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Chocs de légitimités et atteinte à l’intégrité diplomatique Par Habib Demba Fall (Journaliste)

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Il existe bien si peu de choses à négocier dans le contexte ivoirien. Le monde n’est pas en présence d’un dialogue politique en panne et qui, lorsque les egos sont mis en berne, peut redémarrer et produire des résultats probants. Le monde n’est pas en présence de divergences mineures dans la détermination des règles du jeu électoral. Les différents protagonistes de la crise ivoirienne ont laissé les divergences subjectives à Marcoussis puis à Ouagadougou, deux théâtres de compromis sur le chemin de la paix. Il ne restait que les différences d’approche programmatique, législative ou matérielle. Ce qui, en démocratie, est une vertu dans la quête des suffrages des électeurs. Les règles du jeu ont été fixées loin du crépitement des armes et des rancoeurs. Il s’est agi, dans cette séquence, de créer les conditions d’une réconciliation nationale et d’un retour à la paix, de mettre en place une sorte de gentlemen agreement entre Gbabgo, Ouattara, Bédié et Soro. Au bout de ces retrouvailles, il fallait, enfin, prendre part à la présidentielle. L’armature institutionnelle a doté ce pays d’instruments juridiques pour dire le droit et officialiser le sens du vote populaire. Ces organes sont officiels comme le Conseil constitutionnel ou consensuels comme la Commission électorale ivoirienne.

Le principe de fonctionnement libre de ces instruments vient d’être bafoué. La Cour constitutionnelle a donné son verdict favorable à Gbagbo, vingt-quatre heures après le sacre de Ouattara annoncé par la Cei. Il se passe, en conséquence, un choc de légitimités. D’où le caractère difficile de la mission de l’ancien chef d’Etat sud-africain, Thabo Mbeki. Il faudra bien qu’une des deux parties se résolve à renoncer à sa légitimité. C’est la seule et grande concession qui puisse, dans le très court délai, éviter le spectacle grotesque d’un pays à deux présidents prêtant serment le même jour. Bien sûr, ils ne pourront gouverner ensemble que dans le chaos. Renoncer à une légitimité célébrée quasiment en mondovision est un acte de courage, de responsabilité et de lucidité. C’est, il faut le dire, le scénario le moins probable pour le moment. Aucune partie n’acceptera de déconstruire si facilement les fondements de sa légitimité. A moins que soit trouvé un accord qui organise une nouvelle présidentielle… Qui donnera à Thabo Mbeki la chance d’y arriver ?

Il y a quelques années, la partition du pays, consécutive à la bombe « Ivoirité », était difficile à assumer au grand jour par les leaders à cause de ses innombrables placards tapissés de honte et de violence. Pourtant, le pays n’avait pas offert à la guerre autant d’arguments légaux qu’il en existe aujourd’hui. L’un des faits saillants était le coup de force contre le président Bédié. Le forfait était atténué par le risque qu’il faisait courir à ce pays en jouant la carte de l’exclusion. Le fait identitaire gît quelque part en cédant la place, sous les spots et l’œil des caméras, à l’argument juridique de fraudes au Nord et de légèretés de la part de la Commission électorale indépendante.

L’avis de gros temps est bien réel. La violation des règles du jeu électoral accorde une certaine caution à la résistance. Elle est d’abord institutionnelle et légale avec le serment de Ouattara puis la démission-reconduction de Guillaume Soro. En passant d’un patron à un autre, le Premier ministre indique la voie de la légalité et de la légitimité. Si la classe politique n’admet pas la régulation du jeu électoral par les règles définies, demain, cette résistance pourra se faire à la musique macabre des armes par des groupes organisés ou des forces de l’ombre tirant profit de la confusion. Le peuple qui a voté pour s’ouvrir un temps neuf d’espoir acceptera-t-il de payer la note de l’affrontement des egos et des légitimités ?

Le ralliement de Soro à ce qu’il considère comme le camp de la légitimité est donc un acte politique de dissuasion face à un Gbagbo qui « bunkerise » le pouvoir. L’image vaut pour la prestation de serment au palais de la République, devant ses inconditionnels, mais aussi son appel à la rébellion contre les forces étrangères. L’évocation de poursuites éventuelles de la part de la justice internationale n’arrange pas les choses. En vérité, l’après pouvoir est un traumatisme pour nombre de tenants du pouvoir. Cette menace plonge le camp du président sortant dans une lutte pour la survie. D’autre part, le gros désaveu prononcé par des institutions et organisations comme l’Onu, l’Union africaine, l’Union européenne et le Fmi nous met en présence d’un cas atypique de président « élu » obligé à vivre en autarcie comme le pire des dictateurs. Le camp proclamé vainqueur de la présidentielle convoque une ingérence étrangère comme le socle d’une fierté retrouvée et comme justification du refus de l’humiliation. Assurément, le constat d’atteinte à l’intégrité diplomatique est établi. Reste à déterminer le fautif : la classe politique avide de pouvoir ou une communauté internationale restée groggy après la démonstration d’immaturité démocratique et de boulimie pouvoiriste ?

Il y a eu la vaste ombre d’une paix différée, entre le 26 novembre, date à laquelle le monde a vibré en regardant le débat entre Gbagbo et Ouattara, et le 4 décembre, jour où deux chefs d’un même Etat ont juré fidélité à la Maison Ivoire. Le monde libre attendait l’émerveillement démocratique du côté de cette locomotive de l’Afrique de l’Ouest. Le souffle d’air frais est venu de la Guinée où Cellou Dalein Diallo a reconnu le verdict des urnes. Ce pays, qui n’a jamais connu d’élection libre et démocratique, entre dans une phase où le peuple a délégué à un opposant historique le chantier de la stabilité et du progrès. Cette stabilité, la Côte d’Ivoire l’a déjà connue, successivement dans la période du parti unique comme dans celle du pluralisme des années 90. Elle devait, simplement, la reconquérir. Infatigable, ce pays a accordé cinq années supplémentaires au président sortant. Le bonus de l’équivalent d’un mandat. Le prix de la paix. Tout s’effondre maintenant. Dans un pays organisé et en présence d’observateurs impartiaux, il ne doit pas y avoir, dans l’absolu, un point noir sur le déroulement du vote dans la zone Nord et le blocage des travaux de la Commission électorale ivoirienne. C’est l’un des deux nœuds de la question, à moins qu’il y ait un aveu d’impuissance après le concert d’indignations.

Habib Demba Fall.

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