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Bonne gouvernance et droits de l’Homme : Plaidoyer pour les «lanceurs d’alerte»

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Depuis les années 2000, le Sénégal fait face à une saga de lanceurs d’alerte bardés chacun de brûlot dénonçant publiquement des pratiques peu orthodoxes au sein de l’Etat. La posture et l’attitude du pouvoir face à ces dynamiteurs n’ont, depuis, souffert d’aucun équivoque. Le pouvoir public sénégalais s’accommode mal des lanceurs d’alerte. Retour sur les moments forts d’un désamour affiché.

La chorégraphie est quasi parfaite. Elle garde le même tempo et le ton en conserve chaque fois cette même virulence toutes les fois que le sort propulse au devant de la scène un brûlot. Avec une égale diligence, la réprobation étatique happe l’auteur de l’œuvre avant de l’embarquer dans un expéditif engrenage répressif. Le Sénégal s’est révélé un mouroir pour brûlots et un torpilleur pour leurs auteurs. Chahuté, l’appareil d’Etat réagit toujours au quart de tour, ramenant radicalement dans leur lit, les débordements impromptus. La récente sortie de Augustin Tine, ministre des Forces armées devant le raz de marée provoqué par les deux brûlots du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw est symptomatique et révélatrice d’un profond malaise. Avec une imperturbable sérénité, l’appareil d’Etat a englouti, à sa façon, ces mets pourtant peu digestes.
Dans l’atmosphère lourde de ce malaise ambiant, la silhouette sémillante et désinvolte du commissaire Cheikhna Cheikh Saadbou Keïta, engoncée dans sa veste de flic chasseur de flics ayant mal tourné, surcharge encore l’actualité malgré sa radiation du corps de la police. Lui aussi avait poussé le bouchon (un peu trop ?) loin en dénonçant sans ciller les pratiques mafieuses de la Police sénégalaise. Aujourd’hui, à l’occasion de la cérémonie d’incinération de drogues, son profil mature planera sur les deux mamelles de Ouakam. Les épais nuages de fumée de coke incinérée ramèneront encore la question ritournelle du sort des lanceurs d’alerte. Lui, se contentera, en hochant la tête de la jubilation intérieure conférée par la suite des évènements. L’affaire du colonel Ndaw n’a pas encore livré son verdict. Et pourtant…
Pourtant le ministre des Forces armées a (presque) tranché sur le vif en condamnant a priori le colonel Ndaw. Sans autre forme de procès. Le ton donné par Augustin Tine laisse augurer «un traitement répressif et expéditif» qui ne devait laisser aucune chance au colonel. Le 21 juillet, il laissait transparaître ses états d’âme en qualifiant les révélations contenues dans le livre de l’officier de la gendarmerie de trahison, de révélation de secrets classifiés défenses ou pouvant porter atteinte au moral des militaires. Mais surtout en les qualifiant d’office d’infraction aux règles de protection du secret et de fautes comme l’honneur, la probité ou les devoirs généraux du militaire à savoir la faute contre le renom de l’Armée, le complot, l’incitation au désordre. Une batterie de mesures pendait devant la visière du képi de l’attaché militaire à l’ambassade du Sénégal à Rome (Italie). Les hors d’œuvre proposaient déjà des sanctions disciplinaires avant que la perspective d’une chaîne de procès ne vienne remplir le plat de résistance. La constante et la tradition sont au moins sauves ici.

