Cette fois-ci ce n’est pas un vieux nègre qui reçoit une médaille de son maître, mais un jeune président d’un pays africain « indépendant » qui décore le ministre de l’économie et des finances de l’ancienne métropole.
Quoi de plus normal dirons certains, car non seulement le temps des colonies est révolu, mais la France et le Sénégal entretiennent de très bonnes relations. De plus, la décoration de l’ordre national relève du pouvoir discrétionnaire du président Macky Sall. Dès lors il peut en user comme bon lui semble. Je leur répondrai que le geste que ce dernier a posé est aussi maladroit que sa portée est méprisante à l’encontre de ceux qui luttent et risquent souvent leur vie régulièrement pour la souveraineté de l’Afrique en général et du Sénégal en particulier.
Comment féliciter, voire encourager le « gérant » du ministère dont dépend le franc CFA, au moment où cette monnaie coloniale est régulièrement décriée par de nombreux citoyens de pays qui l’utilisent ; au moment où plusieurs marches et conférences sont organisées tant au niveau national qu’international pour montrer ses failles et surtout son anachronisme afin de mieux accélérer son démantèlement.
Comme Alassane Ouattara, qui a fait expulser de son pays le militant anti-CFA Kémi Séba il y a quelques jours – acte qui rappelle celui du président sénégalais il y a quelques années ; comme le président ivoirien qui, sans être interrogé, a défendu bec et ongle le franc CFA, devant de nombreux médias, dans la cour de l’Élysée, le président Macky Sall a posé un geste symbolique en se rangeant davantage derrière la France à travers la décoration de son ministre de l’économie et des finances. Ce qui d’autant moins surprenant qu’il avait non seulement déclaré un jour que le CFA était une bonne monnaie mais l’ancienne métropole n’a jamais été aussi présente au Sénégal que sous sa présidence, comme le rappelle Boubacar Boris Diop à quelques occasions. Le geste du président Sall constitue en outre un pied de nez à ceux qui luttent pour la souveraineté du pays. N’oublions pas que certains membres du mouvement Frapp France dégage, qui ne font que dénoncer pacifiquement la présence néocoloniale française dans le pays, ont été arrêtés ces derniers jours. Même si l’on peut ne pas être d’accord sur quelques-unes des méthodes employées par ces combattants pour la souveraineté, le combat qu’ils mènent est d’autant plus noble qu’ils le font pour l’intérêt général. Qui plus est, comme Mongo Béti qui disait que: « La tutelle et le développement sont incompatibles; le préalable au déclenchement du processus de développement, c’est la fin de toute tutelle coloniale ou néocoloniale, » ils ont très bien compris que la souveraineté est nécessaire au développement d’un pays même si elle n’est pas suffisante.
La décoration de Bruno Le Maire est d’autant plus inopportune et ubuesque que ce dernier a affirmé que : « C’est faux de dire que le franc Cfa n’est pas un bon modèle ». En plus d’être paternaliste – dire au Africains ce qui est bon ou ce qui est mal pour eux -, cette assertion constitue un manque de respect manifeste et surtout une insulte à l’intelligentsia Africaine et à bien d’autres intellectuels qui ont sérieusement réfléchi sur les tenants et les aboutissants de cette monnaie coloniale que l’on traîne comme un boulet depuis plusieurs décennies. De Pouémi à Ndongo Samba Sylla, en passant par Nicolas Agbohou, Demba Moussa Dembélé, Kako Nubukpo… nombreux sont les grands économistes du continent qui ont prouvé, à travers d’études documentées et objectives, que le franc CFA a plus d’inconvénients que d’avantages sur les économies des pays qui l’utilisent. Sans parler de l’infantilisation qu’elle constitue pour les 14 pays qui l’utilisent encore sur le continent.
Cependant d’aucuns persistent à penser que même si cela est vrai, il n’y a pas encore mieux que cette monnaie. Soit. Mais de nombreux dirigeants ne veulent même pas entendre parler de quitter la zone CFA. Autre chose peut être pourtant essayé – espérons ce sera bientôt cas avec la nouvelle monnaie dont on parle. S’il y a des anomalies, des améliorations peuvent être apportées au fil du temps. Le chemin se fait en marchant. Aucun système humain n’est descendu parfait. On le perfectionne après l’avoir mis en application. Mais les rémanences de la colonisation poussent nombre d’Africains à penser que rien ne peut marcher sur le continent sans le « soutien » des anciens maîtres.
Au final, c’est cette phrase d’Achille Mbembé qui me vient à l’esprit : « On ne peut pas libérer des gens qui ne pensent pas du tout qu’ils sont asservis. » Notre président semble ignorer que, à travers le franc Cfa, notre pays et bien d’autres sont asservis parce que ne disposant de souveraineté monétaire, et partant de souveraineté politique. Mais malheureusement, dans le monde, il n’y a qu’en Afrique où l’on honore ses bourreaux en leur donnant entre autres des noms de rue, d’écoles, de places publiques; en sculptant des statues en leur honneur ou en les décorant tout simplement
BOSSE NDOYE
Montréal
[email protected]
asservissement du peuple (Par Bosse Ndoye).
Date: