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Au-delà du carnage d’Ogossagou (Par Makhily Gassama/Boubacar Boris Diop)

Date:

Samedi 23 mars 2019, des hommes lourdement armés, en
tenue de chasseurs traditionnels Dogons, ont attaqué au
petit matin le village d’Ogossagou, dans le centre du Mali.
Au terme de plusieurs heures d’une opération
méthodiquement planifiée à l’avance, ils ont tué 160
innocents civils et blessé une cinquantaine d’autres, tous
des Peulhs. Dans leur rage de détruire, les assaillants ont
mis le feu à toutes les habitations et n’ont même pas cru
devoir épargner le bétail. L’attaque n’a pas été revendiquée
mais des regards accusateurs convergent, sans surprise,
vers la milice Dan Na Ambassagou, d’ailleurs dissoute dès le
lendemain par les autorités maliennes. Le bilan de ce
massacre est le plus lourd depuis juin 2017, date du début
des affrontements entre Peulhs et Dogons.
En raison de leur exceptionnelle gravité, ces faits criminels
ont immédiatement suscité un vif émoi et de fortes réactions
tant de la part des Nations-Unies que des organisations
africaines et internationales des Droits de l’Homme. Tout en
s’en félicitant, on peut se demander s’il ne s’agit
malheureusement pas là de déclarations rituelles, juste pour
le principe, sur une de ces ‘’tragédies africaines’’ si
récurrentes qu’on ne saurait leur accorder un intérêt
soutenu. Il est vrai que les gouvernements malien et
sénégalais, concernés au premier chef, ont envoyé au monde
un consternant message en ne jugeant même pas nécessaire
d’annuler, quatre jours après le carnage, un match de

football – simplement amical de surcroît – entre leurs deux
équipes nationales.
Mais si faible et ambiguë qu’ait pu être la réaction
internationale, elle aura au moins eu le mérite d’exister,
contrastant ainsi avec le silence, assourdissant et en un
sens surréaliste, de l’Union africaine et de la CEDEAO. Ces
deux entités ont été si souvent dans le rôle d’arbitres voire
de gendarmes dans les crises internes ou régionales de ces
dernières années, qu’on s’était mis à leur accorder un peu
plus de crédit et de respect que par le passé. En fait, elles ne
sont intervenues que dans les contentieux électoraux à
risque majeur ou pour remettre en place tel ou tel régime
renversé par un coup d’Etat militaire. Cela n’est certes pas
rien mais c’est singulièrement manquer de clairvoyance que
de réduire le destin des masses africaines à ces logiques de
partage du pouvoir entre élites.
L’absence totale d’intérêt de l’Union Africaine et de la
CEDEAO pour les événements du 23 mars dans le village-
martyr d’Ogossagou, est inacceptable et nous appelons de
tous nos vœux une réunion extraordinaire de l’une au moins
de ces deux organisations pour discuter, largement et en
profondeur, de la situation au Mali qui n’en finit pas de
mettre en péril depuis 2012 la paix et la stabilité de la région.
Nous jugeons essentiel d’identifier et de châtier les
commanditaires et les exécutants, à tous les échelons, de
cette abomination. Laisser impuni le meurtre d’un nombre
si élevé de paisibles villageois ne pourra qu’aviver des
sentiments de haine et agrandir le cercle des représailles.
Anticiper, pour conjurer toute escalade, sur des ardeurs
vengeresses pouvant être de plus en plus sanglantes, est une
priorité absolue de l’heure. Nous engageons les autorités
compétentes à s’y atteler et l’opinion publique africaine à
exercer sur elles une forte pression à cet effet.

Au-delà des considérations politiques, chacun de nous
devrait ressentir dans sa chair les souffrances inouïes de
paysans pour qui la vie était déjà bien difficile. Aucun
combat ne peut justifier que des humains meurent comme
des chiens. C’est donc avec émotion que nous présentons
nos condoléances au peuple frère malien et aux familles de
ces victimes qui n’aspiraient qu’à une existence tranquille et
digne.
On ne fera croire à personne que deux communautés ayant
vécu en bonne intelligence pendant des siècles peuvent en
arriver, presque du jour au lendemain, à de telles extrêmités.
Il est question dans cette affaire de bien autre chose que de
Dogons qui tuent des Peulhs et de Peulhs qui tuent des
Dogons. L’Histoire, en particulier celle de nos relations avec
les autres, montre à quel point de tels raccourcis arrangent
les affaires de forces malveillantes tapies dans l’ombre. L’on
ne peut comprendre ce qui est en jeu au Mali si on ne fait
pas l’effort d’aller au-delà des apparences et des fausses
évidences
Nous avons l’intime conviction qu’un processus mûrement
réfléchi de démantèlement de l’Etat malien est en cours. Le
pouvoir de Bamako est déjà privé, quasi officiellement, de
toute autorité sur Kidal au profit du MNLA, groupe rebelle
ami de la France et bénéficiant des complaisances du voisin
algérien. Comme ailleurs sur le continent des différends
ethniques, insignifiants en eux-mêmes, vont être
instrumentalisés au point de se traduire par une haine de
plus en plus meurtrière. Conformes aux stéréotypes racistes
d’une Afrique vouée à toutes les cruautés ethniques, elles
masqueront un projet cyniquement prémédité de
domination et de prédation. Le scénario se répète avec une
telle efficacité depuis si longtemps que le mettre en échec au
Mali pourrait annoncer des temps nouveaux pour un
continent tout entier.

C’est en ce sens que tout Africain et tout être humain de
bonne volonté se devrait de dire : ‘’Je suis Ogossagou !’’.
3ee3eee

3 Commentaires

  1. Si nous sommes si faibles, nous entre tuant entre nou pour des questions ethniques,à la merci de forces malveillantes tapies dans l’ombre qui tirent les ficelles, après soixante années d’indépendance, alors il y a lieu de se réveiller et d’y remédier avant que le continent s’embrase et que les problèmes lancinants s’exacerbent Il se fait tard. Réveillons nous pour y remédier avec détermination et résolution

    • N’OUBLIONS surtout pas l’obscurantisme dans lequel nous avons été plongés par un système éducatif pas du tout adapté à nos aspirations de peuples libres. Pire encore pour ceux qui ont été laissés en rade sans éducation aucune. De loin le colon continue toujours de nous teleguider avec le concours de ses représentants à la tête de nos états.

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