Le colonel Mouammar Kadhafi est le plus vieux dictateur de la planète: depuis 42 ans, il mène la Libye d’une main de fer. Même vieux et malade, il a compris très vite que la contagion révolutionnaire qui embrase le Proche-Orient pouvait atteindre son pays. De fait, la contestation a gagné hier Benghazi, deuxième ville de Lybie. Le régime mène depuis quelques jours une propagande intense sur le terrain même des partisans de la démocratie, les médias sociaux, pour dissuader les Libyens de descendre dans la rue aujourd’hui. Son offensive cybernétique aura-t-elle réussi à démobiliser les Libyens?
Q. Des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont eu lieu hier à Benghazi, à 1000 km de Tripoli. Pourquoi Benghazi se soulève-t-il avant la capitale?
R. «Le colonel Kadhafi a toujours eu de la difficulté à établir son autorité dans cette ville», note Miloud Chennoufi, professeur au Collège des Forces canadiennes à Toronto. Selon le journal Quryna, les manifestants d’hier, «auxquels se sont jointes des personnes munies d’armes blanches et de cocktails Molotov», ont marché jusqu’au centre-ville, où «ils ont incendié et endommagé des voitures, essayé de détériorer des biens publics, bloqué la route et jeté des pierres». Au moins une quarantaine de personnes ont été blessées.
Q. Ces manifestations précèdent les appels relayés par les médias sociaux à une grande journée d’opposition au régime, aujourd’hui, partout en Libye. Les Libyens descendront-ils dans les rues aujourd’hui?
R. C’est la grande question. Depuis quelques jours, sur Twitter et Facebook, les opposants au régime relaient l’appel à une manifestation le 17 février. «Mais il est très difficile de savoir qui, sur ces réseaux sociaux, se trouve en Libye et qui se trouve à l’étranger», dit M. Chennoufi. D’autant plus que le régime a appris de l’expérience tunisienne et égyptienne. «Depuis quelque temps, on assiste sur Facebook à une guerre entre partisans et détracteurs du régime. Kadhafi a compris qu’il ne pouvait contrer les réseaux sociaux, alors il a mobilisé une armée de jeunes – dont certains sont sûrement payés – pour contrecarrer et menacer les manifestants.» Ceux-ci inondent aussi les sites de discussion comme ceux de la télé Al-Jazira de commentaires peu subtils louangeant le régime libyen. L’enjeu, pour l’opposition, «est que les gens sortent à Tripoli» aujourd’hui, dit M. Chennoufi.
Q. Mouammar Kadhafi aurait-il compris plus vite qu’Hosni Moubarak que la colère de la rue peut menacer son régime?
R. «Il m’a étonné», confie d’emblée Miloud Chennoufi. «Kadhafi est malade, mais il a compris plus vite que les autres que la colère en Tunisie n’était pas un cas isolé.» Depuis le mois de janvier, rappelle l’observateur, la Libye a augmenté le salaire des fonctionnaires et s’est attaquée au problème du logement. Kadhafi a même reçu quelques représentants de la société civile qui ont réclamé un gouvernement plus responsable et refusé que son fils prenne sa succession. «Mais ça n’a pas suffi, puisqu’il y a eu le maintien de l’appel à la manifestation du 17 février.»
Q. Par qui est menée cette opposition au régime?
R. Dans les années 80 et 90, l’opposition au régime était surtout islamiste, dit M. Chennoufi. Les autres forces de l’opposition, libérales et démocratiques, ont souvent été obligées de s’exiler à cause de la répression. «Il y a déjà eu de la contestation dans les dernières années, mais la répression est tellement féroce là-bas qu’il faut comprendre les gens qui n’ont pas envie de sortir dans les rues pour manifester. Généralement, ce sont les premiers qui sortent qui risquent de payer le prix fort.»
Q. Quel pourrait être le rôle des «comités révolutionnaires» ?
R. Ces comités, décrits comme l’épine dorsale du régime libyen, disent être une preuve de démocratie en Libye, «ce qui est complètement faux», rappelle M. Chennoufi. Ils ont indiqué hier qu’ils ne permettraient pas à «des groupes qui agissent la nuit de piller les acquis du peuple et de menacer la sécurité du citoyen et la stabilité du pays». Mais si l’opposition réussit à fissurer les comités révolutionnaires, «peut-être que quelque chose de sérieux se produira», dit M. Chennoufi.
LA LIBYE EN BREF
SITUATION GÉOGRAPHIQUE
État d’Afrique, au bord de la Méditerranée, la Libye partage ses frontières avec la Tunisie et l’Algérie à l’ouest, le Tchad au sud, l’Égypte à l’est et le Soudan au sud-est.
SUPERFICIE: 1 759 540 km2. Désertique à 93%.
POPULATION: 6,3 millions d’habitants.
CAPITALE: Tripoli. Benghazi est la deuxième ville du pays, à 1000 km à l’est de Tripoli.
RELIGION: 97% de musulmans, essentiellement des sunnites, ainsi que 3% de chrétiens.
ÉCONOMIE: La Libye est l’un des principaux producteurs pétroliers en Afrique, avec 1,8 million de barils par jour. Le pétrole représente plus de 95% des exportations et 75% du budget de l’État.
DÉFENSE: 76 000 hommes, dont 50 000 pour l’armée de terre. Milice du peuple (réservistes): environ 40 000.
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