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Autopsie : Quel sens donner au mot « développement » pour l’Afrique. (Par Isidore Diouf)

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L’un des ouvrages qui m’a le plus marqué ces dernières années est le livre de Felwine Sarr « Afrotopia ». Felwine Sarr, un écrivain talentueux et aux multiples casquettes : Agrégé d’économie, Ecrivain, Philosophe, Musicien, Budoka,  doté d’une profondeur d’analyse et de prospective qui en fait un penseur disruptif qui vient à contre-courant des dogmes et des vérités établies. Avec Achille Mbembe, ils constituent l’avant-garde de cette génération d’écrivains iconoclastes qui sondent sans complaisance le psychique africain et tracent de nouveaux contours et trajectoires du devenir du continent africain.

Dans « Afrotopia » Felwine, avec une remarquable dextérité et une simplicité désarmante, y dresse le panorama des injonctions culturelles, économiques, auxquelles sont soumis les pays africains par les puissances occidentales. Injonctions que se sont appropriées nos dirigeants, nos élites qui en ont fait leur feuille de route pour sortir leur pays du « sous-développement », feuille de route hors de laquelle toute tentative de bifurcation,  entraînerait des sanctions de la part des gendarmes de l’économie mondiale (FMI, Banque mondiale etc.)

Ce livre détonne par sa profondeur d’analyse de la société africaine, de ses traumatismes, des imaginaires qui lui sont imposés, de ses points de référence focalisés sur le modèle de réussite occidental, des chemins forcés qu’on lui somme d’emprunter, des camisoles qu’on lui impose de porter, pour être admis dans le banquet des « pays développés ».

« Penser l’Afrique c’est cheminer dans une aube incertaine, le long d’une voie balisée ou le marcheur est sommé de hâter la cadence pour rattraper le train d’un monde qui semble t’il est parti il y a quelques siècles » F. Sarr.

Il exhorte les africains à  définir eux-mêmes « le type de projet qu’ils souhaitent mettre en œuvre pour leur humanité et celle des autres », ainsi que « les types d’équilibres entre les différents ordres économiques, écologiques, symboliques, culturels »   afin d’avoir « une production endogène des métaphores de son futur »

« Il est temps que l’Afrique reconvoque une réflexion sur comment il envisage et articule les métaphores de son propre futur ». F. Sarr

Ramenées à notre quotidien ces injonctions et influences sont partout et saturent tous les aspects de notre vie quotidienne qu’ils soient sociétaux, religieux. Elles vont :  

  • de l’appréciation de ce qui est beau ou pas (par ex dans notre société, la préférence pour les femmes claires de peau, avec de longs cheveux. Injonctions héritées de l’esclavage et du colonialisme qui poussent une très importante partie de la frange féminine africaine à se dépigmenter la peau et à porter avec une relative fierté des cheveux d’indiennes mortes ou donatrices dans les autels bouddhistes, sans quoi elles ne pourraient prétendre à être présentatrice à la TFM ou la 2STV, ni avoir des promotions accélérées, ni de maris à leur juste valeur),
  • aux cris d’orfraies des gardiens de la grammaire française (notre cher président poète en était un grand défenseur) prêts à vous tomber dessus dès lors que vous auriez fait une faute d’orthographe ou de grammaire,
  • des fatwas des imams envers ceux qui parmi eux auraient l’outrecuidance de faire la prière en malinké et non en arabe,
  • Aux prêtres qui seraient plus subjugués par une prière en latin qu’en sérère,

Le mal est donc profond et touche également notre système éducatif, nos modes vestimentaires, notre régime alimentaire (un clin d’œil à mes cousins peuls pour qui un bon petit déjeuner ne pourrait se faire sans un pain beurre/chocolat ou spaghetti J), nos modes de pensée, nos symboles, la structure de nos pouvoirs exécutifs, législatifs qui sont des copier-coller des structures occidentales au mépris de nos structures traditionnelles dont les pouvoirs étaient pourtant très équilibrés.

