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Bonnes feuilles Wade et le wadisme en quinze mots de Fadel Dia : L’inventaire des impunités sous l’ alternance

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«Wade et le Wadisme en quinze mots». C’est un livre de 220 pages environ, qui sera bientôt dans les rayons des librairies, s’il ne connaît pas le destin d’autres ouvrages interdits sans être officiellement interdits au Sénégal. L’auteur de ce livre édité par L’Harmattan est un Sénégalais, Fadel Dia, qui met à nu la mal gouvernance sous Wade. Nous proposons quelques bonnes feuilles du livre, où l’auteur fait l’inventaire des cas d’impunité depuis 2000. Image«Avec Wade, la Justice qui, en temps normal, ne se distingue ni par sa célérité ni par sa vigilance, est devenue tétanisée, alliant incompétence et indécision. Les «affaires» succèdent aux affaires, sans qu’aucune ne trouve une solution, et Thémis est non seulement muette, mais indifférente à l’exigence de justice des citoyens. Des voix se sont élevées pour déplorer la pression qu’exercent sur elle l’Exécutif ou les religieux. L’une des plus autorisées, le Bâtonnier de l’Ordre des avocats a dénoncé avec courage, face au chef de l’Etat, «la corruption et la concussion qui gangrènent notre système judiciaire», suscitant la colère de celui qui avait pourtant mission de le défendre. Pour ne rien arranger, l’autorité judiciaire suprême (Conseil constitutionnel, Cour suprême etc.) invoque trop souvent son «incompétence», lorsqu’il s’agit d’interpréter la loi.
C’est un autre paradoxe du chef de l’Etat : comment un homme qui de par sa profession, celle d’avocat, devrait être plus qu’aucun autre du côté des victimes, être porté à défendre les innocents, peut-il tolérer autant d’impunités et manifester autant de compassion à l’endroit d’auteurs et de commanditaires de voies de fait et de crimes ?
Wade nous a vite édifiés sur sa conception de la justice. En décembre 2001, dans son message lors de la fête de Korité, il laissait deviner la solution qu’il entendait donner à une vieille affaire criminelle dans laquelle il avait été impliqué sous le régime précédent, l’assassinat de Me Sèye. Treize mois plus tard (février 2003), il accordait sa grâce à Clédor Sène et à sa bande reconnus coupables et condamnés dans cette affaire. Non content de les élargir, après les avoir dotés de moyens conséquents, il a couvert, sinon suscité, une loi scélérate, connue sous le nom de Loi Ezan, que certains ont considéré comme la seconde mort de Me Sèye et qui a été un traumatisme pour sa famille : tous les crimes liés aux élections étaient désormais amnistiés.
Mais le pire était à venir, et ce fut l’impunité accordée aux présumés responsables du naufrage le plus meurtrier de l’histoire de la navigation maritime, celui du Joola (26 septembre 2002). Pourtant quoi de plus normal, lorsqu’un accident se produit, que de chercher à situer les responsabilités et à punir les coupables ? Comment ne pas s’interroger sur la nature et la fiabilité des informations sur lesquelles s’est basé le président de la République lui-même pour décider, le 25 août, un mois avant le naufrage, que le Joola pouvait reprendre du service. Comment ne pas vouloir savoir qui a pris la responsabilité, dès lors, de jeter sur la mer un navire dont l’état était défectueux et potentiellement dangereux ? Comment ne pas chercher à expliquer le fait qu’un navire qui présente déjà ce lourd handicap, prenne par-dessus le marché un autre risque, celui de prendre en charge trois ou quatre fois plus de passagers que sa capacité normale et que la plupart de ceux-ci n’aient même pas de titres de voyage (sur les 1 863 morts recensés, 720 ne figuraient pas sur le manifeste !)