Dans quelques jours, le 1er janvier 2011, Charles Blé Goudé va fêter son 39ème anniversaire (officiellement ; il serait plus âgé que ne l’affirment ses papiers). Ironie de l’histoire : ce sera, aussi, ce jour-là, l’anniversaire d’Alassane Dramane Ouattara. Mais c’est le seul point commun entre les deux hommes ; pour le reste, Blé Goudé poursuit d’une haine tenace celui dont il disait déjà (Jeune Afrique du 25 janvier 2004) : « Pouvons-nous confier notre pays à quelqu’un dont on ne connaît ni les origines ni les intentions réelles ? Je ne le pense pas ».
Blé Goudé est né le 1er janvier 1972 à Kpogobré (il sera surnommé le « génie de Kpo » lors de ses années militantes à l’université), dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, à quelques encablures seulement du fief de Laurent Gbagbo. Il est le dernier enfant d’une famille de dix. Il a rejoint la faculté de lettres modernes de l’université d’Abidjan en 1992. En 1995, il s’illustre au sein de la Fédération scolaire et universitaire de Côte d’Ivoire (FESCI), ce qui lui vaut une attention toute particulière de la DST à la veille de la présidentielle (il affirmera avoir été torturé) avant de faire l’objet d’un mandat d’arrêt lancé par le ministre de la Sécurité le 29 mai 1999. Il changera alors d’orientation : il est toujours étudiant mais laisse entendre qu’il prépare une maîtrise d’anglais (sa licence d‘anglais a été invalidée pour fraude par le conseil de l’université).
En décembre 1998, il s’est imposé à la tête de la FESCI grâce à son bagout et, dit-on, à quelques coups de machette bien placés : il y prend la suite de… Guillaume Soro ; il va banaliser la pratique de la violence au sein du mouvement étudiant. Passage par Manchester (juste un passage) pour poursuivre des études qu’il ne rattrapera pas, il s’illustre surtout par sa capacité « à monnayer au plus offrant ses états de service » (il tentera même de « taper » Ouattara). Hôtels de luxe, voitures de luxe, « filles » de luxe… ce « nationaliste xénophobe » (une xénophobie revendiquée et instrumentalisée : « Je suis xénophobe, et après ? ») se prend pour Charles De Gaulle, se fait appeler « général de la jeunesse » et revendique le « ministère de la rue ». Il ambitionne alors de « retourner à Manchester pour terminer une thèse de troisième cycle » avant de « créer un cabinet de communication » en Côte d’Ivoire (ce sera, en juin 2005, Leaders Team Association, LTA, aux Deux-Plateaux, pour assurer le marketing politique de Gbagbo à la veille de la présidentielle de… 2005). Mais ce proche, très proche, de Simone Gbagbo, a trouvé un job bien payé : le diable s’habille alors en « Jeune Patriote » et oppose « les républicains partisans de la démocratie aux rebelles et pro rebelles adeptes de l’usage de la force armée ». Belle proclamation de la part d’un homme qui affirmait : « A chaque Ivoirien son Français » quand les tensions entre Paris et Abidjan atteignait le point de rupture.
Après avoir lancé le mouvement « Tous contre Marcoussis », animé les journées des 4-6 novembre 2004 (affrontement avec les troupes françaises à Abidjan à la suite de l’attaque du QG français de Bouaké), Blé Goudé va soutenir les accords de Pretoria « signés en terre africaine » après une médiation de Thabo Mbeki… qui n’aboutiront à rien mais lui permettront de bavasser pas mal, ici et là. « Je suis au-dessus des clivages politiques. Je me bats… Les amis et moi, nous nous battons pour notre patrie, notre pays, sans coloration politique ».
L’homme qui voulait « être un condensé de Houphouët-Sankara-Gbagbo » (mais qui écrira, par la suite, que Houphouët-Boigny a « déstabilisé l’Angola, le Nigeria et le Burkina »), et rêvait que sur le passage de sa fille, Ange Carmen, on dise : « Voilà la fille de Blé Goudé » (Afrique Magazine – mars 2006), verra ses discours pris au mot et ses actes en compte par le Conseil de sécurité de l’ONU : le 7 février 2006, il est sanctionné pour « faire obstacle à la paix » en dirigeant et participant « à des actes de violences, y compris des voies de fait, des viols et des exécutions extrajudiciaires ». Blé Goudé prendra cette décision pour une consécration : « Je suis le président du Congrès panafricain des Jeunes Patriotes [COJEP], qui est un groupe de pression […] Quant vous voyez des jeunes gens qui réussissent à couper des barbelés avec leurs dents, ou à détruire un mur à l’aide de simples bâtons, c’est que l’on est arrivé à un nouveau stade de détermination ».
