Oui, c’est un comédien, lui comme nombre de ses ministres et directeurs. Pour permettre au lecteur d’en avoir le cœur net, je fais quelques rappels. Oui, il faut toujours rappeler avec les gouvernances meurtries que nous vivons depuis le 1er avril 2000. Oui, on se rappelle que, à quelques encablures de l’élection présidentielle du 24 février 2019, le 14 janvier de la même année exactement, notre président-politicien procédait à la réception de la première phase du projet du fameux Train Express régional (TER). Á l’occasion, le comédien national déclarait : « Aujourd’hui, 14 janvier 2019, le temps de l’action nous rassemble devant la majestueuse et emblématique gare de Dakar (…). Nous sommes réunis ici pour honorer un rendez-vous et tenir une promesse ; une promesse faite il y a exactement deux ans et un mois, le 14 décembre 2016, quand nous avions procédé à Diamniadio, au lancement du grand chantier de Train Express Régional Dakar-AIBD, sur 55 Km. J’avais alors donné rendez-vous le 14 janvier 2019 pour la réception de la première phase du projet, allant de Dakar à Diamniadio, sur un linéaire de 36 km. Ainsi dit, ainsi fait. Nous y voilà ! »
« Ainsi dit, ainsi fait. Nous y voilà !», avait-il dit sans sourcilier. Nous n’y sommes vraiment que trois longues années après. Et encore ! Personne ne sait vraiment avec certitude où en serons-nous exactement ce lundi 27 décembre 2021. Sait-on jamais avec sa parole volatile qui ne vaut plus un kopeck ? Bref, ce 14 janvier 2019, notre président-politicien poursuivait ainsi son cinéma, sa comédie : « Avec cette cérémonie, nous réceptionnons la première phase du TER, mais aussi le tout premier projet ferroviaire de l’histoire du Sénégal indépendant ». Eskëy ! Et, pour nous convaincre du caractère exceptionnel du projet, il annonce que le TER contribuera à « décongestionner Dakar et ses environs ; réduire considérablement les embouteillages et la pollution due au trafic routier ; valoriser les zones traversées ; renforcer la vocation des pôles de développement comme Diamniadio, la Zone économique de Diass, le nouvel Aéroport International Blaise Diagne et les localités environnantes. »
Il nous prend vraiment pour des demeurés. Le TER va donc réaliser toutes ces prouesses ! Longtemps après le lancement de son projet, les populations des quartiers de la Médine, de Fasse-Gueule-Tapée, de Fann-Résidence, du Point E, des Sicap, des Liberté, de Ouakam, des Almadies, de Ngor, des « Sacré-Cœur », de Yoff, de Grand Yoff, de Grand-Médine, des Parcelles Assainies, pour ne citer que ceux-là, continueront de vivre dans les embouteillages et la pollution. Le TER n’y changera rien, rien du tout.