Nous ne pouvons pas dire que le résultat de toute cette aliénation culturelle, économique, politique soit fameux. Elle produit des errements, de faux imaginaires, des contradictions, des non-sens et le produit fini qui en sort est un homme africain qui est « produit de synthèse », « un médicament générique », « un homme aux identités multiples », vidé de son essence, de sa spiritualité originelle, de sa vision propre du monde, de sa hiérarchie des valeurs, de sa conception du bonheur et du sens de la vie.

Il n’est point question de refuser les influences du monde et de se barricader dans un protectionnisme culturel. Si les égyptiens n’avaient pas transmis leurs connaissances en mathématiques, en géométrie, en architecture, aux grecs, la civilisation grecque n’aurait pas voix au chapitre.

Si l’Europe n’était pas entrée en contact avec le monde arabe qui lui a donné tous les éléments de base en matière d’astronomie, de médecine, de navigation, héritages qu’elle a perfectionnés, elle n’aurait jamais été la puissance dominatrice qu’elle est aujourd’hui.

Cependant toute influence extérieure doit trouver un substrat endogène fort qui ne souffre d’aucune altération, sous peine d’être absorbé ou de disparaître.

Force est de constater que nos références ont été fortement altérées de façon violente et les séquelles sont encore prégnantes sur tous les plans (économique, culturel, religieux).

Mais ne pouvait-il en être autrement avec 1200 ans de traite arabe (traite d’une cruauté innommable et qui souffre d’un profond négationnisme sous nos tropiques), 400 ans de traite occidentale, un siècle de colonisation, un néocolonialisme qui perdure ?

Et malgré tout nous sommes toujours là ! Le seul fait que nous ayons pu survivre à cette hécatombe, nous redonne espoir et prouve notre capacité de résilience.

Il nous faut donc faire la paix avec nous même, panser nos plaies, revoir nos points de référence (qui sont actuellement fixés sur des évènements négatifs qui nous tirent dans les abysses du manque d’estime et de confiance en soi, limitent nos initiatives et audaces tels un plafond de verre), reconstruire nos propres imaginaires, élaborer nos propres projets de société avec nos propres échelles de valeurs, rompre avec le mimétisme dans la définition de nos stratégies économiques et politiques, reprendre l’initiative historique, admettre nos tares et nos faillites sans complaisance. Bref, faire un bilan des faiblesses, des erreurs qui nous ont conduites à être là où nous sommes et ce que nous sommes.

 Nous devons définir « notre propre sens du développement » !

Comment y arriver et dans quel ordre ?

Un chantier immense ! Tant les hémorragies sont multiples, les urgences nombreuses, les combats à mener divers.

La critique qui est souvent adressée aux africains et surtout aux sénégalais, c’est d’être de très bons penseurs mais de très mauvais maîtres d’œuvre. Nous nous plaisons à débattre, esquisser des idées pertinentes sans en décliner les modalités de mise en œuvre pendant que les pays plus avancés traduisent leur vision de l’ordre mondial à travers des feuilles de route avec des prospectives sur le court, moyen et long terme.  

L’ordre mondial serait, semble-t-il, bousculé avec la crise du Covid qui a révélé les failles et remis en cause les certitudes. Un nouvel ordre mondial serait en gestation (concept repris par notre cher président, champion mondial du mimétisme macronien et des concepts creux) avec le surgissement de nouvelles forces. Nouvel ordre qui au fond, ne nous leurrons pas, dans l’esprit des dominants, maintiendrait toujours l’Afrique ni plus ni moins, dans son rôle de réservoir à matières premières, de marché à conquérir, de population à maîtriser. Position dont se contente allègrement la majorité des dirigeants africains.  

Sans avoir la prétention de définir un plan de mise en œuvre de ces multiples ambitions, nous nous  risquerons à énoncer 2 phases préalables qui nous semblent à notre avis indispensables afin d’engager au mieux ces chantiers et d’en assurer une efficacité optimale.  

1. Un préalable : Faire la paix avec nous même : Plaidoyer pour des assises culturelles internationales en vue de faire un état des lieux de la pensée, de la culture, de l’histoire africaine à l’image du colloque du Caire sur l’égyptologie de 1974

Il nous faut comprendre que la bataille des mémoires ne peut être gagnée seule par chaque pays africain dans son coin.

