Le ministre de l’Economie et des Finances a voulu démontrer que son gouvernement a su préserver tout le crédit du pays par rapport à ses engagements extérieurs, et qu’il ne saurait se trouver à court de finances. Il n’a toutefois pas su montrer par quels mécanismes il allait pouvoir financer des programmes nécessitant des ressources longues.
En une quinzaine de jours d’intervalle, deux opérations financières du Sénégal sur le marché financier régional de l’Afrique de l’ouest ont donné des résultats contrastés. L’émission obligataire de 25 milliards de francs Cfa pour 3 ans, lancée le 12 juillet dernier, a rapporté 6,5 milliards de francs Cfa, tandis que les bons du Trésor proposés le 26 passé, ont été couverts à 125,4%, et rapporté plus de 31 milliards au lieu des 25 recherchés. Le ministre de l’Economie et des Finances est monté lui-même, au créneau, pour expliquer que les deux opérations étaient un énorme succès pour le pays.
Hier, au cours de l’émission Grand Jury, animée par Mamoudou Ibra Kane sur la Rfm, le ministre Amadou Kane a presque repris les termes du communiqué que ses services avaient sortis, pour affirmer que, si le Sénégal a été en mesure de rejeter plus de 10,2 milliards de francs Cfa, c’est parce qu’il ne voulait plus prendre de l’argent à n’importe quelles conditions. Et les investisseurs l’auraient si bien compris que certains parmi eux, se sont même empressés de se proposer d’acheter les bons du Trésor émis, même à des taux d’intérêt de 4,5%, alors que pour les obligations, certains demandaient jusqu’à 8% de crédit.
Bon pour le court terme
Le raisonnement de Amadou Kane est très intéressant, sauf qu’il occulte le fait que les 31,3 milliards de francs que sa levée de bons du Trésor a engrangé, devront être impérativement remboursés dès juillet de l’année prochaine, et avec les intérêts. Auraient-ils servis à autre chose qu’à payer des salaires ou à entretenir une certaine clientèle, politique ou d’affairistes, il faudra le démontrer. De plus, l’émission obligataire du 12 juillet dernier, d’une maturité de trois ans, a beau ne pas avoir figuré dans le calendrier initial transmis aux investisseurs, elle n’a pas été lancée comme un ballon de sonde, ou pour rapporter moins que ce que les émetteurs cherchaient. Le fait qu’elle ait été snobée, en cette période de tension de trésorerie que le ministre ne cherche même pas à cacher, n’est pas le signe d’une confiance d’airain pour le long terme, de la part des partenaires.
On a beau dire aux investisseurs que l’on n’est pas disposé à prendre n’importe quel argent à n’importe quel prix, l’on doit, pour être entendu, être en mesure de pouvoir imposer ses conditions. Or, l’état de notre économie, tel que décrit par le ministre de l’Economie et des Finances lui-même hier, à Mamoudou Ibra Kane, ne donne pas beaucoup de leviers aux décideurs.
Moins-value de recettes de plus de 57 milliards
Voilà un pays, sans grandes ressources, dont l’encours de la dette atteint déjà 40% du budget, et qui a connu, en un an, une augmentation de 25%, entre 2010 et 2011. Le service de cette dette, c’est-à-dire, le remboursement annuel en capital et en intérêts, représente 37% de nos recettes. Or, les normes admises de viabilité imposent, indique le ministre, que l’on n’atteigne pas les 30%.
Par ailleurs, depuis quelques mois, les recettes de l’Etat, composées essentiellement des collectes d’impôts et des droits de douane, ne suffisent plus à couvrir les besoins des dépenses. Le pays a donc impérativement besoin d’argent, d’autant plus qu’il doit investir dans des infrastructures, pour mettre son outil de production à niveau. C’est d’ailleurs, explique Amadou Kane, pour «rattraper des moins values de recettes» que l’émission obligataire a été lancée ; une moins-value de recettes évaluée par ses services à 57,919 milliards de francs Cfa.
Où trouver l’argent ?
Mais le ministre nous dit de ne pas nous en faire. Le Sénégal n’a pas attendu le marché financier régional de l’Uemoa pour trouver de l’argent à l’international. Il y a eu, selon lui, et il y aura encore, la coopération bilatérale avec certains partenaires, l’appui budgétaire avec d’autres, le marché financier international, où le Sénégal a pu lever 500 millions de dollars pour dix ans. Entre autres…
Et tout ce monde n’a jamais fait la fine bouche pour honorer la signature du Sénégal. Quoique, plus tard, M. Kane a ajouté que le flop relatif de l’émission du 12 juillet n’était pas le premier dans son genre.
L’important ici, une fois de plus, c’est de savoir si le pays a plusieurs options qui s’offrent à lui, dans l’hypothèse où il a besoin, comme maintenant, de ressources longues. Sa formation de banquier permet certainement au ministre des Finances de répondre à cette question. Et même s’il n’y répondait pas ouvertement, il devrait le plus rapidement possible mettre en œuvre les moyens pour permettre à l’Etat de subvenir à ses besoins sans trop s’enfoncer dans la dette comme il a été obligé de le faire ces derniers mois.
lequotidien.sn
une bonne analyse, très pertinente avec beaucoup de questions sans réponses !!!