Le problème de la sécurité routière au Sénégal est d’abord la conséquence du dénuement des usagers de la route. Leur légèreté et leurs nombreux écarts de conduite reflètent la désorganisation d’un secteur d’activité qui ne donne autre choix aux citoyens que de faire qu’à leur tête, de faire comme tout le monde. Le bon comportement du conducteur relève de sa bonne connaissance des techniques de conduite, l’opportunité qui lui est offerte de circuler convenablement et l’application réelle des éventuelles sanctions. Les autorités prétextent de l’indiscipline des sénégalais en matière de circulation routière pour mieux se soustraire de leur obligation de moyens.
L’argument fourre-tout qui consiste à pointer du doigt l’indiscipline des sénégalais, à chaque fois que leurs comportements laissent à désirer, est l’arbre qui cache la forêt. Pour que l’appel à la discipline opère, il faut surtout que les conditions matérielles favorisent le respect des normes établies. Nous aimons bien nous comparer aux occidentaux pour magnifier superficiellement leur tendance au respect du code de sécurité routière. Ce raisonnement est faux parce que trop simpliste.
Avez-vous vu, dans les pays développés, le comportement des conducteurs à l’entrée et à la sortie des zones surveillées par des radars photo? Les conducteurs de ces pays mythifiés ne limitent généralement leur vitesse que parce qu’ils risquent, sous l’effet de la surveillance, une forte amende. Ils ralentissent comme des automates à l’entrée du champ des radars et accélèrent aussitôt qu’ils en sortent.
La promotion de la sécurité routière nécessite certes une sensibilisation sur les comportements de conduite responsable. Mais, pour que cet acte de charme puisse opérer, il faut travailler sur l’attractivité du produit. Dans le contexte sénégalais, le produit s’apprécie à partir du niveau structurel de la prévention du risque, de l’état des infrastructures routières et de la densité plus ou moins grande du trafic routier.
Le transport en commun est toujours envisagé par l’opinion et les décideurs, du moins comme un service public budgétivore sinon comme un mal nécessaire. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que tout le monde veuille avoir son bazou pour sa sécurité et pour un minimum de confort. Pourtant, un investissement public soutenu dans un système de transport collectif performant s’avère la véritable solution alternative aux bouchons et à la pollution. À coup sûr, il débouchera sur une nette amélioration du bilan routier.
Il n’y a pas de doute que s’il fallait faire une réévaluation de compétence en sécurité routière, les sénégalais se distingueraient par un taux alarmant d’échec. Ce qui est en cause, ce sont les conditions de délivrance des permis ainsi que l’effectivité des contrôles de validité des pièces qui attestent du privilège de conduire. Seule la mise sur pied d’une base de données informatique autorisant des suivis réguliers peut venir à bout des falsifications et des abus en la matière.
Au lieu de tout mettre en pis-aller dans le compte de l’indiscipline, les autorités doivent réussir le pari d’une offre de service de qualité. L’absence de signalisation, de réglementation claire et de verbalisation formelle ainsi que les stationnements sauvages livrent les usagers de la route à eux-mêmes. Ainsi, les chemins publics se transforment en lieux de non-droit où seules l’audace et la débrouillardise font la différence.
La corruption vient renforcer le capharnaüm. Le conducteur sait bien que le risque, en cas de violation du code de la route, n’est pas si grand, comparé aux ennuis qu’un strict respect entrainerait en pratique. Généralement, si par malheur le contrevenant est surpris en défaut, 1000 francs cfa sont remis à l’agent et, le contrevenant passe pour ni vu ni connu. C’est connu de tous, mais tout le monde ferme les yeux. Certaines infractions sont tellement courantes et banalisées que les forces de l’ordre n’en font même plus cas.
Birame Waltako Ndiaye