? Comment ne pas chercher les raisons pour lesquelles le navire n’a pas été suivi tout au long de son parcours et pourquoi son silence n’a pas mis en émoi les services compétents ? Ou pourquoi les secours n’ont pas été déclenchés dans les délais les plus rapides ni permis, à défaut de sauver des vies, de récupérer le bateau-cercueil ? Un seul homme, de surcroît victime lui-même de l’accident, ne peut pas être tenu pour seul responsable de toutes ces erreurs ou fautes et, pour le moins, une enquête et un procès s’imposaient : c’était la principale revendication des parents des victimes. Le naufrage du Joola est le seul accident au monde de cette envergure qui n’ait jamais eu de suite judiciaire dans le pays concerné. Rappelons pour mémoire que celui du Titanic, le seul auquel on puisse le comparer, (mais qui a fait moins de victimes) a donné lieu, dans les quatre jours qui ont suivi la catastrophe, à une enquête puis à un procès qui impliquait tous les protagonistes, y compris les fabricants du bateau. Même si les condamnations ont été minimes, le procès a permis de prévenir les collisions entre bateaux et icebergs qui ne se sont plus reproduites depuis 1914 (…)»

«JOOLA» : LE PARADOXE
«Le paradoxe avec le Joola, c’est que la réaction et les propos tenus par Wade, qui n’avait pas hésité à désavouer son Premier ministre, semblaient ouvrir la voie à une véritable solution judiciaire. Le Président avait dénoncé une «accumulation de négligences et de fautes professionnelles qui ne pourraient rester impunies». Des fautes qui avaient été bel et bien dénoncées par les enquêtes internes. Une commission créée à l’initiative du gouvernement, dès le 30 septembre, et présidée par le médiateur de la République, avait reçu mandat d’effectuer une enquête «approfondie» dans un délai de deux mois, et le Président avait assuré que des «sanctions seraient prises à tous les niveaux, y compris au sein de l’Armée». Elle avait respecté l’échéance et établi les responsabilités, mais premier couac, elle avait dû se dissoudre lorsque Wade a exigé qu’elle lui fournisse des noms (janvier 2003). Elle avait néanmoins établi qu’il y avait eu des défaillances dans les commandements (celui de l’Armée et celui du bateau), des lacunes dans l’équipement et même des défauts dans la conception du navire et, enfin, une incurie impardonnable dans les secours. Wade avait limogé le Chef d’état-major de la marine pour «négligences», avant même la fin de l’enquête (14 octobre). D’autres sanctions-administratives seront prises à l’encontre du Chef d’état-major général des armées (pour «lenteur des secours et mauvaise appréciation de la situation», (mais il sera recasé peu après à la tête d’une mission diplomatique !), de plusieurs officiers et marins (2 arrêts de rigueur, 2 radiations etc.). Malgré tous les rapports et preuves de fautes, la Justice n’est pas passée et l’enquête lancée le 8 octobre 2002 n’a pas prospéré. Le 8 aout 2003, le procureur général près la Cour d’appel proclame que la seule autorité civile ou militaire responsable du naufrage est le capitaine (mort dans l’accident) et classe l’affaire sans suite ! Ce n’est pas tout : non seulement le gouvernement du Sénégal n’a pas rendu la justice, mais il refuse aussi qu’on la rende ailleurs ! Lorsque la Justice française, sur plainte de parents de victimes, lance un mandat d’arrêt contre 9 personnalités présumées coupables à divers titres, l’Etat se substitue à celles-ci, mobilise ses avocats, crie au scandale, use de pressions diplomatiques et finit par obtenir l’annulation des poursuites, comme naguère il avait contrecarré la plainte déposée (octobre 2002) par un collectif d’avocats, au nom de 212 familles de victimes. En janvier 2010, la Cour de cassation française a suspendu le mandat d’arrêt international contre l’ancien Premier ministre et l’ancien ministre des Forces armées en raison de leur immunité, mais l’épée de Damoclès de la Justice française pèse encore sur les têtes de sept autres personnalités, parmi lesquelles l’ancien Chef d’état-major général (qui termine un deuxième mandat à la tête de la Monuc) et le directeur de la Marine marchande.
Au fond, les disparus mis à part, la seule vraie victime de cette affaire aura été Mame Madior Boye, le Premier ministre, sacrifiée sur l’autel de la diversion, cinq semaines après le naufrage, afin, selon le communiqué officiel de la Présidence, de permettre au gouvernement d’ entamer «une nouvelle phase de l’évolution du pays» . On tournait la page, sans vraiment l’avoir lue !

AUTRES MANQUEMENTS DE LA JUSTICE
«A côté de cette impunité aux dimensions vertigineuses, il y a d’autres manquements à la Justice qui ont fini par installer l’idée qu’il n’y avait pas de Justice au Sénégal, ou, s’il y en avait une, c’était une Justice à deux vitesses.
