L’Île à Morphil dispose d’énormes potentialités économiques. Du fait de son enclavement, elles restent inexploitées. L’absence d’infrastructures sociales de base expose ses populations à d’énormes difficultés. Située dans le département de Podor, à 490 km de la région de Dakar, l’Île à Morphil reste une zone très enclavée et fait son business avec la Mauritanie.
L’Île à Morphil. Cette contrée du Fouta des profondeurs est située dans le département de Podor, au nord du Sénégal. Elle est décrite comme l’une des zones les plus pauvres et les plus enclavées du pays. L’île, constituée d’une bande de terre d’une superficie de 1 250 km², peuplée par 90 mille habitants répartis dans 100 villages, est coincée entre le fleuve Sénégal et son affluent, le Doué. Cette partie du Sénégal est complètement coupée du monde à cause de son enclavement. Çela révolte les habitants. Enfant souffrant de rhume au dos, mine épuisée, Dieynaba est une femme dépitée. Elle en a assez de cette situation qu’elle vit depuis maintenant 39 ans. Elle vient de parcourir des kilomètres et a même dû passer la nuit à Ndioum qui est hors de l’Île pour juste voir un pédiatre pour son enfant de 19 mois à cause du manque de structures sanitaires dans cette zone. «On a toutes les difficultés du monde surtout quand nous avons un malade parfois même nous ne voulons pas l’amener à l’hôpital car le chemin risque d’aggraver sa maladie», révèle-t-elle. Visiblement exténuée par les kilomètres qu’elle a dû parcourir et les conditions dans lesquelles elle a fait ce voyage, elle poursuit : «Imaginez, si vous avez une urgence, vous n’avez même pas d’ambulance à votre disposition, pour rallier l’hôpital de Ndioum. Vous êtes obligé de louer une ambulance à 25 mille francs et qui est d’ailleurs toujours en panne». En apparence, cette femme dépasse largement son âge. On lui donnerait la cinquantaine. Elle est éreintée par les conditions de voyage exténuantes. Car la route est parsemée d’embûches. Il faut traverser deux fleuves avec une pirogue qu’on tire parfois avec des cordes avec l’aide des hommes qui sont à bord pour accéder à la Route nationale 1. En saison des pluies, les risques se décuplent. «Imaginez en saison des pluies, les voitures ne roulent plus et si l’ambulance est en panne ou vous n’avez pas les moyens, vous êtes obligé de prendre une charrette pour faire 20 km et une traversée risquée avec une pirogue à certaines heures», se désole-t-elle. Ce calvaire quotidien auquel sont astreintes les populations de ce bout de terre est devenu banal. Bien sûr, ces villages laissés à eux mêmes sont complètement ravagés par le dénuement. On croyait que le pont de Ndioum inauguré récemment par Macky Sall et celui de Médina Nditahbé allaient sortir ces populations de l’auberge. Que nenni ! Le Pont de Ndioum a juste permis de désenclaver les villages de Thiélao, Dara Haleybé. Alors que les autres restent confinés dans le statu quo ante. Un jeune : «Si on avait mis le pont de Ndioum à Dodel, l’Île serait désenclavée. Mais, la situation ne change pas pour les autres villages.»Cette localité souffre d’un manque criard d’infrastructures sanitaires, scolaires et de services socio-économiques de base. De nombreux villages ne disposent pas de centres de santé, ni d’établissements scolaires (élémentaires et moyens). Ce qui fait que beaucoup d’enfants arpentent le chemin de l’école difficilement. Ils font des kilomètres chaque jour pour se rendre à l’école qui se trouve dans un village environnant. La plupart d’entre eux sont obligés de chercher des tuteurs dans ces villages d’accueil afin de pouvoir étudier en toute stabilité. «Or, ce choix n’est pas toujours à la portée de tout le monde car les moyens font parfois défaut. Ce qui fait que beaucoup d’entre eux finissent par abandonner les cours», soupirent de rage les populations. Même les villages qui ont des structures scolaires n’ont ni électricité, ni une bibliothèque et les technologies de l’information et de la communication sont un luxe. Cette localité est pourtant très célèbre. Des personnalités de ce pays y ont vu le jour, d’éminents historiens au Sénégal, d’anciens ministres, des agents de développement, des marabouts connus et respectés partout.Malgré sa célébrité et sa notoriété, l’Île à Morphil n’existe que de nom. Son état de délabrement est d’une tristesse incroyable. Sur les lieux, on ne ressent que de la peine pour les habitants de cette zone. L’histoire révèle que l’Île à Morphil a été la porte d’entrée