Si le peuple juif a réussi à imposer mondialement sa conscience historique, c’est qu’elle a réussi à rassembler toute sa diaspora sur une terre, à bâtir un idéal de nation avec comme élément fédérateur une histoire faite de persécutions répétitives avec comme point d’orgue le crime contre l’humanité qu’a été la shoah. Cette histoire a été le moteur des bâtisseurs de cet état qui en ont fait en un ½ siècle une puissance mondiale et qui ont pris toutes les dispositions pour que cette histoire douloureuse ne se répète plus.

Des contentieux et des non-dits persistent entre l’Afrique et ses afro descendants éparpillés dans le monde (Antilles, Brésil, USA etc..) notamment sur cette fameuse question : Les africains ont-ils vendu leurs frères et sœurs africains ?  Il est nécessaire de rétablir la vérité historique car les séquelles post traumatiques, les incompréhensions, les visions tronquées sont très prégnantes et vivaces dans la diaspora.

Il nous faut établir des passerelles afin d’aplanir nos différents, réfléchir ensemble sur notre devenir, échanger sur la façon dont nous vivons le présent, les défis auxquels nous devons faire face et les solidarités économiques, politiques, culturelles que nous devons activer afin d’être plus efficaces dans nos luttes. Il nous faut exorciser les démons qui nous hantent depuis des siècles et mobiliser nos énergies sur des projets fédérateurs afin de sortir de nos cloisonnements et luttes individuelles et locales. Telle une terre qui vient d’être défraichie des mauvaises herbes, cette refondation nous permettra de semer de nouvelles graines afin de bâtir de nouveaux imaginaires en conformité avec nos paradigmes.

Cet exercice ne doit pas être réservé uniquement aux écrivains, aux penseurs, sous peine d’être des incantations destinées à être rangées dans les tiroirs. Il doit être mené au plus haut niveau par les autorités culturelles et éducatives africaines en concert avec les représentants de la diaspora. Il doit intégrer plusieurs parties prenantes (les sociologues, les historiens, les professeurs d’universités, les enseignants, les archéologues, les stylistes, les ONG, les mouvements panafricains etc.) afin d’avoir une pluralité de points de vue, de couvrir le maximum de champs d’actions et garantir une mise en œuvre opérationnelle dans plusieurs domaines, grâce à des actions concrètes sur le terrain :

  • Rétablir la vérité historique du peuple africain et de sa diaspora (Origines, Migrations, Civilisations, Evènements historiques)
  • Faire un bilan sans concession de notre histoire, de nos faiblesses, de nos erreurs mais aussi de nos réussites
  • Définir notre politique éducative :
    • Revue des programmes éducatifs et des ouvrages de référence (par ex aux USA, des écoles « afro centrées » ont été créées pour mettre l’accent sur l’Afrique, la culture africaine, et enseigner les sciences sous le prisme africain)
    • Introduction des langues nationales à l’école, dans l’administration etc. (Exemple du Rwanda)
  • Créer des industries culturelles fortes :
    • Sociétés cinématographiques et documentalistes panafricaines fortes qui seraient l’avant-garde de la diffusion de « L’african ay of life » comme Hollywood a pu le faire avec « l’american Way of life »
    • Des sociétés d’archéologies africaines fortes chargées d’excaver les vérités historiques et de contrebalancer la mainmise des sociétés archéologiques allemandes, françaises notamment dans le domaine de la recherche sur les civilisations antiques
    • Des industries de mode africaine fortes

Comme le dit un adage wolof : « Kou amoul wérouwaye, dé nguey nékheu beumeukh ». Traduction : si vous n’avez pas un ancrage solide, vous serez facile à bousculer.

Nous devons donc consolider notre conscience historique pour la rendre inébranlable !

2. Revoir notre relation au travail et à la performance

Il ne s’agit pas de faire du Guerlainisme (Guerlain, le célèbre parfumeur s’était laissé aller à des assertions racistes lors d’une interview sur France 2 : « je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé …. »).