Et ce n’est pas tout. Lui-même l’exprime, en ces termes : « Et ce n’est pas fini, car notre ambition, étape après étape, c’est de connecter le TER à nos autres régions, pour donner plein sens à sa vocation de Train Express Régional. Cette ambition est fidèle à la vocation du TER : être une figure emblématique du Sénégal émergent, mais aussi être un train populaire, un train accessible à toutes les bourses et à toutes nos localités ; bref être le train de tous les sénégalais et de toutes les sénégalaises. »
« Connecter le TER à nos autres régions » ! Ce TER qui reliera Dakar à l’AIBD en passant par Diamniadio ! Comment la connexion se fera-t-elle ? Ce sera forcément par Thiès. J’évoque ici la réponse d’un de ses nombreux directeurs à une question posée par une journaliste de Sud quotidien (édition du 9 avril 2021, page 2). Il s’agissait d’un certain Mame Samba Ndiaye, Directeur général des « Grands Trains du Sénégal (GTS) ». Quels « Grands Trains du Sénégal » ? Peut-être que je me réveille ailleurs qu’au Sénégal. Bref, pour revenir à son interview, il présidait la cérémonie de décoration des agents retraités et, répondant à une question sur les activités du chemin de fer, il « annonce la reprise en fin d’année ». Et il explique ainsi le retard de la relance : « Il y avait les travaux du TER qui nous avaient obligé (?) à garer les trains. Les travaux étaient terminés, aujourd’hui notre volonté est de faire en sorte que les trains puissent sortir d’ici et qu’on puisse les mettre sur les rails (sic). Une fois sur les rails, nous voulons construire le nouveau hub ferroviaire, il s’agira en effet de faire en sorte que la ville de Thiès retrouve son lustre d’antan. Á partir de Thiès, nous voulons desservir l’ensemble du territoire nationale. » Donc, à cause des travaux du TER, les trains sont garés. C’est terrible. Mais de quels trains s’agit-il d’ailleurs ? Ensuite, ce 9 avril 2021, il annonçait que les travaux du TER étaient terminés. Pourquoi avoir attendu près de neuf mois pour le mettre en circulation ?
Bref, arrêtons-nous un peu sur sa fameuse réponse à la journaliste de Sud quotidien ! Pour construire vraiment un nouveau hub ferroviaire à Thiès, pour faire en sorte que la ville retrouve son lustre d’antan, il fallait y investir les certainement plus de mille (1000) milliards engloutis par ce TER. En tout cas, c’est mon humble point de vue. Avec autant d’argent, il serait bien possible de reconstruire ce qu’on appelait le « Dépôt » et, à partir de cet important existant, changer carrément les deux voies ferrées Thiès-Dakar, réhabiliter à neuf toutes les gares se trouvant entre les deux villes, et acheter des trains modernes qui se croiseraient de six heures à 24 heures. Il serait alors aisé pour des milliers de travailleurs d’habiter Thiès, Pout, Sébikotane, Diamniadio et de travailler à Dakar. De Diamniadio, un embranchement mènerait à l’AIBD pour 19 kilomètres. Dans une seconde étape, les voies ferrées de l’intérieur seront réhabilitées et/ou, pourquoi pas, le grand projet du train Dakar-Ziguinchor enfin réalisé. Je ne suis technicien à rien mais je pense, humblement, que ce choix est plus réaliste et de loin plus profitable pour les populations et l’économie du Sénégal.
Rappelons que plusieurs dates nous ont été annoncées pour le démarrage du fameux TER : janvier 2019, juin 2019, décembre 2019, avril 2020, décembre 2020, avril 2021 et décembre 2021, selon un certain Mayacine Camara, Secrétaire d’État auprès du Ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement chargé du Réseau ferroviaire, qui a raison jusqu’à preuve du contraire. Ce M. Camara avait accordé une longue interview au quotidien L’AS du samedi 10 avril 2021 (pages 7 et 8). Avant de nous arrêter sur cette interview, nous nous posons quand même la question de savoir de quel réseau ferroviaire il est le Secrétaire d’État. Notre patrimoine ferroviaire se réduisait, au moment de l’interview, à un « petit train bleu » alors à l’arrêt et à un TER dont personne ne savait quand il allait démarrer.
Revenons à l’interview du grand Secrétaire d’État ! Á la première question, « Quand est-ce qu’on pourra espérer la relance de tous les trains à l’arrêt », il répond : « Cette situation n’est jamais arrivée au Sénégal. C’est très difficile. » Heureusement qu’il le reconnaît. Il rappelle la première consigne reçue du Chef de l’État « qui était d’organiser le secteur qui était un peu sens dessus dessous (et) de faire du secteur ferroviaire un véritable levier pour la croissance et l’emploi ». L’atteinte de cet objectif n’est sûrement pas pour demain la veille, en tout cas pas avec eux. Mais il rassure en évoquant un document stratégique qui devait régler tous les problèmes. « Le processus qu’on a mené pour arriver à cette stratégie est très inclusif », précise-t-il. « Très inclusif » ! Il est inclusif ou ne l’est pas. Ce « très » n’y a pas sa place.