de l’Islam au Sénégal. A part son titre de noblesse et la gentillesse des populations, il n’y a rien d’autre qui puisse attirer un visiteur. C’est le comble. Il faut faire face au risque pour y accéder. Il faut traverser deux fleuves avec un bac à certaines heures de la journée. Sinon, il faut recourir aux pirogues pour rejoindre les concessions. «La traversée avec les pirogues est interdite en saison des pluies car les fleuves en pleine crue et la traversée à certaines heures demeurent un risque. La traversée avec ces moyens traditionnels constitue un danger», alertent les habitants. Dodel. «Capitale» de l’Île à Morphil est animée ce matin. Trois voitures de marque L 200 attendent les voyageurs sur la route nationale. Dans chaque voiture, attendant une quinzaine de personnes pour rejoindre entre autres les villages de Dara Haleybé, Demette et Sinthiou. Le chemin est impraticable. Mais, les habitants sont contraints de rallier ce chef lieu de la communauté rurale pour faire leurs provisions durant le marché hebdomadaire de ce village. «Nous sommes obligés de nous réveiller tôt le matin si nous souhaitons prendre la voiture. Si on la rate, on est parfois obligé d’attendre le lendemain ou prendre une charrette. Comme vous le voyez cette voiture de marque L 200 ne devrait prendre que 4 personnes mais parfois on est presque plus de 15 personnes à y monter à l’aide des bancs rangés par derrière et payer 1000f Cfa chacun», explique cet habitant de Sinthiou. Dans cette rangée de villages, les maisons, construites en banco, ne paient pas mine. Elles datent presque de l’antiquité. La plupart des concessions, qu’on ne voit presque plus dans certaines parties du Fouta, menacent aujourd’hui ruine. Ce décor sinistre jure avec les potentialités économiques de la zone. Le fleuve Sénégal, le Doué, le Gayo, le Ngalank, les nombreuses rivières, les marigots, et les vastes espaces de culture de décrue ou d’irrigation qui couvrent la presque totalité de l’Île sont des atouts pour favoriser une agriculture florissante. Il y a aussi la pêche (continentale) et un patrimoine culturel riche et varié qui contribuent à favoriser sa renommée.
Zone délaissée
A cause de sa position géographique, l‘Île à Morphil a plus de facilités d’échanges avec la Mauritanie à partir de la Route nationale 2. Les déplacements de l’Est vers l’Ouest, du Nord vers le Sud ou vers les centres urbains sont extrêmement pénibles et coûteux à cause des bras de fleuve à traverser et de l’inexistence de routes et de pistes clairement tracées. Ainsi décrite, l’Île à Morphil fait face à des contraintes majeures. Aujourd’hui, les populations font les échanges avec la monnaie mauritanienne. «C’est plus facile pour nous d’utiliser le Ouguiya (monnaie mauritanienne) que le Cfa. Avec la monnaie sénégalaise, tout est cher. Tous nos produits nous viennent de la Mauritanie. Et accéder en Mauritanie pour nos besoins alimentaires est encore plus facile pour nous que de rallier la commune de Dodel où le trajet est hyper compliqué et très fatigant», confie une habitante de Démette. Elle détaille ses raisons : «Nous voulons participer à l’économie du pays. Nous essayons de faire ce qui nous arrange le plus et ce qui est à notre portée. Quand mes enfants qui sont à Dakar m’envoient de l’argent, je fais l’échange en Ouguiya pour pouvoir satisfaire tous mes besoins», ajoute-t-elle. Même constat pour le chauffeur : «Pour acheter du carburant, c’est plus facile pour nous de le faire à Boghé (ville de la Mauritanie) c’est beaucoup moins cher aussi. C’est juste l’achat qui est un peu compliqué car nous sommes obligés de traverser avec une pirogue pour rallier la station avec nos bouteilles remplies de gasoil».
lequotidien.sn
Cet article traduit bien la souffrance des populations de l’île-à-Morfil. Les solutions de désenclavement jusque préconisées ne sont pas opérantes. Cela n’étonne personne puisque les décideurs n’écoutent pas les populations autochtones mais plutôt des notabilités qui ne sont mus que par les propres intérêts. Conséquence: on a mis partout des ponts sauf là où il faut pour désenclaver la partie la plus peuplée de l’île (de Pathé Gallo à Démette, ce qui correspond à peu près à la partie walo de la commune de Dodel). Tous les gens sérieux savent que pour désenclaver la partie la plus importante de l’île, il faut mettre un pont à Dodel et à Gueloga autrement c’est de la peine perdue. Je précise pour terminer que Dara Halaybé n’est pas désenclavé par le pont de Ndioum.