Alternance : une ambition manquée Par Abdou Latif COULIBALY

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En démocratie, un peuple a le droit, en se prononçant, de se tromper souverainement, sans avoir à rendre compte de ses choix, à qui que ce soit. La seule question qui mérite d’être posée est celle de savoir si les choix faits l’ont librement été. De ce point de vue, le peuple peut choisir les dirigeants qu’il estime devoir porter à la tête du pouvoir d’Etat, sans qu’on lui demande ou exige de lui qu’il explique ou justifie ses choix.

En 2000, le peuple sénégalais a fait le choix de congédier le régime socialiste qui était en place, depuis quarante ans. Ce dernier avait fini de montrer toutes ses limites et son incapacité à continuer à conduire, de façon heureuse, le destin du peuple. Il est clair que le choix fait par les Sénégalais marquait la lucidité d’un peuple et sa volonté d’exercer souverainement son pouvoir de changement. Les démocrates du pays et du monde entier avaient salué avec déférence la décision d’un peuple souverain et avaient félicité les acteurs de la vie politique sénégalaise. Vainqueurs et vaincus étaient confondus dans le même torrent d’éloges dont les échos résonnaient partout à travers le monde. Le choix de changer de dirigeants marquait incontestablement la lucidité d’un peuple. On peut, tout autant aujourd’hui dire, avec le recul, que la même lucidité avait manqué, quant au choix final porté sur un homme et son offre politique. Onze ans de pratique du pouvoir par ceux qui avaient été désignés par le suffrage universel en 2000, ont largement prouvé que les changements d’hommes étaient loin de constituer des garanties certaines, quant à la manière de diriger et de conduire le destin d’un peuple. Les Sénégalais ne regrettent point d’avoir congédié les socialistes en 2000.

Onze ans après la défaite qui leur a été infligée, ils considèrent, à juste titre, qu’ils avaient raison de le faire, même si aujourd’hui ils regrettent profondément que les pratiques qui marquaient la présence des mêmes socialistes à la tête de l’Etat, soient maintenues dans des proportions jamais égalées par le passé. C’est dire que le peuple s’est lourdement trompé dans le choix de la personnalité qui devait animer l’équipe ayant eu l’avantage de bénéficier de l’alternance décidée par le peuple. Le Sénégal a été oublié, car l’alternance a consacré le règne des médiocres, la promotion des corrompus et des corrupteurs, le massacre des valeurs morales et de l’éthique. Elle a surtout engagé la République dans un profond abîme. En définitive, le Sopi porté au pouvoir en 2000 se présente comme une ambition manquée pour le Sénégal et pour les Sénégalais.

Voici 37 ans et le Sopi et son inventeur génial, Abdoulaye Wade occupent une place de premier choix dans le paysage politique sénégalais. 26 ans d’opposition entrecoupés de participation dans des gouvernements de majorité présidentielle élargie sous le magistère de Abdou Diouf et dix ans à la tête de l’Etat. Il a beaucoup fasciné. Il révulse tout autant, amuse et révolte au-delà même des frontières nationales. « Un président spécial », disait de lui, l’ancien président de la Banque mondiale. Un homme politique au charisme certain, même s’il n’en a pas fait un bon usage, une fois élu président de la République. Au crépuscule de sa vie politique, on notera que cette personnalité avait certainement une grande ambition pour le Sénégal et que, comme les gens de sa génération, souhaitait entrer dans la postérité en homme providentiel. Il a contribué, dans l’opposition, de façon majeure, à la construction du projet démocratique national. Ne pas le reconnaître, serait faire preuve de mauvaise foi ou de cécité. C’est selon.

Arrivé essoufflé au pouvoir, alors qu’il n’y croyait plus, son obsession a été d’amasser le plus de moyens et de biens matériels, toujours des moyens, en particulier de l’argent. Amasser de l’argent, encore de l’argent, toujours de l’argent ! Comme pour donner toute la mesure de ses intentions au moment de s’installer. Il confiait à Idrissa Seck, dès les premières heures de son installation dans le fauteuil présidentiel : « nos soucis d’argent sont finis ». Quitte à mettre le Sénégal à genoux. Comme c’est le cas aujourd’hui. L’Alternance coule le Sénégal, disons-nous. Le constat est là, triste, onze ans après l’installation du Sopi au pouvoir. Jamais notre pays n’a connu une telle misère sociale, économique et éthique du fait de l’ambition personnelle d’un homme, à cause d’une absence totale de vision, du sens de l’Etat, du cynisme, sur fond de démagogie irréductible de l’homme qui a été élu en 2000. Le paradis promis est devenu un enfer.

