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Appel au dialogue politique du gouvernement : 3 bonnes raisons de ne pas y répondre

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Une fois de plus, sur le parvis de la grande mosquée de Dakar après la prière de l’Aïd El Kébir, le Président Macky Sall avait appelé au dialogue politique en vue d’améliorer notamment le processus électoral qui venait d’être mis en mal par une gestion cahoteuse de 47 listes de candidats en présence. Cet énième appel au dialogue politique doit être traduit, dans les faits, par le nouveau Ministre de l’intérieur, Aly NGouille Ndiaye. Ce dernier demande à être jugé sur ses actes et appelle l’ensemble des partis politiques légalement constitué à se retrouver autour d’une table le 21 novembre prochain en vue de l’établissement des termes de références d’un dialogue politique. Si quelques menus fretins de la classe politique cautionnent cette manœuvre de plus du gouvernement, plusieurs responsables de l’opposition significative ont décliné cette invitation non pas parce qu’ils ne croient pas aux vertus du dialogue politique dans une démocratie, mais plutôt du fait d’un manque de sincérité de la part du gouvernement. Loin d’être extrémiste ou de ressembler à une surenchère, leur position paraît juste et pertinente à la lumière des trois (3) raisons développées ci-après.

Organisation du dialogue politique : un mode opératoire inefficace avec en toile de fond des calculs politiques malsains

Pour ceux qui sont amnésiques ou qui ne le savent pas, il serait utile de rappeler une page de notre histoire électorale récente pour mieux comprendre le caractère manœuvrier de l’appel au dialogue politique que s’est livré le Ministre de l’intérieur à l suite du Président Macky Sall.

Les élections régionales et municipales du 24 novembre 1996 avaient donné une large victoire au PS, alors au pouvoir. Leur organisation était émaillée de toute sorte d’insuffisances et de lacunes au point d’en altérer la crédibilité. Ainsi, avant le jour de l’élection, il fut découvert un stock mort d’un million de cartes d’électeur vierges (elles étaient gérées par une société espagnole). Au jour du scrutin, on a constaté qu’il n’y avait pas d’isoloirs ni suffisamment de bulletins de vote (des partis de l’opposition) dans certains bureaux de vote. Bref, ce fut une désorganisation complète comme celle ayant marqué le scrutin du 31 juillet 2017. Alors que le PS jubilait suite à la proclamation des résultats qui lui assurait une confortable majorité, l’opposition dénonçait cette mascarade de plus et en appelait au Président Abdou Diouf. Ce dernier, face au caractère avéré des faits prouvant la mal organisation des élections, décida, contre toute attente, par décret no 97-146 du 13 février 1997, de mettre sur pied une commission cellulaire de concertation chargée d’organiser la concertation entre les partis politiques. Cette commission cellulaire était dirigée par l’ancien Doyen de la faculté des sciences juridiques de l’UCAD et Vice-président du Conseil constitutionnel (Pr Ibou Diaïté) et composée d’éminents experts (les professeurs Moustapha Sourang, Babacar Kanté et El-Hadji MBodji ainsi que de Magib Seck ancien Directeur des collectivités locales). Selon les termes du décret, son mandat était de a) procéder à l’évaluation objective du déroulement des élections du 24 novembre 1996, de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats définitifs ; b) situer les insuffisances ou manquements constatés dans l’organisation du scrutin ; c) proposer, sur la base du code électoral et de tout autre texte pertinent dans le cadre des institutions de la République, toutes les mesures de sauvegarde de contrôle et de corrections nécessaires. La suite est connue : le dialogue politique qui s’était noué sur la base des travaux de cette commission cellulaire avait permis au Sénégal de faire des avancées significatives en matière de gestion du processus électoral et contribué, par exemple, à la bonne organisation des élections de 2000 qui ont vu l’avènement de la première alternance démocratique dans notre pays. C’est un pan de l’histoire politique sénégalaise qui mérite d’être rappelé, car il nous donne des clés de lecture et d’analyse de la situation actuelle.

Toutes proportions gardées, les dysfonctionnements enregistrés lors du scrutin législatif du 31 juillet 2017 sont similaires à ceux du 24 novembre 1996. Abdou Diouf, avec tout ce que l’on pouvait lui reprocher, avait agi en patriote en privilégiant les intérêts du Sénégal par rapport à ceux de son parti. Quelle a été l’attitude de Macky Sall et de son Ministre de l’Intérieur face aux nombreux dysfonctionnements constatés lors des dernières élections législatives ? Leur réponse est de convier les 294 partis politiques légalement constitués à une rencontre d’échanges sur le processus électoral à l’hôtel Ngor Diarama, le 21 novembre. L’objectif serait de « faire des échanges pour ensuite mettre sur pied des commissions techniques chargées de poursuivre la réflexion et produire des rapports qui serviraient de base de discussions entre le pouvoir et l’opposition ». Voilà une belle manière de noyer un poisson dans l’eau et/ou de jeter un os à ronger à l’opposition en préparant, à l’abri des regards, les conditions d’une réélection au premier tour en 2019. Cette façon de faire, outre son inefficacité, montre les desseins machiavéliques qui sous-tendent l’appel au dialogue politique lancé par Macky Sall.