Notre Secrétaire d’État prend vraiment son travail très au sérieux. Nous retenons sa réponse définitive à la première question posée. C’est celle-ci : « Nous travaillons d’arrache-pied pour que le trafic ferroviaire hors train Express régional (TER) démarre définitivement, parce qu’il ne faut plus qu’il s’arrête. » Et il ajoute : « En tout cas, l’objectif, c’est de relancer le train d’ici à décembre pour aller au moins jusqu’à Tambacounda. » Encore un rendez-vous ! En tout cas pour décembre au moins et pour le TER, il a raison jusqu’à preuve du contraire.
Une deuxième question lui est posée, celle-ci : « Redémarrer le trafic ferroviaire d’ici décembre, cela veut-il dire que tout est fin prêt ? » Il répond que « le tronçon Dakar-Tamba est au cœur de la stratégie, la dorsale sur laquelle il faut travailler à fond, que toute la politique ferroviaire est adossée à cette dorsale ». Et notre Secrétaire d’État de poursuivre : « Nous allons totalement réhabiliter cette dorsale. Il s’agit de mettre des trains assez confortables, des wagons de marchandises, des locomotives capables de tirer beaucoup de marchandises. ». Et il se rend compte que « pour tout cela, il faut des rails solides et de charges à l’essieu élevées, (tout cela risquant) d’être une réhabilitation complète qui peut prendre quatre ans » Mais, peut-on attendre quatre ans, se demande-t-il ? Il pense que non et c’est la raison pour laquelle ce sera l’urgence, le « fast track » sur ce tronçon Dakar-Tambacounda. Encore ce fameux « fast-track » ! Nous verrons.
Une autre question du journaliste : « Vous parlez souvent de la stratégie des trois axes stratégiques avec des projets pour le maillage du pays. Où en êtes-vous ? » Il répond qu’ils ont défini la stratégie (encore) et que c’est la première phase qu’ils sont en train d’exécuter en urgence. « Ainsi, poursuit-il, en 2020, nous avons finalisé la stratégie (encore la stratégie) et réglé les conditions, à savoir le cadre institutionnel, en créant la société nationale des chemins de fer (SNCF), en mettant sur orbite aussi les grands trains du Sénégal (GTS), et la partie TER ». Il est déjà Secrétaire d’État au réseau ferroviaire et va donc cohabiter avec un Directeur général de la Société nationale des Chemins de Fer (SNCF) devenue, je crois, la Société des Chemins de fer du Sénégal (projet de loi voté le 22 mai 2020) et un Directeur général des « Grands Trains du Sénégal (GTS) ». Ce n’est pas tout : le grand TER a, naturellement, une gestion autonome. Il a été créé, pour sa prise en charge, la Société nationale de Gestion du Patrimoine du Train Express régional (SEN-TER), avec un directeur général et un grand PCA à la tête. Toutes ces structures fonctionnent avec un personnel pléthorique, recruté de façon anarchique et nous coûtant sûrement les yeux de la tête, pour presque rien. C’est aussi cela la gouvernance « transparente, sobre et vertueuse » du président-politicien.
Revenons à l’interview de notre Secrétaire d’État. Á la même question, il répond : « Nous travaillons aujourd’hui à la préparation de la connexion entre le dispositif du TER et celui du chemin de fer. Des commissions sont mises en place pour réaliser ces programmes, à savoir la liaison sur le trafic voyageur Dakar-Diamniadio. Ainsi, à partir de Diamniadio, voir comment faire pour faire rallier les passagers au reste du Sénégal par train ». Connexion du TER avec quel chemin de fer ? Et puis, mettre en place des commissions qui vont travailler sur des programmes dont personne ne sait quand leurs conclusions seront mises en œuvre !
