Un président de la République qui revient sur le départ de son ministre de la justice, moins d’une semaine après avoir accepté sa démission et nommé son successeur par intérim, du fait de fortes pressions exercées sur lui. Des militants de ministres limogés de l’attelage gouvernemental qui descendent dans la rue pour manifester leur mauvaise humeur et exiger la remise en selle de leurs protégés. Des directeurs d’établissements publics qui contestent leur limogeage et refusent de faire leur passation de service.
De plus en plus délétère sous l’ère Wade, l’atmosphère qui prévaut au niveau de l’Etat est de fin de règne. On y assiste à un inquiétant charivari. Ça tire dans tous les sens. A hue et à dia, sans cap, sans boussole, le bateau Sénégal semble voguer au gré de vents contraires et contradictoires. C’est à se demander s’il y a un capitaine à la barre, si le chef de l’Etat est vraiment aux commandes. En attendant, les marques de défiance à son endroit fusent de toutes parts. Et au bout du compte, c’est la République qui en prend un sacré coup.
Au-delà de toutes ces remises en cause, le Sénégal bascule de plus en plus dans une gouvernance qui fait la part belle au sauve-qui-peut. Chacun y allant de ses intérêts, quitte à fouler au pied toutes les règles de contrôle qui ont été mises en place pour garantir l’Etat de droit. Sous le joug du gré à gré, les procédures de passations des marchés sont bafouées, piétinées. Les audits sont commandités aux fins d’instruments de pression. Mis sous le coude, leurs résultats, sont brandis comme épouvantails et transformés à l’occasion en mode de chantage, en armes de dissuasion massive. La méthode avait été testée, avec succès aux premiers jours de l’alternance en 2000 avec la horde de transhumants dans les prairies bleues.
La justice n’est pas en reste. En font foi les deux réquisitoires du parquet sur l’affaire Bara Tall. Le procureur de la République a eu du mal à convaincre l’opinion, en dépit des réponses apportées au cours d’une conférence de presse et qui faisaient croire à un brouillon destiné à alimenter la réflexion. Depuis quand les brouillons dont le destin est la poubelle revêtent-ils un sceau, sont-ils signés et datés ?
En réalité, sous la conjonction de tous les coups reçus, l’Etat qui a de plus en plus mal à son impartialité, apparaît comme instrumentalisé, au service d’une caste de privilégiés. Aussi, les personnes occupant les rouages essentielles se servent-elles de l’Etat au lieu de le servir. Ce sentiment partagé par nombre de citoyens est étayé par moult exemples. Pour rappel, le scandale qui a vu les organisateurs du troisième Festival mondial des arts Nègres (Fesman) louer le terrain du chef de l’Etat moyennant des frais de viabilisation de plusieurs milliards de Francs Cfa payés par le contribuable. Il lui sera ensuite retourné avec une confortable plus-value. Si ce n’est pas un prêt usuraire, ça lui ressemble fort.
Et dans la même veine que cet enrichissement sans cause, il se susurre que les ministères et autres démembrements de l’Etat sont fortement encouragés à acheter des status miniatures représentant le monument de la Renaissance, pour les offrir ensuite, en guise de cadeaux, à leurs hôtes de marque. L’argent ainsi récolté sera reversé en grande partie dans l’escarcelle de la fondation privée créée par le chef de l’Etat et placée sous l’autorité de sa fille.
Sacré monument de la Renaissance ! Il continue de s’édifier sur un champ de scandales, pataugeant dans des magouilles qui en disqualifient l’idéal. Et cela dès son acte de naissance. En effet, après que le terrain a été octroyé à l’ex militant socialiste, un des premiers fantassins de la transhumance politique, Mbakiou Faye, dans les conditions que l’on sait, l’érection du monument a été confiée à la Corée du Nord. Un pays aux antipodes des aspirations qui font la modernité de notre époque : Démocratie. Liberté. Respect des droits de l’homme. Elections libres et transparentes.
Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux anecdotes rapportées par l’écrivain Boubacar Boris Diop, de retour de voyage dans ce pays décidément pas comme les autres.
Ainsi confiera t-il dans son livre « L’Afrique au-delà du miroir » (2007. Editions Philippe Rey) : « J’aurais volontiers échangé toutes les bouleversantes thèses du Djoutché* contre le sourire d’un inconnu. Il ne m’a pas été possible, je crois, d’adresser la parole à plus de trois personnes en Corée du Nord ». Mais tout cela n’est rien à côté de l’affaire Wang, du nom d’un de leur traducteur. Et l’auteur de poursuivre : « Tout ce que je peux dire, vingt ans après, c’est que Wang a disparu le jour où il a pris sur lui de nous faire admirer de trop près des gymnastes répétant leurs mouvements collectifs dans un stade (…). Les milliers d’adolescents surpris en plein entraînement n’étaient pas censés nous croiser une seule fois au cours de leur existence. La plupart n’avaient sans doute jamais vu, même à la télé, un Noir. Leur émoi fut très vif et ce détour coûta la liberté ou peut-être même la vie au malheureux Wang. Nous ne le revîmes plus, en tout cas ».
Des années plus tard, rebelote. En 2010, de retour d’Afrique du Sud où se déroulait la dernière Coupe du monde de football, l’entraineur de l’équipe de Corée du Nord était aux abonnés absents, après une série de défaites considérées comme une humiliation nationale. Craignant pour sa vie, la Fifa avait décidé de mener son enquête afin d’en savoir un peu plus sur le sort qui lui avait été réservé. C’est à ce pays « si irréel, si désespérément hors du temps et du monde », que le chef de l’Etat a fait appel pour édifier une statue magnifiant la renaissance africaine ….Un comble !
Après tout cela, il est des courtisans qui ont osé comparer la mégalomanie wadienne à des œuvres autrement plus attractives, comme la tour Eiffel érigée à Paris, ou la Statue de la liberté, à New York. Un tel parallèle respire en fait l’escroquerie intellectuelle. C’est dans une France aux prises avec des difficultés politiques et économiques et encore marquée par le souvenir de sa défaite face à l’Allemagne en 1870, que s’est imposée l’idée d’une Exposition universelle capable de redresser le pays et de restaurer son prestige au regard du monde entier. Prévue à Paris, en 1889, année du centenaire de la Révolution française, toute entière dévolue au fer, le clou de la manifestation a été la construction par Gustave Eiffel de la Tour éponyme, haute de trois cents mètres.
Quant à la Statue de la liberté, elle a été offerte par la France aux Etats-Unis, en 1886, en signe d’amitié entre les deux nations, afin de célébrer le centenaire de la déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Il s’y ajoute que les Etats-Unis étaient en pleine reconstruction, au sortir d’une guerre de sécession qui avait duré de 1861 à 1865.
C’est dire que leurs histoires sont diamétralement opposées, aux antipodes des lubies monarchiques d’un président.
Un chef d’Etat qui s’est déjà présenté comme le coach d’une équipe toujours perdante, malgré les changements de joueurs, au-delà de ce qui est permis par le règlement. Onze ans que cela dure !
* Idéologie nationaliste –et idéologie d’Etat- fondée par Kim Il-Sung
Vieux Savané