On ne va pas exiger de Macky Sall de faire la même chose qu’Abdou Diouf il y a 20 ans. Cependant, toutes les personnes sérieuses et averties, dotées tant soit peu d’une once de bonne foi, savent qu’une concertation de ce type ne s’improvise pas et se prépare au risque de tomber dans une foire d’empoigne et de discussions qui friseraient le monologue au lieu d’être un moment de dialogue franc et fructueux. En effet, il est prouvé que la réussite d’une concertation dépend d’un certain nombre de facteurs notamment le besoin partagé de dialoguer, la définition préalable des objectifs et des résultats attendus ainsi que le respect d’un certain nombre de règles d’éthique dans la conduite du processus. Si le gouvernement était animé de bonnes intentions, il aurait commis les corps de contrôle de l’État ou mis sur pied une commission d’enquête pour faire la lumière sur le coût démesuré des cartes biométriques et sur les graves dysfonctionnements qui ont marqué aussi bien le processus électoral que le vote le jour du scrutin. Une telle démarche aurait sans doute permis de disposer des résultats d’une évaluation rigoureuse de la situation assortis de recommandations, lesquels serviraient de base à un dialogue franc, ouvert, constructif et pragmatique.  De tout ceci, rien n’est fait. De plus, le fait de convoquer tous les 294 partis politiques légalement constitués dénote d’un manque de professionnalisme et de sérieux de la part des autorités gouvernementales. En procédant de la sorte, c’est une stratégie bien mûrie qui est mise en place pour contenir les velléités de l’opposition : le Ministre de l’Intérieur pourra compter sur les partis politiques fantômes, toujours abonnés absents et qui utilisent leur récépissé comme un titre boursier, pour « neutraliser » les responsables de partis politiques sérieux, participant régulièrement aux joutes électorales et disposant de structures fonctionnelles.

Le fait accompli et l’effet surprise comme mode de gestion : jamais de dialogue sur les sujets importants

Le Président Macky Sall a fini de révéler son vrai visage au peuple sénégalais : en plus d’être un as du « waax waxèt », il est un farouche adepte d’un style de gestion qui consiste à mettre ses adversaires devant le fait accompli et/ou à les prendre par surprise. Il ne dialogue jamais sur les questions qui constituent un enjeu national réel. Le rappel des faits, ci-après, nous le démontre.

En mars 2013, il lance les travaux d’une réforme majeure et transformatrice, l’acte III de la décentralisation. Pour une réforme qui se voulait participative et inclusive, tout était pensé et écrit, dans la réalité, par un comité restreint d’experts, totalement aux ordres, avec à leur tête Ismaïla Madior Fall. Les partis politiques et la société civile n’avaient servi que faire valoir à une concertation qui n’en était que de nom. Mais chose plus grave, les principales parties prenantes à la mise en œuvre de ce qui devrait être la réforme étaient écartées, donc n’ont pas été consultées. Il s’agit des élus locaux (présidents des conseils régionaux, maires, etc.), des acteurs locaux (agences régionales de développement, des citoyens, etc.). Pire, le gouvernement a fait adopter, sans débats, la loi portant la réforme le 19 décembre 2013 aux encablures du Magal de Touba par une poignée de députés de sa coalisation. Macky Sall et son ministre de la décentralisation de l’époque (Oumar Youm, devenu entretemps son Directeur de cabinet) étaient restés sourds à tous les appels préconisant une démarche participative et inclusive. Aujourd’hui, après 3 ans de mise en œuvre, le gouvernement s’est rendu compte de son erreur de n’avoir pas entendu les hommes et les femmes qui font tourner les collectivités locales au quotidien, eu égard aux nombreux impairs et dysfonctionnements constatés. On commence à parler d’une réforme « de la réforme » qui va intervenir bientôt. Voilà ce qui arrive lorsqu’on n’écoute pas et qu’on est peu enclin au dialogue.

Le 20 mars 2016, les Sénégalais étaient convoqués aux urnes pour un référendum visant à modifier la Constitution. La Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI) présidée par le Pr Amadou Makhtar MBow, dans son rapport final remis à Macky Sall avait formulé des recommandations notamment sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans qui cristallisait le débat national. Le rapport était également accompagné d’un avant-projet de Constitution très avant-gardiste que la CNRI recommandait de faire adopter. Devant ces enjeux si importants, qui déterminent l’avenir de notre nation, Macky Sall et son juriste-tailleur n’avaient de mieux à faire qu’à nous concocter un référendum constitutionnel articulé autour de 15 points. Ainsi, en plus du point central portant sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, les sénégalais étaient appelés à voter sur 14 autres points choisis par Macky Sall et ses conseillers dans le secret de leurs officines, sans aucune consultation. Un des points dénoncés par toute l’opposition et la société civile était relatif à la promotion de la gouvernance locale et du développement territorial par la création du haut conseil des collectivités territoriales (HCCT). Beaucoup s’étaient opposé à la création de cette nouvelle organisation budgétivore qui servirait au recasement de la clientèle politique et constituerait un moyen détourné de ressusciter le Sénat qu’il avait lui-même supprimé au début de son mandat. Là encore, Macky Sall a fait preuve d’une étonnante surdité en plus de jouer au plus fin avec son opposition dans le but de satisfaire des intérêts partisans. Il avait rejeté, du revers de la main, la proposition de certains partis d’opposition lui demandant de faire adopter, sans aucune modification, l’avant-projet de Constitution rédigé et proposé par la CNRI.

