Les minutes de l’audience entre Wade et les syndicalistes de DDD
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’audience qu’il a accordée hier aux syndicalistes de la société de transport Dakar Dem Dikk a été une occasion pour le président de la République de faire des aveux de taille. Du genre que c’est hier qu’il a su que depuis cinq jours, les travailleurs de DDD sont en grève, ses plus proches collaborateurs, à commencer par le Premier ministre, ne le tiennent au courant de rien. Retour sur une audience pleine de rebondissements et au cours de laquelle, le directeur général de DDD, Christian Salvy a été immolé, Mamadou Goudiaby invité à choisir, séance tenante, le successeur de celui-ci, Pape Samba Mboup désigné pour faire avec le syndicaliste en chef l’inventaire des pièces de rechange, afin de redonner vie aux 300 bus qui dorment dans le hangar de la société de transport.
À quoi lui servent son bataillon de ministres conseillers, ainsi que les membres de son gouvernement ? La question a tout son pesant d’or, car, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, Wade a déclaré, hier, lors de l’audience accordée à Mamadou Goudiaby qu’il n’a jamais été au courant de la grève des travailleurs de Dakar Dem Dikk. Entouré du Premier ministre, de Abdourahim Agne, de Habib Sy et de Pape Samba Mboup, Me Wade a interpellé le secrétaire général des travailleurs de Dakar Dem Dikk, en ces termes : « alors, Mamadou Goudiaby, il paraît que depuis 5 jours, vous avez paralysé le trafic routier ». Réponse du chef de file des grévistes : « Avec votre permission, monsieur le président de la République, ce n’est pas depuis 5 jours, mais plutôt depuis 6 jours ». Et le chef de l’Etat, très en colère au point d’avoir pensé avant le début de l’audience, à dissoudre la société de transport, de revenir à la charge : « c’est ahurissant ! ».
Wade : « c’est ce matin que Pape Samba Mboup m’a informé de votre grève, mes plus proches collaborateurs ne me disent jamais quoi que ce soit »
Pour convaincre les grévistes qu’il n’est au courant de rien du tout, Wade ouvre le feu sur ses collaborateurs : « ce qui est grave, c’est que je ne suis informé de rien par qui que ce soit. Mais monsieur Goudiaby, je vous ai toujours dit qu’au lieu de faire souffrir les Sénégalais avec votre grève, il faut venir me voir, car je suis le dernier rempart pour éviter la paralysie du trafic ». Mamadou Goudiaby d’enfoncer le clou : « je jure sur l’honneur que j’ai saisi de plusieurs correspondances vos collaborateurs, à commencer par le Premier ministre ; mais à part notre ministre de Tutelle, personne n’a daigné répondre à nos courriers ». Ses collaborateurs font profil bas et ne pipent mot, avant que Wade ne les descende collectivement : « voilà, ils sont tous là, mais personne ne m’a jamais parlé de votre mouvement d’humeur et c’est ce qu’ils font toujours, ils ne me disent rien. Alors qu’ils sont mes plus proches collaborateurs ». Le locataire du Palais de renchérir : « c’est aujourd’hui (Ndlr : hier) à 9 heures, que Pape Samba Mboup a fait irruption dans mon bureau, pour me dire que le ministre de l’Intérieur l’a saisi par téléphone pour lui dire qu’il souhaite me rencontrer et me rendre compte de la gravité de la situation que pourrait engendrer la grève des travailleurs de Dakar Dem Dikk ».
Bécaye Diop déclaré persona non grata au Palais
Le doute n’est pas permis : Wade était très remonté hier contre ses collaborateurs, au point qu’il n’a même pas voulu recevoir le premier flic du pays, pour qu’il lui parle de la grève. Car, après avoir expliqué que Pape Samba Mboup l’a informé en catastrophe de la volonté du ministre Bécaye Diop de le briefer sur le mouvement d’humeur des travailleurs de Ddd, le président de la République, révèle : « j’ai aussitôt rétorqué à mon chef de cabinet que je ne voulais pas de Bécaye Diop ici, mais plutôt les syndicalistes ». Mais, en réalité, c’est un sénateur qui est entré hier en contact avec le ministre de l’Intérieur, pour lui dire qu’une bombe couve sous la grève à DDD et que si rien n’est fait, le front social pourrait connaître une ébullition sans précédent ».
Christian Salvy immolé en deux temps, trois mouvements
Cette parenthèse fermée, Wade en ouvre une autre : l’immolation de l’actuel directeur général. Quelle est la solution, selon vous ?, demande-t-il à Mamadou Goudiaby. Ce dernier, venu au Palais avec une documentation bien fournie, explique : « le seul problème de DDD, c’est les 300 bus qui sont au hangar, faute de pièces de rechange. Donc, monsieur le président de la République, il faut que nous fassions tout pour budgétiser dans les recettes l’achat desdites pièces ». Et comme s’il avait fait la sociologie de Wade, le secrétaire général du syndicat l’encense : « vous êtes l’un des rares ou l’unique chef d’Etat qui a pu, en un seul jet, arroser votre pays d’une centaine de bus ». Le locataire du Palais, visiblement touché par les éloges de son interlocuteur, l’arrose à son tour de compliments : « vous m’avez l’air d’avoir une tête bien pleine. Vous maîtrisez ce que vous dites et avez les idées cohérentes », affirme-t-il. Avant de déchiqueter le Dg : « Christian Salvy est à partir d’aujourd’hui limogé de son poste. Proposez-moi quelqu’un ; remettez-moi dès demain son Cv et je le nomme nouveau directeur général, en attendant l’enquête de moralité ».
Pape Samba Mboup nommé pour l’inventaire des pièces de rechange, X pour les compensations financières
À quelques pas de la tombe de Christian Salvy qu’il a enterré dans son bureau, Wade a nommé, séance tenante Pape Samba Mboup à une autre fonction. M.Mboup est chargé de lui transmettre l’inventaire complet des pièces de rechange fait par les grévistes, pour le redémarrage des 300 bus garés. Quant aux compensations financières, Wade tranche aussi : « je vais mettre quelqu’un sur la sellette, pour que, dès demain, il s’occupe spécialement de cette affaire de compensations », a promis le chef de l’Etat. Néanmoins, il s’est gardé de révéler l’identité de son homme de confiance qui va s’occuper desdites compensations. A la suite de cela, il a interpellé les syndicalistes en ces termes : « maintenant, qu’est-ce que vous comptez faire ? ». Et là, la réponse de Mamadou Goudiaby tombe sèche : « nous allons lever le mot d’ordre ». Fin de l’audience, en attendant que le syndicaliste retourne à nouveau ce matin au Palais.
Daouda Thiam
lasquotidien.info