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Centre Guindi. Les rescapés de l’enfer de la rue

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Lorsque certains parents n’assument pas convenablement leurs responsabilités, ce sont leurs enfants qui en font les frais. Ces mômes issus de familles monoparentales, sont orphelins, talibés, maltraités par des proches ou issus de familles démunies. Sans ressource aucune, ils sont laissés à eux-mêmes. Le centre Ginddi recueille ces enfants abandonnés et tente de leur restituer l’amour et la chaleur qu’ils n’ont pas bénéficiés chez eux. Reportage dans ce lieu de transit des enfants en sursis. Entre le « paradis » du centre et « l’enfer » du retour.

Awa a 5 ans et est une fugueuse ! Elle arrive, pieds nus, écrasant un caillou sur son passage. Les mains fourrées dans les poches, son short laisse appaître des jambes branlantes, fines et souples comme des cannes mais solides comme du bambou. Le tee-shirt qu’elle porte, trop grand pour elle, ne fait que mettre davantage en évidence sa maigreur et son apparence misérable. Elle balance sur le côté de son visage ses nattes, tandis qu’elle avance toujours tête baissée. Awa lève la tête et de jolis yeux en forme d’amande, dont la misère n’a pas encore éteint la luminosité, lui donnent un regard vif mais que les cernes rendent durs, sombres et sérieux. Elle aurait pu être belle en d’autres circonstances.

Mais, la misère, les mauvais traitements qu’elle a subis de la part de sa tante ont rogné la beauté de ce petit visage. Par la grâce de Dieu, l’enfant est encore fort bien constituée et, malgré les coups qu’elle a reçus, aucune quenotte ne manque à sa dentition quand elle ouvre la bouche… pour narrer son histoire : « mon père est malade et ma mère est internée à l’hôpital avec lui. On m’avait confiée à ma tante qui me rouait de coups tous les jours. Un matin, j’ai fugué pour rejoindre mes parents. Je ne savais pas exactement où j’allais, je voulais juste fuir ce lieu. Je me suis perdue en cours de route. » Des filets de larmes perlent sur les joues de la petite. La seule évocation du nom de sa tante rend moites ses petites mains, elle tremble comme une feuille morte et répète inlassablement le nom de son bourreau : « c’est Maty Pène…c’est Maty Pen…c’est Maty Pène… » Le triste sort de la jeune fille, les malheurs qui l’ont accablée, au moment où elle cherche à vivre l’enfance et l’innocence qui l’accompagnent, n’ont pas heureusement installé chez elle le désespoir et la renonciation à la vie. Le Centre Ginddi lui a tendu la main. Ils sont là, ses sauveurs, pour la tirer des affres d’une terrible vie, pour lui restituer l’amour et la chaleur qu’elle n’a pas eus chez elle.

Awa vit désormais au Centre Ginddi, au Makanou Djigéne gni. Entité du centre, créée en mars 2008, qui a déjà accueilli 58 filles âgées de 5 à 17 ans. Trois chambres à coucher complètes avec une salle d’attente meublent les lieux. L’infrastructure est parfois exiguë en temps de rush mais l’endroit est agréable et favorable à l’épanouissement des filles, tant qu’il n’y a pas de surnombre. « Le centre est un lieu de passage de l’enfant en attendant de trouver ses parents, et faire la médiation pour les ramener à la maison. Mais notre problème c’est que la plupart des enfants ne veulent plus retourner chez eux ou chez leur marabout. Du coup, on ne peut pas les renvoyer de force car notre démarche est participative et on demande à l’enfant s’il veut retourner sinon, il a la latitude de rester », précise la directrice du centre Mme Sarata Ly.

Ce qui est évident, c’est que le manque d’affection, la froideur des relations que ces enfants ont avec leurs parents, ne les encouragent pas à retourner chez eux. Ils s’enfuient pour échapper à un autre enfer, encore plus dur à supporter lorsqu’il est vécu à côté de leurs propres parents… des images très difficiles à regarder qui laissent un sentiment de culpabilité certain. « L’Etat fait ce qu’il peut, on dépend du ministère de la Famille. Mais s’il y avait aussi la main des Sénégalais, ce serait encore mieux avec le système de parrainage des enfants », recommande la directrice du centre.

SEANCE DE PËNC

Dans l’arrière-cour d’une salle du Centre Ginddi, vingt et un garçons assis en tailleur sur des nattes se livrent facilement aux regards. Deux assistants sociaux veillent aux mûres réflexions et aux repentirs des pensionnaires. Ils suivent un programme appelé Penc où chacun d’eux se met au milieu du cercle pour raconter ses malheurs, ses peines et les jours sombres qu’il a vécus dans la rue. D’un air parfaitement dégagé, Cheikh, 8 ans, avance et se met au milieu. Exécutant des courbettes, des mimiques grimaçantes, le gamin finit par énerver les assistants. « Arrête tes manières et tiens-toi droit ! », lance d’une voix suraiguë, Soukèye, l’une des assistantes sociales. Cheikh sursaute, s’exécute et commence son récit : « Je suis né à Keur Massar. Après le divorce de mes parents, on m’a confié à ma grand-mère. Un jour, elle m’avait donné de l’argent pour acheter du pain. Je l’ai dépensé à manger avant d’arriver à la maison, car j’avais faim. J’avais peur d’être battu par mon parrain, j’ai pris la fuite. » La vie de Cheikh ressemble alors à celui d’un chien errant. Il confesse avoir subi les pires supplices dans la rue. Heureusement qu’il a été retrouvé par Gamou, un assistant social qui l’a conduit au centre.