On peut citer d’abord les affaires qui ont donné lieu à des morts d’hommes et qui ont laissé, pour le moins, un amer goût d’inachevé. La première a éclaté moins d’un an après l’arrivée au pouvoir de Wade : c’est l’affaire Balla Gaye, jeune étudiant tué au cours d’une manifestation le 31 janvier 2001, alors que moins d’un an auparavant, Wade avait promis que la violence ne serait plus jamais utilisée pour réprimer des manifestations ! Dès février, une commission d’enquête spéciale (déjà !) présidée par un haut magistrat avait fait naître l’espoir que la lumière serait faite. En octobre 2001, elle publiait son rapport final qui privilégiait la piste policière sur celle d’une infiltration ou sur la responsabilité des étudiants eux mêmes. Le présumé responsable de cette bavure, un auxiliaire de Police, un lampiste donc, avait été interpelé dix jours plus tard, mis en détention, puis jugé et blanchi en août 2003. En janvier 2010, neuf ans après les faits, les étudiants de l’Ucad manifestaient encore pour exiger la lumière sur cet assassinat !
Décidément, les jeunes payeront cher d’avoir contribué à l’arrivée de Wade au pouvoir. Le 23 décembre 2008, ils manifestent à Kédougou pour réclamer des emplois. La manifestation est, une fois encore, violemment réprimée par les forces de l’ordre et l’Armée, alors que le président de la République se vantait d’avoir introduit le droit de manifester dans la Constitution. Bilan : 2 morts, peut-être 3, et comme d’habitude le porte-parole du gouvernement parle de provocation et de «piétinement». L’autopsie révèle que l’un des morts a été tué par balles. N’empêche : ce sont les jeunes manifestants (17) qui sont condamnés, quelques jours plus tard, puis opportunément graciés pour redorer l’image du chef de l’Etat.
Entre ces deux bavures, d’autres crimes, assassinats, accidents sont restés impunis ou irrésolus, ou soldés avec de nombreux dégâts. On citera pour mémoire :
– le saccage de la Bourse du travail de Dakar (mars 2002) (…)
– la mort (accidentelle ?) sur la route de Touba (novembre 2003), de Ismaïla Mbaye, garde du corps de Wade, qui avait été cité et même entendu par la Brigade de recherches à l’occasion de l’agression contre Talla Sylla. Son frère, cité dans une autre affaire et arrêté sera libéré de prison, sans jugement, sur intervention d’un grand marabout, nous dit-on (mars 2005).
l’assassinat de Oumar Lamine Badji, principale notabilité du Pds dans le département de Bignona (décembre 2006), un crime parmi d’autres commis en Casamance et trop facilement mis sur le compte du Mfdc (…)
Une autre personnalité casamançaise, Chamsdine Aidara, conseiller du chef de l’Etat est, elle aussi, assassinée en décembre 2007. Les parents de la victime sont les premiers à stigmatiser la passivité du pouvoir, puisqu’un de ses frères n’hésite pas à affirmer que le meurtrier est connu de Wade (…)
Il y a enfin ces deux morts qui sont une première au Sénégal, Penda Kébé et Kéba Diop, qui se sont immolés par le feu publiquement, l’une devant la mairie de Rome (6 décembre 2007, elle succombera à ses blessures), l’autre devant les grilles mêmes du Palais (23 septembre 2008) (…)»

BIZARRERIES JUDICIAIRES
«(…) Un journaliste s’est amusé à recenser les «bizarreries judiciaires» sous l’ère Wade : des délinquants condamnés mais sans commanditaire présumé, un commanditaire mais des exécutants inconnus, une victime mais ni commanditaire ni exécutants, etc. En voici des exemples :
Le 5 octobre 2003, le député Talla Sylla est agressé sauvagement, au point qu’il est sous traitement médical depuis six ans. Très vite les soupçons sont portés sur le proche entourage de Wade : son chef de cabinet, Papa Samba Mboup, ses gardes du corps dont son petit-neveu Lamine Faye, sont entendus par la Brigade de recherches. Aucun d’entre eux n’a plus été inquiété. Mieux, Papa S. Mboup, accusé un an plus tard (juillet 2004) de viol sur mineure commis en 1969, avait été contraint de démissionner de son poste et puis, comme par miracle, avait retrouvé ses activités au Palais et est présent sur tous les médias ! En 2009, l’affaire Talla Sylla a été, elle aussi, classée sans suite.
En juin 2008 deux journalistes, Boubacar Kambel Dieng et Kara Thioune, sont pris à partie par des éléments de la Brigade d’intervention et de prévention, au stade L. S. Senghor, à l’issue d’un match opposant le Sénégal au Libéria. Ils sont sérieusement blessés, les coupables sont identifiés par des témoins et l’incident a eu lieu dans une zone réservée à la presse. Les autorités tenteront de nier les responsabilités des forces de l’ordre, puis devant l’évidence promettront de sanctionner les coupables. En mars 2010, rien n’est encore fait, malgré l’engagement du chef de l’Etat en personne à appliquer la loi.