Abdoulaye Wade croit toujours avoir, comme dirait l’autre, des convictions et une vision pour ce pays, alors qu’il n’a plus guère que des emportements et des fanfaronnades. Le Sénégal et les Sénégalais en ont beaucoup souffert et continuent encore d’en souffrir. Abdoulaye Wade se présente aujourd’hui à nous comme un naufragé de l’Espérance. Cet homme qui, même au pouvoir, n’a jamais su se départir de son statut d’opposant (voir L’alternance piégée), fait aujourd’hui l’objet d’un rejet franc et massif d’une partie de la population, même s’il s’obstine à faire croire que sa popularité du début de son premier mandat acquis en 2000 est encore intacte. Récusation d’autant plus violente qu’elle procède d’un dépit amoureux.

Avec la célébration du onzième anniversaire de l’Alternance, on peut affirmer, sans risque d’être démenti par les faits politiques, que le Sopi, son chef en particulier, a raté son rendez-vous avec l’Histoire. N’eût été le mal incommensurable que son équipe et lui-même ont fait à la République et aux institutions, ce vieil homme aurait pu, dans une certaine mesure susciter de la compassion. Comment, en effet, les Sénégalais, en particulier les démocrates de ce pays, pouvaient-ils rester sourds à tant de « souffrances bafouées », pour parler comme Léopold Sédar Senghor, le poète-président. Nous fêtons le onzième anniversaire de l’Alternance, avec le profond sentiment que si l’ambition qu’Abdoulaye Wade avait pour son pays a été plombée, c’est parce qu‘il s’est livré à une véritable entreprise de mise en abîme de l’Etat et de la République, en particulier. Ce onzième anniversaire consacre définitivement la désagrégation de cette ambition.

Sur tous les plans, en particulier sur le plan économique, comme le montrent cette étude réalisée sur les tendances majeures de l’économie sénégalaise que nous publions et le rappel des différentes et nombreuses promesses de l’homme qu’il n’a jamais su honorées. Célébrer le onzième anniversaire ne devrait pas se limiter à faire les constats d’échec de l’alternance. Cette célébration doit également constituer un moment de réflexion devant nous conduire à une prise de position contre les dérives enfantées par cette Alternance. Une telle prise de position ne relève nullement d’un acte de courage. Elle procède plutôt et surtout d’un engagement patriotique face auquel aucun citoyen honnête et conscient ne peut se dérober.

Aujourd’hui, plusieurs citoyens résidant à l’intérieur, comme à l’extérieur du pays, sont plus que jamais convaincus que les mois qui nous séparent de l’échéance présidentielle de 2012, vont s’avérer décisifs, en ce qu’ils permettront ou non à ceux qui sont décidés à lutter pour la sauvegarde de l’intérêt national, des valeurs essentielles de la République et de la démocratie, de se donner tous les moyens et les chances d’un nouveau départ prometteur. La prochaine échéance présidentielle va consacrer, quelle que soit la personne qui sera élue, la fin d’un cycle politique. Elle va également coïncider avec la naissance d’une nouvelle génération de femmes et d’hommes engagés en politique. Le Sénégal n’a jamais eu autant de chances qu’aujourd’hui de procéder à un rajeunissement conséquent de sa classe politique. On espère tous que le pays saura saisir cette opportunité pour réussir cette formidable mutation qui lui donnera les moyens de placer aux postes de commande les plus stratégiques le personnel le plus qualifié et le mieux outillé, pour faire face aux nombreux défis qui se posent à nous. Il faut éviter de se tromper comme en 2000. Ainsi, nous regretterons moins et donnerons une signification plus positive, aux choix que nous avons faits il ya onze ans.

Abdou Latif COULIBALY

lagazette.sn

 

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