Après une brève présentation, le garçon rejoint prestement ses camarades. Les autres garçons se gardent poliment de commenter la révélation qui s’ébauche et se limitent à lui poser des questions pour déceler les failles de son récit. Ensuite, les doigts foisonnent à l’air libre, avant que l’un d’entre eux ne soit désigné. « Pourquoi n’as-tu pas demandé de l’argent à ta grand-mère au lieu de voler ? Et pourquoi tu t’es enfui sachant que la rue ne te fera pas de cadeaux ? » Babacar joue au flic mais en vain. Futé, Cheikh se gardera de donner les mêmes réponses, et l’assistant social d’ajouter : « il y a des non-dits dans ton histoire, et je suis sûr que tu changeras de version la prochaine fois. » Il se tourne vers l’intruse pour lui expliquer : « votre présence ne les rassure pas, du coup, ils peuvent raconter n’importe quoi pour se protéger. » La méfiance du début s’éloigne au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Les garçons s’accommodent de la présence de l’inconnue (Journaliste). Des histoires différentes en fonction du locuteur. Et tout y passe jusqu’aux plus petits détails sordides qui peuvent conduire vers l’enfer de la rue : l’inconscience ou l’âpreté de la plupart des familles, la misère ambiante, la drogue qui fait des ravages et les enchaîne… l’hécatombe se poursuit…

Ousmane en a fait les frais. C’est un garçon aimable, au regard intense, qui respecte à la lettre la loi du « je ne parle pas à un inconnu ». Lorsqu’on l’interroge, il se contente de lâcher, avec un sourire énigmatique, l’index à la bouche, jouant au timide : « han…han… ». Korka Barry Ndao, assistante sociale chargée de la médiation du centre, répond à la place du gamin. Elle dit : « ses parents l’ont abandonné dans la rue, il avait trois ans. On l’a ramassé un soir lors d’une de nos rondes dans la capitale. Comme il parlait à peine, il ne se souvient pas de ses parents, et ne connaissait pas son adresse. Sa photo a été publiée à la Radio télévision sénégalaise (Rts) pendant un long moment.

Mais, on n’a pas eu de feed-back. Cinq années se sont passées, Ousmane est toujours là, maintenant on le surnomme affectueusement l’enfant du centre. » Chaque week-end, Ousmane fixe la porte du centre. « Il attend de la visite ou l’espoir que quelqu’un vienne le sortir d’ici ne serait-ce que le temps d’un week-end. Conscient que personne ne viendra le voir, car ses parents ne se sont pas manifestés durant toutes ces années, on l’amène chez nous pour qu’il reste avec nos enfants », précise l’une des assistantes du centre. Un choix qui n’arrive toujours pas à combler le manque d’affection familiale, vu les visages pâles et frustrés qui décorent les lieux.

Le cas d’Ousmane n’est pas particulier. Ils sont plusieurs à affronter le même sort. Ces petites créatures prient comme elles peuvent pour baigner dans une ambiance familiale normale, le temps d’un week-end. Les pensionnaires qui ont de la famille ne sont pas mieux traités non plus. « Certains enfants sont choqués par le comportement des parents. Ils n’acceptent pas le fait qu’ils ne viennent pas les voir assez souvent », ajoute un assistant du centre. C’est le cas de Mountaga. « Les rares fois que ma maman vient me voir, c’est pour m’insulter ou me faire des reproches. Donc je préfère qu’elle ne vienne plus car je suis bien avec les gens du centre. Ils ne jugent pas mon passé », indique Mountaga, avec le ton sérieux d’un adulte et non d’un enfant qui n’a pas dépassé les 12 ans.

LA VIE DU CENTRE

Le soleil, qui s’est fait tapant toute la journée, s’intensifie. On entend le bruissement de l’air dans les feuillages, ainsi que les rares sifflements des oiseaux. Au milieu de ce semblant de verdure, se dessine une silhouette grande emmitouflée dans un grand-boubou couleur lait. Frôlant de ses doigts les quelques arbustes qu’elle traverse, Sarata Ly, la directrice du centre marche d’un bon pas et semble perdue dans ses pensées. Elle remet d’un geste machinal un des pans de son mouchoir de tête derrière son oreille droite. Presque chaque matin, elle vient se détendre dans cette vaste cour avant de plonger dans ses activités incessantes. Assis dans l’un des bancs publics du centre, elle revient sur l’origine de Ginddi : « Le centre a été créé en 2002, sous l’initiative du chef de l’Etat. On reçoit ici les enfants de la rue. Ils arrivent ici par l’intermédiaire du numéro vert : le « 800 00 88 88 » connu par la plupart des enfants de la rue ; soit par l’intermédiaire du Commissariat central de police ou le comité d’alerte mis en place dans la banlieue ou par de simples bonnes volontés. »

