Depuis hier 12 octobre 2014, le Colonel de gendarmerie Abdoulaye Aziz Ndaw a fini de purger les 60 jours d’arrêt de forteresse que lui avait infligé sa hiérarchie. Depuis le 13 août 2014, l’auteur de deux brûlots, qui ont défrayé la chronique cet été sur la vie et la gestion de la maréchaussée sénégalaise, a été détenu dans les locaux de la Section de recherche de la Gendarmerie nationale à Colobane. La sanction administrative passée, que restera-t-il de cette affaire ? On peut bien croire qu’une fois tombé l’émoi suscité par les révélations du Colonel Ndaw dans les deux tomes de son pamphlet intitulés respectivement La mise à mort d’un officier et Pour l’honneur de la gendarmerie nationale, l’opinion publique ne saurait pas le fin mot de cette histoire. L’officier supérieur Ndaw a fait sienne la prescription de Beaumarchais qui disait que «quand il n’est plus temps de se taire, il faut tout déclarer». Ainsi, a-t-il déballé en portant des accusations graves et précises.
Que le Colonel Ndaw ait, dans son opération de règlement de comptes et de guerre lasse, violé délibérément les lois et règlements militaires pour espérer se faire entendre de sa hiérarchie ; que le Colonel Ndaw ait trahi des secrets militaires ou étalé sur la place publique des affaires hautement sensibles pour la Sécurité nationale ; qu’il soit apparu aux yeux de certains comme un aigri ; qu’il ait étalé sur la rue publique les détails d’une vie privée scabreuse de ses ennemis ; qu’il soit passible de sanctions pénales, disciplinaires ou même qu’il soit condamnable du point de vue moral, ou tout simplement qu’il soit le mouton noir de sa corporation ; il n’en demeure pas moins qu’il a interpellé le chef de l’Etat, chef suprême des armées, ses collègues officiers supérieurs et toute la Nation sénégalaise. Le Sénégal ne peut plus faire comme si les livres du colonel n’ont jamais existé. Au niveau le plus élevé de l’Etat, on a eu un haut-le-cœur devant la parution des brûlots. C’est sans doute légitime. Aucun Etat au monde n’aime les lanceurs d’alerte. On a encore en mémoire le sort réservé à Julian Assange responsable du site d’informations Wikileaks ou celui du jeune soldat américain Bradley Manning entre autres. Seulement, les organisations citoyennes et la presse au premier chef, devraient pousser à ce que les révélations ne tombent pas dans l’oubli.
Les personnes mises en cause par les révélations du Colonel Ndaw l’avaient menacé de leurs foudres. A la date d’aujourd’hui, aucune plainte n’est recensée au service du procureur de la République. Même pas une citation directe pour des faits de diffamation ! On semble préférer faire le dos rond. La seule réaction, si vraiment c’en est une, aura été celle du Général Abdoulaye Fall, qui s’était empressé d’envoyer un rapport au Président Macky Sall pour réfuter les accusations portées contre sa personne. Il semble vouloir s’en tenir à cela, et certains de ses proches travaillent pour lui faire retrouver son poste d’ambassadeur du Sénégal au Portugal et le cas échéant, notre pays serait bien ridicule. Ainsi, a-t-on vu récemment dans certains médias, que des «Sénégalais du Portugal» réclameraient son retour à un poste où il n’aura pas passé plus d’un trimestre ! Il est étonnant de constater que ce poste, qui n’est pourtant pas le moins important des postes diplomatiques du Sénégal, à l’étranger reste encore non pourvu. La première conseillère, Mme Geneviève Manel Faye, continue d’y faire office de chargée d’affaires ad interim. Voudrait-on attendre la fin des travaux d’un conseil d’enquête dont la mise en place annoncé avec tambours et trompettes attend encore d’être effective ? Le Président Macky Sall ne se presse pas pour tirer cette histoire au clair. Mais on peut parier que sorti de son emprisonnement administratif, le Colonel Ndaw reprendra la parole. On se souvient encore du commissaire divisionnaire Cheikhna Cheikh Saadibou Keïta, «banni» par la Police nationale et qui ne continue pas moins d’investir les plateaux de télévisions et les colonnes des journaux pour réitérer les graves accusations qu’il avait lui aussi portées à l’encontre de certains de ses supérieurs hiérarchiques qui seraient trempés dans des trafics de drogue. Dans le cas d’espèce, les personnes mises en cause avaient également fait le dos rond en se gardant de porter plainte. Seulement, le parquet de la République avait trouvé les faits suffisamment graves pour ouvrir une enquête judiciaire, même si les conditions et les circonstances de l’enquête avaient laissé bien de monde sur sa faim. Dans cette affaire de la gendarmerie, l’oubli semble être le choix des autorités de l’Etat. Mais a-t-on le droit de faire comme si des officiers supérieurs militaires n’avaient pas pactisé avec l’ennemi ? A-t-on le droit de ne pas situer les responsabilités sur des faits qui indiqueraient que des soldats étaient tombés sur le champ d’honneur du fait de l’irresponsabilité pour ne pas dire la cupidité d’officiers supérieurs ? A-t-on le droit de faire comme si de rien n’était quand on nous fait savoir que la Sécurité nationale a été mise en péril ; que des personnes qui ont pris des armes contre l’Armée nationale du Sénégal ont été armés, soutenus et protégés par des officiers supérieurs de cette même Armée nationale ? A-t-on le droit de fermer les yeux devant des faits de détournements de ressources destinées à des militaires engagés sur un champ de guerre au nom de leur Patrie ? Les faits sont si graves qu’ils seraient assimilables à de la haute trahison. «On nous tue mais on ne nous déshonore pas» : tel est pourtant la devise de l’Armée nationale du Sénégal.
L’attitude aux allures «ponce pilatistes» serait dictée par un souci des plus hautes autorités de ne point favoriser ou encourager des révélations du genre, qui mettraient en péril ou saperaient le moral des troupes. Ce serait peine perdue, car d’autres brûlots vont encore sortir sur la gendarmerie, sur la police et sur l’Armée nationale. En réalité, la situation d’impunité, qui a toujours eu cours dans les plus grands corps de l’Etat, a été le lit de pratiques inacceptables dans un pays respectable. Des officiers, des hommes de rang, des commissaires de police, des magistrats, des inspecteurs généraux d’Etat, des douaniers ou autres vont parler et publier des livres. Autant donc se mettre dans une logique de transparence et de cultiver le sens des responsabilités en tirant toutes les histoires au clair, de manière juste et impartiale pour que tous les coupables soient sanctionnés à la hauteur de leurs forfaits. «En ces temps d’imposture universelle (tromperie généralisée) dire la vérité est un acte révolutionnaire.» George Orwell.
Madiambal Diagne
lequotidien.sn
RIEN A DIRE MADIAMBAL,TON ANALYSE EST TRÉS PERTINENTE ET SUSCITE LE QUESTIONNEMENT VIS A VIS DE CEUX QUI NOUS DIRIGENT.