Brûlots et auteurs brûlent au bûcher
Le bûcher de l’Etat vient à peine finir de consumer les deux livres du colonel Ndaw qu’il accueille un curieux client promis à nourrir les cendres encore chaudes des brûlots. En commettant son ouvrage «Où va la République ? Les vérités sur la seconde alternance», Pr Malick Ndiaye s’attendait-il au sort que réserva le décret N° 012324 du 1er août 2014 à sa carrière d’homme politique ? Le livre d’une virulence désarçonnante à l’égard du régime de Macky Sall est apparu comme un cheveu dans la soupe, mettant à nu les «carences et errements du pouvoir actuel». Sans laisser prospérer les circonvolutions du tsunami provoqué depuis les rangs même du pouvoir en place, Macky Sall a, à sa façon, radicalement gommé cette incongruité. «C’est de l’outrecuidance de commettre un travail pareil alors qu’on est supposé défendre la politique du Président» s’étrangle-t-on dans les hautes sphères de l’Alliance des forces de progrès.
Le fait demeure têtu comme jamais. Depuis les années 2000, l’espérance de vie de livres gênants est raccourcie et la carrière de leurs auteurs écourtée ou au mieux plombée. Le diagnostic n’offre aucune possibilité de rémission. Souvent, il n’y a officiellement aucune interdiction de vente du livre. Pourtant, les chasseurs de sensations les plus acharnés peinent à les dénicher sur les rayons des librairies. Aussi, se contentent-ils souvent de versions Pdf inoculées dans les clés Usb et généreusement transmises.
A la loupe, les leçons du passé avaient déjà consacré cette jurisprudence sordide. A divers degrés, les sorts de plusieurs lanceurs d’alerte se sont scellés. L’Etat, régalien, était intervenu pour court-circuiter toute velléité de contestation. Courant 2003, Almamy Mamadou Wane chatouillait l’actu avec son livre Le Sénégal entre deux naufrages ? Le joola et l’alternance. Même s’il avait remporté la bataille judiciaire devant la plainte du ministre de Justice Cheikh Tidiane Sy pour propos diffamatoires, il reste que le livre a secoué le régime de la première alternance. Peu de temps après, Mody Niang, lancé dans étude détaillée des relations entre la famille Wade et le pouvoir, accouchait d’un livre de 310 pages intitulé Qui est cet homme dirige le Sénégal ? La fiche synoptique du livre est édifiante sur son contenu. C’est une «biographie critique et richement documentée» qui «montre comment s’est élaboré au fil du temps le “système Wade” à partir de la culture politique de la violence, des reniements, des achats de conscience». Dans la même veine, un autre livre du même tonneau et de la même cuvée tombait : Le clan des Wade, accaparement, mépris et vanité. La saga des brûlots entraînant dans sa sarabande le journaliste Abdou Latif Coulibaly, qui s’invite dans ce club sélect avec son livre Affaire maître Sèye : un meurtre sur commande. Pour le régime de Wade, cela ne pouvait pas passer.

Le Forum civil avocat des causes (perdues ?)
Le Forum civil, dans un communiqué intitulé «Appel à la défense de la libre prise de parole des membres des corps militaires et paramilitaires dans la gouvernance publique» lit autrement la sortie virulente et tapageuse du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw. Devant la bordée de critiques, menaces sourdes ou à peine voilées, le Forum civil s’est érigé en bouclier. Prenant courageusement le contrepied des contempteurs du colonel, il avait observé : «Dans un Etat où le président de la République a toujours déclaré que ‘’… l’Etat de droit, la gestion vertueuse des affaires publiques est plus que jamais une exigence citoyenne. C’est aussi un impératif économique absolu et une question d’équité et de justice sociale’’, l’on comprend difficilement le discours martial et menaçant du ministre des Forces armées par rapport à la prise de parole courageuse et responsable du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw dans ses tentatives de dénonciations de faits de corruption extrêmement graves, relevés dans la gouvernance des institutions de sécurité publique du Sénégal.» Saluant cette témérité du colonel, le Forum civil adoube ce «courage, le patriotisme et le sens des responsabilités» reconnaissant par-là même le droit à la défense et à la libre prise de parole des membres des corps militaires et paramilitaires dans la gouvernance publique. Pourtant, le Forum civil croit bon d’ajouter que sa prise de position sur cette affaire ne «saurait être interprétée comme une attitude favorable au colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, encore moins constituer un plaidoyer pour le soustraire aux règles de la discipline militaire». Pour lui, les impératifs déterminés par le baromètre de la corruption de Transparency international rendent obligatoire la prise en charge de pareilles informations. Les leçons du passé ne sont jusque-là jamais passées. La race des lanceurs d’alerte s’éteint presque toujours dans la même fin programmatique. Ils n’auront pas eu autant de veine que Edward Snowden et Julian Assange. Au prochain sur la liste ?

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