En août 2008 les locaux des journaux L’AS et 24h Chrono sont saccagés par des nervis au service du factotum de la famille Wade, Farba Senghor. Les coupables sont identifiés, arrêtés, jugés, condamnés à 5 et 6 ans de prison, peine réduite ensuite à 3 ans. Puis, ils sont inexplicablement et subitement graciés par le président de la République, en même temps qu’une de leurs victimes, qui, entre temps avait été embastillée pour une affaire de diffamation. Wade avait dit du présumé commanditaire de leur forfait, Farba Senghor, ministre au moment des faits, qu’il «devra passer devant la Haute cour» (Paris, septembre 2008) : on attend toujours ! En neuf ans, Farba Senghor a été cité à plusieurs reprises dans des affaires criminelles : attaque contre le domicile de I. Seck, saccage de journaux, assassinat en Casamance ; et il a toujours rang de ministre-conseiller (?) et chargé de la propagande dans le parti de Wade. Il n’est pas le seul dans l’entourage du président de la République à bénéficier de la mansuétude de la Justice. En mai 2002, le procureur général avait demandé l’inculpation de Ousmane Masseck Ndiaye, suite aux détournements supposés à La Poste, dont il avait été le directeur des approvisionnements. L’affaire n’a pas eu de suite et l’intéressé, après avoir été Secrétaire général de la présidence de la République puis ministre d’Etat, est aujourd’hui président du Conseil économique et social .Quant à Lamine Faye, petit-neveu du chef de l’Etat, déjà cité plus haut, ancien «calot bleu» bombardé capitane de Police, il traîne plusieurs ardoises, dont une accusation de vol d’argent prélevé dans la mallette présidentielle. Aucune de ces affaires n’a remis en cause ses fonctions d’«assistant spécial»du président de la République. Un autre intime du chef de l’Etat, Pierre Aïm, industriel et homme d’intrigues, arrêté en avril 2009 pour fraude douanière, a été laissé en liberté après une transaction avec le ministère des Finances, transaction qu’il n’aurait jamais honorée.»
LES PROTEGES DE WADE
«Mais il n’y a pas que les proches du chef de l’Etat qui échappent à la Justice. D’autres personnes qui bénéficient de hautes fonctions ou appartiennent à des familles influentes sont dans la même situation. Ainsi, le 25 septembre 2009, une horde de jeunes en furie attaque les locaux du groupe de presse Walfadjri qui avait eu le tort de publier une interview critique à l’endroit de Sérigne Modou Kara, entretien accordé par le propre frère de celui-ci. L’instigateur de l’attaque est connu et ne nie pas sa responsabilité. Il est entendu une première fois par la fameuse Dic, mais «oublie»de se présenter pour une deuxième audience. Personne n’en parle plus …y compris les victimes des représailles !
C’est pour ces raisons que la condamnation à six mois de prison ferme d’un jeune loup du Pds, coupable d’avoir tenté d’incendier une tribune au cours d’un meeting d’un parti d’opposition, et de s’en être vanté, avait semé le doute. Vite dissipé, puisque l’intéressé a été vite libéré sans avoir épuisé sa peine. Autre ouverture peut-être sans lendemain : pour la première fois, le Président, usant de ses prérogatives, a transmis à la Justice un rapport de l’Inspection générale d’Etat, ce qui a permis l’inculpation de l’ancien directeur de l’Artp, notamment. S’agit-il d’un tournant dans la politique de Wade ? Ou de l’expression de sa lassitude face aux excès de certains militants zélés ? Ou d’un démenti des propos du Bâtonnier des avocats qui avait dénoncé les pressions exercées sur la Justice par la hiérarchie politique et religieuse ? On le saura lorsque toutes les personnes incriminées ou suspectées (parmi lesquelles Karim Wade lui-même) seront appelées à répondre devant la Justice.
Pour comprendre la passivité observée jusqu’ici par le gardien des libertés, il faut se reporter à un document récent. En juillet 2009, dans une lettre incendiaire, inhabituelle à ce niveau de responsabilité, Wade avait accusé l’opposition des pires crimes, imprescriptibles pour la plupart, précisait-il, parce qu’ils n’ont donné lieu à aucune enquête. Certains des crimes cités, qui auraient été commis sous le régime socialiste, sont particulièrement odieux et ne peuvent ni ne doivent rester impunis, comme celui d’avoir procédé à des sacrifices humains («capture de deux jeunes filles albinos enterrées vivantes»). D’autres auraient été exécutés après l’élection de Wade ou par des personnes qui ont occupé des fonctions de ministre dans son gouvernement. Tous ces crimes et délits seraient donc connus du président de la République et pourtant, celui-ci n’a ordonné aucune enquête, n’a instruit aucun tribunal ou autorité pour qu’ils soient jugés (…)

MENACES A L’ENDROIT DES ADVERSAIRES POLITIQUES
«Il est coutumier du fait, à plusieurs reprises il a usé de menaces de poursuites contre ses adversaires (Niasse pour «vente et trafic de passeports diplomatiques», Tanor Dieng pour «vente illicite de licences de pêche») tout particulièrement en période électorale, comme ce fut le cas pendant la campagne présidentielle de 2007. Il n’est jamais allé au-delà de la diatribe. Sa priorité, ce ne sont pas les criminels ou présumés tels, c’est de garder une arme contre ses ennemis et son opposition. Et même pour ceux-là, il est prêt à passer l’éponge, pour peu qu’ils se rallient à sa cause.
S’il s’abstient de juger les crimes attribués à ses adversaires politiques, a fortiori, Wade ne peut qu’être compatissant à l’endroit de ses amis et militants soupçonnés de fautes ! Voila qui explique qu’il témoigne autant de mansuétude à l’endroit des agents fautifs de détournement de deniers de l’Etat et de prévarications qui continuent à le servir. Il avait ouvert une chasse contre les responsables qui avaient commis ces délits sous le régime de Diouf et cela s’est terminé par un flop : la plupart des personnes ciblées sont devenues des militants du Pds et certains sont même ministres. Le scandale dit des «dépassements budgétaires» a révélé qu’il ne s’agissait pas seulement d’excès de dépenses, mais de «dépenses hors budget, voire de détournements de mission et de moyens de l’Etat», quelquefois de fausses dépenses, de magouilles, d’abus d’ententes directes et de marchés fictifs. Parmi les personnes accusées d’avoir eu recours à ces pratiques figure Souleymane Ndéné Ndiaye, qui est devenu le sixième Premier ministre de l’Alternance. Le Président avait laissé entendre que tous les ministres fautifs recevraient des demandes d’explication : aucun n’a été sanctionné pour ces faits. En janvier 2010, l’Armp, autorité administrative indépendante chargée de la régulation du système de passation des marchés publics, a épinglé quelque 70 autorités contractantes pour leur mauvaise gestion des moyens de l’Etat. Parmi les institutions pointées du doigt figurent des ministres (dont une ministre d’Etat réputée proche de Karim Wade qui aurait fait acheter des cuillères à des milliers de francs la pièce !), les mairies de Dakar (dirigée alors par l’actuel président du Sénat, deuxième personnalité de l’Etat), de Saint-Louis (alors sous l’autorité de l’actuel président du Conseil économique et social) et l’Anoci présidée alors par Karim Wade. Le document, fait exceptionnel, a été porté à la connaissance du public, peut-être pour rassurer les bailleurs de fonds, et notamment les Etats-Unis qui ont promis au Sénégal une subvention de 250 milliards, par le biais du Millenium change account. Les Sénégalais se sont posé cette fois encore la question de savoir si Wade allait sévir cette fois ou si, comme il avait tenté de le faire avec la Cour des comptes, il allait tuer dans l’œuf toute forme de régulation en réduisant l’autonomie financière et de gestion dont bénéficie l’Armp. De toutes les personnes accusées, Wade n’a défendu qu’une seule : son fils, qui selon lui, n’est responsable d’aucune dépense somptuaire : on est à la porte du blanchiment puisqu’il évoque l’idée d’une contre-enquête. D’autre part, les plus zélés des Wadistes fulminent contre l’institution et accusent son directeur, pourtant ancien ministre de Wade, de vouloir faire du spectacle aux dépens de la Justice et du chef de l’Etat.
La vérité, c’est que Wade est opposé à toute sanction contre ceux qui le soutiennent. Il a créé une institution dénommée Commission nationale pour la lutte contre la non-transparence, la corruption et la concussion. Cela fait bien aux yeux des bailleurs, mais la commission est une coquille vide et les fortes indemnités dont bénéficieraient ses membres ne contribueront pas à asseoir son indépendance et sa crédibilité. Selon Mouhamadou Mbodj, coordonnateur du Forum civil, elle est «bâillonnée juridiquement : elle ne peut pas s’autosaisir et, quand elle est saisie, elle n’a pas de pouvoirs d’investigation importants». Pire encore : «Elle ne peut pas saisir directement la Justice», comme cela aurait du être le cas pour le scandale de l’Anoci qui a dépassé le niveau d’une «rumeur» puisqu’il a fait l’objet d’un livre (…)»

lequotidien.sn

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