Quand, le 7 août 2006, il fera lancer par Frat Mat Editions son livre : « Crise ivoirienne. Ma part de vérité » il trouvera même l’ancienne ministre malienne Aminata Traoré pour le préfacer : « Je vois en lui un jeune homme comme des millions d’autres qui, à l’échelle du continent, attendent de leurs aînés écoute et accompagnement afin de se frayer un chemin dans un monde de plus en plus tourmenté, hypocrite et cynique […] Vivement le réveil des consciences en Afrique afin que nous cessions de nous tromper d’ennemis et de guerre ». A-t-elle, aujourd’hui, une autre vision du « jeune homme » ?
Blé Goudé – qui parle de lui à la troisième personne – passe son temps à mettre le feu et prétend ensuite l’avoir éteint. « Mon credo a toujours été la non-violence. Mon arme, c’est la parole ; ma force, la mobilisation des masses. L’idée d’un Blé Goudé violent est une caricature imposée par les médias occidentaux. Je refuse toute surenchère de la violence » (Jeune Afrique du 13 août 2006). Blé Goudé ajoute des mots aux mots pour faire des phrases (« Je pense que si la crise ivoirienne a perduré, c’est que chacun des acteurs est resté attaché à son amour propre, à son moi […] Il faut que chacun de nous sache que sur cette terre, nous ne faisons que passer »), évoque Mandela, Gandhi, Luther King, Lumumba, Nkrumah, Sankara. Il « saluera » l’accord de Ouagadougou comme il avait salué celui de Pretoria : « Nous avons le devoir de montrer au reste du monde que les Africains sont capables de surmonter leurs contradictions » (Sidwaya du 17 décembre 2007). Le discours lénifiant qu’il ne cesse de tenir lui vaudra d’être nommé « ambassadeur de la paix et de la réconciliation » le vendredi 4 mai 2007.
S’entretenant avec Fabienne Pompey (Jeune Afrique du 31 mai 2009) à la veille de ce qui devait être la présidentielle 2009, il dira : « J’ai été le premier à demander pardon pour tout ce que j’ai pu faire moralement et physiquement » ; il ajoutera : « Si je devais refaire les choses, nous organiserions autrement la résistance. J’éviterais de tenir des propos à l’endroit d’un groupe ethnique ou d’un groupe religieux ». Cerise sur le gâteau : « Je n’envisage même pas que mon candidat [Gbagbo] perde [la présidentielle]. Certains disent que si Gbagbo perd, nous descendrons dans la rue. C’est faux ! Nous n’avons pas été éduqués comme ça ».
Voilà Charles Blé Goudé nommé ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi dans le gouvernement Gbagbo (cf. LDD Côte d’Ivoire 0281/Jeudi 9 décembre 2010). Dans le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga, San Evariste Barro écrira que c’est « franchement une prime à l’agitation » pour ce « propagandiste parfois haineux » propulsé là par son sponsor : Simone Gbagbo (L’Observateur Paalga ne s’y trompe pas : il appelle Gbagbo : « le mari de Simone »). Ne nous y trompons pas non plus. Blé Goudé peut bien rassembler les « Jeunes Patriotes » pour dénoncer la volonté « génocidaire » de la France en Côte d’Ivoire, réclamer le départ de Licorne et de l’ONUCI, ce n’est qu’un rideau de fumée. Blé Goudé n’est qu’une marionnette pour détourner l’attention. Les « Jeunes Patriotes » s’agitent devant les télés tandis que les Gbagbo réactivent les vrais acteurs de la répression contre les « houphouëtistes » (ou considérés comme tels) : les « escadrons de la mort » et autres mercenaires ont repris du service, la nuit, dans les quartiers d’Abidjan pour mener une sale besogne !
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique