Bennoo doit se déterminer par rapport à sa stratégie de candidature pour 2012. C’est la conviction de Me Aïssata Tall Sall qui a fait face aux correspondants de presse basés à Paris. Pour elle, cette situation commence à exaspérer.
Wal fadjri : A dix mois de la présidentielle, les Sénégalais attendent toujours de savoir si vous présenteriez une candidature unique ou de l’unité ou des candidatures plurielles…
Aïssata Tall SALL : Tout le monde attend. Nous-même, on attend. Si vraiment je dois être honnête avec vous, et je dois l’être parce que je le suis, les gens commencent à être exaspérés par cette situation. Ils ne comprennent pas, effectivement, qu’on n’arrive pas à dénouer ce nœud gordien de l’élection présidentielle à venir. Et moi, je suis pour qu’on donne un ultimatum à Bennoo. Il faut que Bennoo se prononce dans un sens ou dans un autre. Nous avons envie d’aller en campagne électorale. Nous avons envie de monter nos comités électoraux. Nous avons envie de remobiliser nos gens, mais on ne peut dire à une personne : ‘Va à l’élection, inscris-toi, mobilise-toi, commence à te battre et à te préparer sans qu’on lui dise, finalement, pour qui il va le faire .’ Moi, en tout cas, je comprends très bien l’exaspération de nos militants. Je l’ai vécue au Sénégal, je l’ai vécue ici en France. La seule question que les gens se posent, c’est : quand Bennoo en aura fini avec la question des candidats ? Et je pense que, aujourd’hui, Bennoo a le dos au mur. Il ne peut plus reculer. Et, vraiment, j’invite les leaders à se fixer un deadline. Je pense que, personnellement, si d’ici la fin du mois de juin, Bennoo ne s’assume pas en fixant ses électeurs potentiels et tous ses sympathisants sur le choix des candidats, ça pourrait absolument être catastrophique pour nous tous. D’abord, cela donne l’impression qu’on a joué à cache-cache avec les Sénégalais. Ensuite, cela donne l’impression qu’on était plus dans de petites combinaisons politiques politiciennes plutôt que dans la vraie politique. Je pense que Bennoo a une double exigence : une exigence de transparence c’est-à-dire qu’est ce que nous allons faire pour le choix de ses candidats, et une exigence de diligence c’est-à-dire le faire à temps pendant que les gens sont encore en train d’attendre car, après, ils n’attendront plus, ils iront malheureusement ailleurs.
Qu’est-ce qui bloque ?
Moi, je pense que c’est tout simplement les négociations qui bloquent entre les composantes de Bennoo. Je comprends que ce n’est pas facile mais quand même on a eu des années pour le faire. Ça doit faire au moins deux ans que nous disons que nous allons faire des séminaires pour choisir ce candidat. Mais si en deux ans on n’a pas pu le faire, ce n’est pas seulement une situation politique, il y a aussi beaucoup de facteurs personnels qui interviennent. A partir de ce moment, rien ne peut empêcher à un esprit raisonnable et censé de dire que ce sont des combinaisons qui se jouent à l’intérieur plutôt que de la transparence et de la bonne politique.
Dites-nous, honnêtement, qu’est-ce qui bloque ?
Je vous dis que, moi, je pense que ce sont les ambitions personnelles…
Entre qui et qui ?
Ah non, je ne peux pas vous dire entre qui et qui parce que je ne suis pas présente à ces débats-là. Je ne fais qu’en obtenir parfois le commentaire, le compte-rendu ou la restitution. Mais vous savez, Bennoo, ce n’est pas une affaire simple. C’est quand même plus d’une quarantaine de partis à l’intérieur. Et on ne peut pas interdire aux uns et aux autres d’avoir des ambitions personnelles. On ne peut même pas leur interdire de penser que c’est les seuls légitimes à pouvoir conduire la barque Bennoo. Donc tout ça induit que les gens discutent, que les gens négocient. Mais, honnêtement, si on doit discuter franchement et négocier franchement, on aurait quand même dû finir ce travail-là.
‘Si, d’ici la fin du mois de juin, Bennoo ne s’assume pas en fixant ses électeurs potentiels et tous ses sympathisants sur le choix des candidats, ça pourrait absolument être catastrophique pour nous’
Certains pensent que le blocage se situe entre l’Afp et le Ps…
Peut-être parce qu’entre l’Afp et le Ps, cela n’a pas toujours été facile. On n’est que des personnes. On a quand même vécu entre nous des choses difficiles, il faut le reconnaître. Aujourd’hui on essaie de surmonter tout cela, de faire justement que le passé ne remonte pas à la surface des obligations présentes. Mais je pense que la hauteur d’un homme politique c’est d’arriver à dépasser les situations passées, à s’accaparer du présent, pour pouvoir envisager l’avenir.
Pensez-vous que la candidature unique a beaucoup plus de chance que les candidatures plurielles ?
Je ne sais pas parce que je ne suis pas dans la tête et dans les intentions des différentes composantes de Bennoo. Moi, je peux tout simplement exprimer mon point de vue personnel, mais je ne peux pas vous dire ce que chaque parti, encore moins ce que chaque leader, a dans sa tête. Il faut vraiment être Madame Soleil pour pouvoir envisager cela. Mais je pense que nous devons pouvoir aller à une candidature de l’unité. La candidature de l’unité, c’est celle-là même qui permet à toutes les sensibilités de Bennoo de se retrouver autour d’un candidat, parce que chaque sensibilité aura été prise en compte. Je pense que cela est possible même si je sais que c’est très difficile. Je sais que c’est absolument compliqué, mais l’on doit pouvoir aller vers cela sinon… (elle ne termine pas la phrase). Je pense que le Sénégal n’a jamais été dans une situation pareille où tout le monde pense que le Sopi peut être vaincu et où en face on se dit qui pour vaincre le Sopi. Voilà la situation dans laquelle le pays se trouve. Donc c’est ça en fait qui doit faire que nous devrions faire preuve de beaucoup plus de sens de responsabilité, surtout de générosité voire de sacrifice, pour pouvoir y arriver. Il faut que certains s’effacent au profit d’autres, et en s’effaçant il faut se dire qu’on ne s’est pas effacé mais qu’on le fait pour le Sénégal parce que chacun aura sa partition à jouer demain pour le redressement du pays.
Les militants de l’opposition qui appellent de leurs vœux à une candidature unique ont-ils encore des raisons d’espérer ?
Je pense que oui. Mais, on est vraiment sur le dernier fil. Bennoo a fini d’épuiser ses cartes de patience. Il faut maintenant qu’il se détermine le plus rapidement possible. Sinon, je pense qu’on va assister à une désillusion de nos militants, à une dispersion de nos militants, à une décrédibilisation de Bennoo. Toutes choses qui font que ce n’est pas ça les armes qu’il faut pour aller à l’élection.
Concernant le processus électoral, on dit qu’il y a 1 million deux cent mille jeunes qui attendent leur pièce d’identité pour s’inscrire. Et du côté de Benno, on ne voit pas de mobilisation pour amener l’Etat à céder.
Vous avez tout à fait raison. Je pense que ce problème de carte d’identité nationale est un problème absolument grave. Parce que, souvenez-vous, que c’est le président Wade qui avait prorogé les délais d’inscriptions sur les listes électorales. A quoi cela aura-t-il servi de les proroger si les gens ne peuvent pas aller s’inscrire parce que ne disposant pas de la carte nationale d’identité. Mais, en face, effectivement on a l’impression que, en dehors de la condamnation verbale, nous n’avons pris aucune initiative pour ça. Je me demande même si ce n’est pas trop tard. Mais je pense que non parce que nous avons encore jusqu’au 10 juin pour nous inscrire. Je pense tout de même que Bennoo doit se mobiliser, engager une action publique d’envergure, une marche nationale pourquoi pas, arriver peut-être même à bloquer le processus électoral si les cartes nationales d’identité ne sont pas mises à la disposition des Sénégalais dont une bonne majorité de jeunes mais aussi des adultes. Vous pensez que, à Podor, chez moi, quand on cherche une carte nationale d’identité, il faut aller jusqu’à l’arrondissement de Mbane. Vous vous rendez compte de cela ?
Demander à un Podorois, qui n’a pas les moyens, de quitter Podor, de quitter la route nationale et d’aller non pas à Richard-Toll, non pas à Dagana, mais d’aller à Mbane où il y a un centre de collecte et de traitement. Et tout ce que le ministre de l’Intérieur a dit sur des cartes en stock qui n’ont pas été retirées, pour moi c’est de la poudre aux yeux. Qu’est-ce que le fait que des Sénégalais n’aient pas voulu retirer leurs cartes a à voir avec l’autre fait que des Sénégalais n’en disposent pas. Si ces Sénégalais-là ne sont pas venus retirer leurs cartes, cela est de leur responsabilité mais on ne peut pas faire payer ceux qui attendent le laxisme de ceux qui n’ont pas voulu aller chercher leurs cartes. Je trouve que c’est une position complètement farfelue, anachronique, mais tout simplement de mauvaise foi. Et j’entends tous les jours le ministère de l’Intérieur dire que nous avons un stock de cartes nationales d’identité extrêmement important que les gens ne sont pas venus retirer. Et on va sanctionner ceux-là qui n’ont pas de cartes. Je pense que ce n’est pas juste, ce n’est pas de bonne foi. Mais Bennoo doit saisir ce problème-là à bras-le-corps et faire plier le gouvernement. Parce que sur cette question-là je sais que le gouvernement ne reculera pas, il va jouer la montre, il va nous dire au 10 juin que tout est terminé alors que rien n’est encore commencé.
‘Si le président Wade donne les 4×4 à toutes les mairies, je ne vois pas pourquoi je priverai la mairie de Podor de sa 4×4’
Pouvez-vous alors pour faire cette pression sur le gouvernement ?
Vous savez, Bennoo, c’est un éléphant, ce n’est pas une gazelle pour parler comme Ségolène Royal. L’éléphant, ça se déplace difficilement. Donc, il faut que les états-majors en parlent, il faut sortir les moyens d’organiser cette marche-là, et tout cela je comprends que n’est pas facile. Mais, je pense qu’il faut prendre à bras-le-corps cette affaire sinon psychologiquement, on se sera mis en situation de faiblesse par rapport au gouvernement. (…)
Parlons, maintenant, de la dernière audience des maires du gouvernement avec Wade. La presse révèle que des passeports diplomatiques et des 4×4 vont ont été promis. Est-ce une demande des maires au président ?
Bien sûr que c’est une demande des maires puisque c’est Abdoulaye Baldé (maire de Ziguinchor et président de l’Association des maires du Sénégal (Ams), Ndlr), en sa qualité de président de l’Ams, qui a posé cette demande qui a été immédiatement acceptée par le président Wade. Pour moi, personnellement – que mes homologues maires m’excusent – ce n’était pas une priorité.
Donc n’allez-vous pas prendre la 4×4 par exemple ?
La 4×4 ne m’appartient pas. Elle appartient à la mairie de Podor. Personnellement, j’aurais posé le problème autrement. Mais, si le président Wade donne les 4×4 à toutes les mairies, je ne vois pas pourquoi je priverai la mairie de Podor de sa 4×4. Mais je veux dire que si c’était moi, je n’allais pas poser le problème comme cela.
Au sein de Bennoo, cette promesse de 4×4 pose beaucoup de problèmes. N’avez-vous pas harmonisé vos positions avant d’aller rencontrer le président Wade ?
Peut-être que l’Ams, au sein de son bureau, a dû le faire. Mais, je n’ai pas été conviée à une telle réunion. Mais comme je ne suis pas un exemple de présence des réunions du bureau de l’Ams, peut-être que cette réunion a eu lieu et qu’une majorité de maires a pensé que c’était là une doléance fondamentale. Ce que je peux vous dire, avec certitude, c’est que les maires de Bennoo ne se sont pas réunis autour de cela.
Sachant que le président est très futé en matière de politique politicienne, pourquoi n’avoir pas pensé à vous réunir pour harmoniser votre discours avant d’aller rencontrer le Chef de l’Etat ?
Il n’y a pas de groupe Bennoo au sein de l’Ams. Justement, on ne voulait pas particulariser selon le groupe auquel on est affilié. Nous avons pensé que nous sommes des maires et l’Ams a toujours fonctionné ainsi sans étiquette politique définie. C’est une association des maires. Les maires viennent ès-qualité maire et non pas ès-qualité socialiste ou libéral. D’ailleurs, je pense que c’est complètement desservir l’Ams que de brandir ces étiquettes-là. Je pense que, en tant que maires, nous avons, tous, les mêmes problèmes ; nous vivons, tous, les mêmes réalités, nous devons pouvoir nous concerter, sans étiquette politique, pour arriver à une position commune.
Certains maires de Benno rejettent les 4×4. Quelle est votre position en tant que maire ?
Je pense qu’il faut en discuter même si c’est une concertation a posteriori. D’abord, le président Wade l’a promis. Et de ce qui est de ses promesses, je ne pense pas que ça soit quelque chose qui va avoir une réalisation immédiate. Je pense que nous devons pouvoir en discuter pour voir ce qu’il faut réserver à cette offre. Moi, je vous ai dit ce que je pense de ça. Mais j’appartiens à un cadre organisé, à l’association des maires. (…).
A combien s’élève le budget de votre commune ?
Il est de 113 à 114 millions.
Il doit servir beaucoup plus à payer des salaires qu’à investir.
Non ! De ce point de vue, nous avons un ratio qui est en deçà de la moyenne. Nous avons une bonne politique de maîtrise des salaires. Nous n’avons pas fait de recrutement inflationniste. Je n’ai pas recruté depuis que je suis arrivée à la mairie, en dehors d’un gardien que j’ai trouvé là et qu’on payait au lance-pierre – disons-le ainsi. J’ai voulu régulariser sa situation parce que c’est un besoin impératif de la mairie. Pour le reste, nous sommes en train d’étudier, mais nous n’avons pas pris l’option d’un recrutement intempestif, inflationniste qui pourrait basculer notre budget dans le sens du déséquilibre. C’est quelque chose de voulu et d’affirmé par l’équipe municipale et j’essaie de respecter. (…)
Propos recueillis par Moustapha BARRY (Correspondant permanent à Paris)
walf.sn