Mais force est de constater que nous mobilisons beaucoup de notre énergie et de notre temps sur des choses qui ne contribuent pas fondamentalement dans notre meilleur être et le devenir de nos enfants dans ce bas monde (beaucoup de temps accordé au culte religieux, aux obligations sociales). Nous voyons d’ici les critiques fuser sur le fait que justement cela est en contradiction avec les assertions plus haut, celles d’une Afrique qui élabore sa propre vision du monde et qui ne se fait pas dicter sa hiérarchie de priorités et de valeurs (ses cultes, son rapport au divin, son rapport à la nature, le sens du travail).

Cependant, nous allons sur ce point précis être un peu à contre-courant de felwine Sarr ou du moins émettre une réserve : Tant que nous ne résorberons pas notre retard technologique, militaire, éducatif, nous serons toujours les derniers de la classe et subirons le dictat des autres parties prenantes et cela quel que soit par ailleurs l’affranchissement de la tutelle culturelle que nous réussirons à imposer.

L’accepter ne veut pas dire que nous nous imposons un modèle occidental, mais que nous sommes clairvoyants devant des évidences et que nous ne nous faisons pas d’illusions sur la réalité du terrain et des rapports de force en présence : être pragmatique, réaliste tout en ayant notre indépendance d’esprit sur la façon dont nous devons répondre aux enjeux actuels et futurs en tamisant les propositions extérieures.

Pour combler ce retard, inverser le rapport de force,  il nous faut donc mobiliser plus de ressources que les autres, renoncer à cette fâcheuse habitude à perpétuer les pratiques ancestrales en osant innover, augmenter nos cadences et rythmes de travail dans les usines, les administrations, intégrer le culte de la perfection dans tout ce que nous faisons (à l’image du peuple chinois) et mesurer à tous les niveaux notre niveau de performance pour nous assurer de l’atteinte des objectifs fixés.

Ce changement ne peut se faire que grâce à des changements politiques à la tête de nos états avec des dirigeants éclairés qui ont auront compris les transformations sociétales à opérer pour aboutir à des sociétés performantes.

Ce leitmotiv doit à mon sens être le sang qui irrigue toutes les initiatives qui visent à faire faire à l’Afrique ce fameux bon en avant.

Cet équilibre économique, écologique, symbolique, culturel vers lequel nous appelle  felwine Sarr, doit avoir comme élément de mesure du dosage : l’urgence de nous émanciper économiquement en faisant de grands sacrifices générationnels (notre génération doit être une génération de combat) et la nécessité de construire nos propres référentiels de valeurs et nos propres symbolismes de façon élargie compte tenu du fait que nous avons en commun les mêmes problématiques et les mêmes enjeux ou que nous soyons (pays africains, diaspora afro descendante).  La bonne alchimie est donc à trouver !  

                                                                                                                                                                                                 Isidore Diouf

4 Commentaires

  1. Le développement est simplement un processus cumulatif(effet multiplicateur) autocentré qui émane de populations et des nationaux.Ce n’est-ce possible en économie ouverte qui est la base de notre développement actuel, la persistance des structures néocoloniales qui constitue le choix délibéré depuis 1960. Autrement dit, la perpétuation du sous-développement Il faut être bref,clairs et précis sans verbiage ni pédantisme inutiles

  2. De la nécessité d’être constructif .
    Balma mon compatriote, mais ce commentaire ne fait pas évoluer la réflexion, et pourrait même s apparenter à une attaque à la fois infondée et insensée sur l homme.
    En tout cas, merci pour cette belle contribution M.Diouf

    • Sur l’ensemble des entreprises au pays inventoriées au pays, 3% sont formelles et 97% sont informelles. Ces dernières ne contribuent que pour environ 5% de notre assiette fiscales et comprend
      L’Afrique importent des biens manufacturés, exportent ses matières premières, ne contribue que pour 2% du commerce mondial.Nos économies nationales ne sont pas complémentaires, nous ne disposons pas d’infrastructures transnationales pour une authentique intégration des marchés.Une autopsie: la vraie la voici ! Les faits et les chiffres et non le verbiage creux, la tete dans les brouillards

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