La compagnie soudanaise de téléphonie opérant au Sénégal, Sudatel, a sorti ce mardi un communiqué pour, dit-elle, apporter certaines « précisions » sur le processus ayant abouti en 2007 à l’attribution d’une licence globale, sur les conditions d’exploitation de ladite licence et sur l’ampleur de ses investissements. La Gazette a relevé des incohérences et n’a pu s’empêcher de revisiter le rapport public d’adjudication affiché sur le site de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp). Au moment où nous publions les articles qui ont fait sortir de son mutisme la société Expresso, le rapport d’adjudication était affiché sur le site de l’Artp sous la mention 3e licence. A notre grande surprise, cette mention a disparu pour faire place à une rubrique dénommée « rapport d’adjudication 2e licence ».Qu’est ce que l’on tente de dissimuler, en jouant sur les mentions. On sait bien que Sudatel est titulaire de la 3e licence mais non de la deuxième…
L’OFFRE REELLE DE CELTEL CACHEE
La première contrevérité servie par Sudatel concerne le montant proposé par Celtel, lors de l’appel d’offres. Ce montant, comme nous le révélions dans nos précédentes livraisons, est beaucoup plus important que celui de Sudatel. En effet, dans la partie « analyse des propositions financières » il est mentionné que Celtel avait mis sur la table 112,5 millions de dollars. Véritable aberration : si l’on constate que la compagnie concurrente de Sudatel était prête à payer jusqu’à 210 millions de dollars. C’est d’ailleurs explicitement mentionné dans la « présentation des offres », contenues dans le rapport d’adjudication. Quelle justification l’Artp peut-elle présenter, quand elle prend sur elle la liberté d’apprécier l’offre financière de Celtel à partir d’une valeur centrale estimée à 112,5 millions de dollars, alors que pour Sudatel et Bintel, elle a considéré leur offre respective à partir de leur valeur réelle. Sur quoi les autorités qui avaient en charge l’arbitrage entre les trois postulants se sont fondées pour opérer ainsi ? Pourquoi n’ont elles pas appliqué la même logique à tous les concurrents ?
LE GRAND COUP DE BLUFF
Il a été soutenu dans le communiqué de la société Expresso que nous avons affirmé que Sudatel a obtenu sa licence selon une procédure de gré à gré. La Gazette a plutôt soutenu le contraire. Nous avons cependant clairement indiqué que l’appel d’offres organisé a été bidon, dans la mesure où tout a été très bien orchestré pour que l’affaire tombe entre les mains des Soudanais. Du coup, le processus enclenché du début à la fin n’a été qu’un coup de bluff. L’un des deux postulants n’avait pas d’ailleurs manqué de fustiger la magouille orchestrée au sommet pour faire gagner Sudatel. D’ailleurs, dans l’article intitulé « appel d’offres bidon » nous signalions l’existence de la lettre de l’Artp portant règlement de l’appel à la concurrence, en date du 11 août 2007. Celle-ci demandait aux différents opérateurs de lui faire parvenir leur offre ferme au plus tard le 31 août 2007 à 12 heures précises (heure de Dakar). Une commission ad hoc constituée par la suite se réunissait le 6 septembre 2007 à l’effet de procéder à l’ouverture publique des offres en présence des représentants des soumissionnaires.
Pour autant, Sudatel qui s’était attachée les services d’intermédiaires avec, bien évidemment, la complicité des autorités sénégalaises, avait remporté la compétition avant même d’avoir eu à se présenter. Et cela du fait de lobbyistes recommandés par la partie sénégalaise. Aussi, les intermédiaires conseillaient-ils l’opérateur soudanais sur toutes les questions de régulation découlant de l’acquisition en plus d’assurer la liaison avec les autorités de régulation compétentes. Sans considérer le fait qu’ils avaient également la mission d’accompagner leur client dans le but d’obtenir du ministère des Finances ou de tout autre organisme compétent une confirmation du régime fiscal spécial ainsi qu’une confirmation de l’autorité de régulation que la licence a été délivrée conformément aux lois et règlements en vigueur au Sénégal. La vente de cette licence a donné lieu au paiement de 40 millions de dollars à des étrangers et des responsables sénégalais hauts placés (20 milliards CFA).
Au chapitre des références et capacités techniques dans le domaine des télécommunications, on remarque que les Soudanais qui n’opéraient à l’époque qu’en Mauritanie et chez eux accusaient un large retard derrière Celtel. Cette dernière, sur ce plan, venait en pôle position avec des activités dans 14 pays africains à l’époque. En ce qui concerne le calendrier de couverture, Sudatel qui prévoyait de mailler l’intégralité du territoire national à sa cinquième année n’arrivait pas à la cheville Celtel, qui elle, s’était engagée à atteindre la couverture actuelle de la Sonatel en seulement deux ans. Selon des sources, les Soudanais ne doivent leur pénétration en terre sénégalaise que grâce aux relations entre l’ancien président mauritanien, Ely Ould Vall et le président Abdoulaye Wade.
S’agissant des capacités financières, Celtel était également très en avance sur tous les autres soumissionnaires. Son seul capital (4,7 milliards de dollars) fait plus de quatre fois celui de Soudan Telecom group (750 millions de dollars). Rien que son chiffre d’affaires moyen des deux derniers exercices était de 3 milliards 75 millions de dollars tandis que celui des Soudanais n’était que 1,1 milliard de dollars. Celtel dame aussi le pion à Sudatel dans sa capacité d’autofinancement (2,739 milliards de dollars contre 1,4 milliard). Sans considérer son investissement durant les deux derniers exercices qui ont précédé sa candidature pour la troisième licence sénégalaise (6,906 milliards) qui dépasse de loin ce que Sudatel a placé (515 millions de dollars) durant le même intervalle de temps.
Alioune Bardara COULIBALY