Notre Secrétaire d’État poursuit : « Mais, il faut travailler sur des rails sécurisés, des trains assez confortables, pas comme ceux du TER évidemment. En tout cas pour qu’on ne soit pas choqué si on descend du TER pour prendre le train du Sénégal. Et tout cela demande aujourd’hui des études préalables. Mais en attendant que le TER démarre dans le semestre qui va suivre et qu’on mette aussi sur orbite les grands trains du Sénégal. »
C’est terrible ce qui nous arrive avec cette gouvernance du comédien Macky Sall. Nos « grands trains » auront donc beau être confortables, ils ne le seront jamais comme le TER. Nos amis travailleront donc pour que le voyageur qui descend du TER pour prendre le train du Sénégal ne soit pas choqué. Pour prendre le train du Sénégal ! Ce TER sera donc si confortable qu’il ne sera pas un train du pays. Il le sera peut-être de la France. C’est fort probable.
L’interview est longue, et notre Secrétaire d’État a répondu à bien d’autres questions. Nous retiendrons donc, pour en terminer, deux toutes dernières réponses aussi loufoques que les autres. Á cette question « Qu’est devenu le petit train bleu qui ne roule plus à Dakar ? », il répond : « L’exploitation de l’ex-Petit Train bleu qui est devenu les Grands Trains du Sénégal (GTS) est dans le schéma institutionnel considéré comme l’opérateur public de transport voyageur. » L’ex-Petit Train bleu qui est devenu comme par enchantement les « Grands Trains du Sénégal (GTS) » ! Que le lecteur apprécie ! Qu’il apprécie aussi un peu plus bas ceci : « Et progressivement, à l’avenir, reconstruire les rails jusqu’à Saint-Louis pour le bonheur des populations. » Progressivement à l’avenir ! Dommage que le Pr Sankharé ne soit plus en vie !
Á une toute dernière question, il répond : « Nous allons lancer la réfection des rails entre Dakar et Tamba, Tamba-Kidira, préparer des ponts, des rails. Tous ces travaux peuvent finir à la fin de l’année et nous pourrons alors relancer le train. » Tous ces travaux pourront finir à la fin de l’année ! On était en avril 2021. Nous sommes en décembre, donc neuf mois après. Ces gens-là ne sont vraiment pas sérieux. Comment peuvent-ils seulement envisager d’en finir avec autant de travaux en neuf (9) mois, alors qu’ils ne sont pas capables de terminer la construction du fameux TER en plus de cinq ans ?
Il faut conclure avec cette longue balade au cœur des chemins de fer du Sénégal ou de ce qu’il en reste, ces chemins de fer à plusieurs visages. Elle me laisse une forte impression, peut-être même la certitude que le politicien pur et dur qui nous dirige préfère de loin les investissements de prestige aux investissements de développement. Toute sa préoccupation, c’est de frapper l’imagination des pauvres populations et il y arrive souvent, malheureusement. Les milliards que ce TER tout de mensonges et d’escroquerie a engloutis, pourraient bien être plus utilement investis ailleurs. Le Léman Express, ligne transfrontalière entre la France et la Suisse, est long de 240 km et desserre 45 gares. Réseau RER transfrontalier le plus long d’Europe, il transporte chaque jour près de 50.000 voyageurs. Pourtant, il n’a coûté 1,85 milliard d’euros, soit un peu plus de 1200 milliards de francs CFA, le coût de notre TER de 34 km. Rappelons aussi que, en France, pendant les longs week-ends, la SNCF mobilise 1800 TGV sans compter les nombreux autres moyens de transports. Alors, y a-t-il vraiment de quoi pavoiser avec ce bruyant TER, notre seul patrimoine ferroviaire après 61 ans d’indépendance ? Basta waay !
Dakar, le 27 décembre 2021
Mody Niang