migration en aidant le recteur à coordonner les disciplines qui lui sont liées: droit, sciences économiques, sciences sociales, médecine … L’idée étant, grâce à ce cursus cohérent, de créer la masse critique d’experts susceptible d’enseigner les matières ou d’intégrer les organisations internationales, où l’on note un manque d’Africains dans la gestion des politiques migratoires. Ou encore de rejoindre les sociétés civiles pour former et informer les populations sur les questions de migration.
Dans toute l’Afrique …
C’est mon but. Voir essaimer une bonne gestion de la migration vers les lieux du savoir au travers de la formation et en travaillant avec les organisations régionales, continuer aussi avec le DCAF et initier des programmes avec les partenaires du développement. Le moment est opportun. Vous avez vu ce qui s’est passé au Niger, en Côte d’Ivoire et ce qui se passe en Guinée. La CEDEAO a besoin d’une bonne stratégie de gestion sur ces questions.
La migration est un mouvement pendulaire, on ne l’empêchera pas. De tous temps, les gens sont allés chercher un mieux-être ailleurs. Il y a 214 millions de migrants dans le monde, 3% de sa population, dont 49 % de femmes. La diaspora africaine représenterait, à elle seule, plus de 30 millions de personnes; le futur de l’Afrique est dans une bonne gestion de la migration. Je voudrais amener les gouvernements à se pencher davantage sur les avantages d’une mobilité bien gérée. Et à la faciliter.
Vous vous lancez un énorme défi, le sujet est sensible dans nombre de pays d’accueil.
Nous avons les ressources intellectuelles et la volonté nécessaires. J’ai travaillé toute ma vie. J’ai eu la chance d’être issue d’un milieu intellectuel. Mon père était instituteur à Bignona en Basse-Casamance, ensuite directeur d’école, député du Sénégal et ambassadeur. Il a ouvert le premier poste du Sénégal auprès de l’ONU à Genève et il a été le premier ambassadeur du Sénégal en Suisse après l’indépendance. Il croyait au travail et au travail bien fait.
J’ai eu, grâce de Dieu, des conditions de vie aisées et un mari extrêmement généreux et intelligent, professeur de droit public international. Nous avons eu six enfants et longtemps cheminé ensemble malgré les aléas de la vie. Ma vie a été très belle, relativement réussie. Beaucoup de chance, de privilèges …, y compris celui d’avoir été ministre de 1988 à 1995. J’ai conduit des réunions nationales, internationales, régionales. J’ai préparé celle du Caire et celle de Pékin à Dakar, les plates-formes qui en sont issues sont toujours citées. Le contenu de notre plate-forme de Dakar, en particulier la question des petites filles et la question des violences faites aux femmes, reste à l’ordre du jour des débats et programmes internationaux.
Et il y a eu l’OIM.
Oui, j’ai servi les pays qui m’ont accordé leur confiance pendant dix ans. Dix ans de sacerdoce. Dialoguer avec les pays les plus nantis de notre Conseil pour faire valoir ses intérêts, ses attentes n’avait rien d’évident en 1999.
Travailler dans la migration, c’est faire émerger en surface beaucoup de sentiments forts; ça vous prend aux tripes. On ne peut pas en parler et être constant avec soi-même si l’on n’y croit pas, simplement parce que le sujet est à la mode. Je le vis encore à l’association Liberta, qui contribue à la prise en charge de victimes de la traite des êtres humains en Suisse romande. La traite est souvent confondue avec la prostitution, légale en Suisse. Les autorités sont en train de mettre en place une structure de coordination dont fera partie Liberia, qui dispose d’un numéro gratuit, le 0800 20 80 20, pour ceux qui veulent parler: femmes, hommes, autochtones, migrants de pays de l’Est, de l’Amérique latine, de l’Afrique. Là aussi, mon militantisme continue.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE LESURE
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