D’ici, on sent tout, entend tout, écoute encore et encore tout. Immobile devant ces immenses bâtisses de couleur ocre qui meublent les lieux. Cette cour représente pour les enfants ce qu’est le jardin d’Eden pour Adam, un jardin secret. Une sorte d’aire de jeux qui a la magie de leur redonner leur enfance volée par les vissicitudes de la vie. Les yeux mi-clos, la paume de ses mains tournées vers l’astre qui brille, elle se fond dans ce décor et poursuit : « le centre est composé de 15 assistants sociaux et chacun d’eux a un groupe de 12 enfants qu’il prend en charge. Et le suit régulièrement. Cependant, nous avons aussi en charge des enfants de la sous-région telle que la Mauritanie, le Mali, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau. Depuis la création du centre, on a eu à effectuer 3000 retours en famille en Guinée Bissau. On suit aussi les enfants qui ont rejoint leur famille pour voir si les conditions sont adéquates pour leur épanouissement. » La chaleur de cette après-midi monte en elle. Sarata Ly se lève, les bras le long de son corps, Puis elle reprend son chemin. Elle se déplace avec souplesse et agilité, vers sa mission : redonner de l’espoir aux enfants de la rue.

Il est 14 heures. La vie reprend dans le centre. L’aire de jeu composée d’un baby foot est envahie par les enfants. De loin, on perçoit dans ces regards une certaine innocence mêlée de malice. En même temps, dans un contraste extrême, on voit aussi la joie des enfants lorsqu’ils peuvent, en de rares moments, se comporter comme tout enfant de leur âge, des sourires qui illuminent les visages et qui montrent qu’il y a de la place pour l’espoir. Qu’à la limite, il suffit de peu, pour que leur vie devienne normale.

TEMOIGNAGE IBRAHIMA DIOP, 11 ANS, PENSIONNAIRE DU CENTRE
« Si mes parents ne m’aiment pas …qui pourra le faire à leur place ? »

« …J’habite à Yeumbeul, alle baye Gnakhe. Peu après ma naissance, mes parents divorcent, on me confie à ma grand-mère à Louga. Apres quelques années, je tombe gravement malade et on me ramène à Dakar chez ma mère. Au fur et à mesure que je grandissais, je réclamais mon père car je ne le connaissais pas. Une fois qu’elle en a eu marre, ma mère m’a pris un matin avec mes bagages pour m’amener à Pikine Guinaw Rails, chez mon papa. Là-bas, j’ai vécu les pires moments de ma vie. Mon père a en garde une maison en construction qui se trouve à Keur Mbaye Fall, du coup, je redeviens orphelin à nouveau. Mes tantes me maltraitaient. Je m’occupais des tâches ménagères, faisais le marché comme une fille et le soir j’étais privé de nourriture.

Un jour, je fuis cette maison pour me retrouver dans la rue. Ma première nuit a été un enfer. Du haut de mes 7 ans j’ai eu peur, mais je me suis dis que rien ne peut être pire que la maison de mon père. Quelque temps après, je suis allé me refugier à l’Empire des enfants. Comme ce centre était plein à craquer on m’a amené au centre Ginddi. Une semaine plus tard, je rejoins mes compagnons d’infortune dans la rue qui me montrent une photo de moi dans les journaux. Je venais d’apprendre que ma mère me cherchait. Je me suis mis à mendier un peu d’argent pour le transport afin de rentrer chez moi. Ma mère s’est remariée, et son mari ne me supporte pas. Lui aussi me bat et me maltraite comme mes tantes. Alors, j’ai encore fugué pour éviter ce supplice que je vis depuis ma naissance. Par ma faute, mon beau-père a répudié ma mère qui est retourné à la maison familiale où je l’ai rejointe par la suite. On est très pauvre, il nous arrive de ne pas avoir quelque chose à mettre sous la dent.

Un matin, je me suis mis à pleurer sous la fenêtre de ma grand-mère, et je me suis dit que même étant jeune je peux aider ma famille. C’est ce jour-là que j’ai décidé d’être laveur de voiture. Je me débrouillais tant bien que mal mais ce n’était pas évident avec les temps qui courent. Les quelques pièces que je ramenais à la maison, ne nous sortaient pas du gouffre…on était de plus en plus pauvres. Perdu et attristé par cette situation que je ne peux pas changer, j’ai fugué pour rejoindre la rue, pour éviter le regard triste de ma mère et de ma grand-mère. Cette fois ci, les aînés fakhman me donnaient l’ordre de sniffer de la colle. Opposant un refus catégorique, j’ai rejoint le centre Ginddi un soir, pour éviter de sombrer dans la débauche.

(Il baisse la tête et se mit à pleurer) Depuis ma naissance, je n’ai subi que des supplices… (Il lève ses yeux embués de larmes). Pourtant, je suis encore un enfant. Pourquoi toute cette haine de la part de ma propre famille ? Si eux ne m’aiment pas qui pourra le faire… ? »

Aissatou LAYE

lagazette.sn

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