En mai 2015, Macky Sall se lève et décide, sans consulter personne, d’envoyer un contingent de 2 100 soldats sénégalais en Arabie Saoudite dans le but, selon lui et son ancien Ministre des affaires étrangères (Mankeur Ndiaye), de protéger et de sécuriser les lieux saints de l’Islam. Dans tous les pays démocratiques du monde, le Président de la république ne peut prendre une telle décision sans recevoir, informer et recueillir les avis des principaux responsables de l’opposition. C’est grâce à la mobilisation de l’opinion publique toute entière, outrée d’apprendre que nos vaillants soldats serviraient de chairs à canon dans le conflit au Yemen où l’Arabie Saoudite s’est embourbée, que Macky Sall et son gouvernement avaient reculé. Encore, plus près de nous, depuis que le Sénégal est exposé au péril Jihadiste qui sévit dans les pays limitrophes, personne n’a vu ni entendu Macky Sall ou son ministre de l’Intérieur recevoir les principaux chefs de l’opposition pour échanger avec eux sur ce sujet dont les enjeux dépassent nos propres personnes.

Des rencontres au nom du dialogue national restées sans suite

Depuis son installation à la tête du pouvoir, on a l’impression que les appels au dialogue faits par Macky Sall et son gouvernement visent à leur permettre d’instrumentaliser l’opposition, du moins une partie de celle-ci qui se prête au jeu, à des fins politiciennes. On ne peut pas penser autrement lorsqu’on voit le grand cérémonial tenu, le 28 mai 2016, sous l’appellation pompeuse de dialogue national, lequel n’a donné à aucun résultat concret, sinon un épais brouillard qui a permis de voiler la libération de Karim Wade suivie de son exil. Ce jour-là, tout ce que le Sénégal compte de « m’as-tu vu ? » s’était donné rendez à la salle des banquets du Palais de la République pour se livrer à un show de 16 heures jusqu’à minuit et demi, soit plus de 8 tours d’horloge. Au cours de cette rencontre, Macky Sall a annoncé la mise en place d’un Comité de pilotage du dialogue national composé des représentants de l’ensemble des participants, puis pris la décision d’institutionnaliser le 28 mai journée du dialogue national.

Qu’en est-il plus d’une année après ces annonces ? Rien n’a été fait, comme d’habitude. Le Comité de pilotage du dialogue national, qui devait travailler sous la houlette du Ministre de l’intérieur de l’époque (Abdoulaye Daouda Diallo) n’a pas été entièrement opérationnel. Le caractère sectaire et partisan de ce ministre n’est pas étranger à cet immobilisme. La cérémonie officielle de la deuxième édition de la journée nationale du dialogue, qui devait se tenir le 28 mai 2017, n’a pas eu lieu, puis que reportée, sous prétexte du ramadan qui pointait à l’horizon et de la préparation des législatives de juillet 2017. En définitive, force est de reconnaître que les faits ont donné raison aux partis de l’opposition qui avaient décliné l’invitation notamment le Rewmi d’Idrissa Seck, le Bokk Gis-Gis de Pape Diop et le Grand parti de Malick Gakou.

En conclusion, aucun homme politique ou femme politique sérieux(se) et libre ne peut répondre favorablement à cet appel au dialogue politique. Celles et ceux qui se sont empressés d’y répondre positivement ou d’essayer d’influencer les autres à y répondre favorablement à l’aide déclarations médiatiques faites avec beaucoup de contorsions, n’ont pas d’autres choix : bien que se réclamant de l’opposition, ils sont les alliés les plus sûrs et les plus objectifs du pouvoir en place, car ce dernier fait peser au-dessus de leur tête l’épée de Damoclès (réactivation de leurs dossiers « mis sur le coude » au niveau de la CREI, menaces de poursuite pour prévarications avec les deniers publics dans l’exercice de responsabilités antérieures, etc.). Ce ne serait pas le traditionnel « massla » qui va nous faire débarrasser du plancher ce pouvoir incompétent, corrompu et manipulateur. Il faudrait que les patriotes, qui n’ont rien à se reprocher ni des squelettes dans leurs placards fassent preuve de beaucoup de « fula » et de « fayda » en sachant lui dire NON haut et fort. J’emprunte le mot de la fin au grand intellectuel africain et homme politique engagé que fût le Professeur Joseph Ki-Zerbo en rappelant sa magnifique mise en garde à propos du combat politique : « nan lara, an sara » (quand on se couche, on est mort).

Ibrahima Sadikh NDour

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