- Difficile aurait été d’évoquer 2012 sans en parler. Cela aurait ressemblé à nier l’évidence, à passer à côté de son sujet. Loin de l’élection de Macky Sall à la tête de la Magistrature suprême, les «catastrophes» ont été nombreuses durant cette année. Pour bon nombre de personnalités, la terre s’est dérobée sous leurs pieds durant cette année écoulée. D’une période faste de gloire, de crédibilité, de grandeur, on est vite passé à la décadence. Et aujourd’hui en reparler doit constituer un supplice pour toutes ces personnes, tant les effluves de certains leurs actes sont tout simplement nauséabonds. Le silence aurait été d’or pour eux. Le Quotidien est allé les trouver au fond du trou dans lequel ils ont chuté pour un rapide coup d’œil dans le rétroviseur. Une plongée dans le re-trou de 2012.
Ils se sont tous trompés. Sûrs de leur science et de leur magie, les cassandres n’avaient pas prévu une année 2012 aussi époustouflante et éreintante. Surtout dramatique. Cette fois-ci, les haruspices des temps modernes se sont piteusement plantés durant ce millésime juxtaposé de chutes monumentales. Historiques. Yékini, Lac de Guiers 2, Nicolas Sarkozy,… Wade, héros de notre jeunesse en chute libre.
Empereur absolu des arènes, la gloire de Yékini ne sera pas sans doute ternie par cette chute. Mais, il a confirmé l’entrée au panthéon de l’arène du jeune Balla Gaye 2 réputé pour son audace et son génie. Car, sa victoire est une preuve que l’année 2012 constitue «l’arrêt de gloire» de plusieurs sommités politiques et sportives. Qui l’eût cru ? Même les Mayas, qui ont prédit la fin du monde, n’ont pu dévider le mystère de 2012.
Ayant atteint l’ivresse générale et l’altitude absolue, leur existence se conjugue désormais à l’inaccompli. Comme si le destin, qui prend soin de mesurer les félicités qu’il concède, ne voulait jamais tout accorder à la fois. Pour les uns, un goût de cendre est resté dans la bouche. Pour les autres, l’échec équivaut à la traversée d’un champ de mines à minuit. Succession de rancœurs, de sentiment d’incompréhension, d’injustice, le président Abdoulaye Wade a douloureusement encaissé sa défaite. La considérant même comme une punition. Quelle chute ! A la mesure de ses rêves, à la hauteur de ses ambitions. On imagine Abdoulaye Wade, au soir de sa défaite : visage lugubre, poings fermés, pâle, poignardé par un sentiment d’injustice.
Après l’échec, il a pourtant trouvé les mots d’un républicain exemplaire. Pour le Sénégal entier, une image est restée sur les rétines. Octogénaire déprimant face à une probable défaite, multipliant les contreperformances et tendant sa sébile électorale durant le second tour où le front contre Wade a fonctionné à merveille. Il s’est réservé un rôle ambivalent durant ce millésime. Petit soldat lâché par son peuple, longtemps il a été mû par la passion et la conviction à être apte à relancer l’histoire qui nouait sans cesse sa part de drame dans son parcours chahuté dès sa prise de pouvoir.
Seul au monde
Quelle pitié ! Il est frappé non plus au cœur mais, dans son orgueil et son ambition. Battu à plate couture par un challenger inattendu (65%), la défaite de l’ex-chef de l’Etat est un constat d’échec. Un désaveu. Longtemps, il a cru que l’amour que le Peuple sénégalais lui vouait était sans limites. Durant les douze ans de règne, les scandales se sont multipliés, les accusations de détournement de deniers publics innombrables, l’impunité institutionnalisée, le népotisme célébré et les révisions constitutionnelles érigées en mode de gouvernance pour assouvir les désirs du visionnaire. Du bâtisseur aussi. Du haut de l’Olympe, enfermé dans sa bulle de despote éclairé, il n’a pas senti la désaffection du public qui grandissait à cause du mal-vivre et du mal-être des Sénégalais. Etreints par la dèche et le chômage, les premiers coups de hache sont venus des jeunes. A l’aube de son régime, ils étaient les visages de sa politique après une complicité née durant l’opposition. Mais trahie lors de l’exercice du pouvoir.
Lors d’une matinée frisquette et aussi…chaude du 23 juin 2011, cette dernière révision constitutionnelle, qui devait supprimer le quart bloquant et instaurer le ticket Président-Vice président lors de la Présidentielle, constitue le point de départ d’une chute annoncée… en 2012. Déterminés, enragés et prêts au sacrifice suprême, ses ex-soutiens le poussent jusqu’à ses derniers retranchements. Ce jour-là, l’Assemblée nationale est assiégée. Pris par la peur, paniqué, le chef de l’Etat déchire finalement ce ticket inédit. Ce jour-là, Abdoulaye Wade, qui aurait dû se rendre compte que sa cote de popularité s’est fondue comme beurre au soleil, n’a pas mesuré les conséquences de cet acte républicain. Entre temps, il a multiplié les provocations en mettant en jeu sa propre…parole. Ultime sacrilège. Dans un pays où la voix d’un vieux est l’expression de la sagesse, Abdoulaye Wade inventa le Wax waxeet. C’est le dernier hymne de son règne qui a duré… douze ans. Ça aurait été le terminus de la gloire. Mais, le goût du pouvoir l’a poussé à demander un mandat de trop qui a concentré de nouvelles rancœurs des Sénégalais. Mais, le Conseil constitutionnel réussira à valider sa candidature. Avant que le Peuple, souverain, ne l’éjecte de la présidence de la République. Avant aussi que des accusations de vols de moquettes, de véhicules, de tableaux d’art, de matériels audiovisuels ne viennent encore noircir un tableau suffisamment sombre.
Entretemps, ses ex-collaborateurs l’ont abandonné au milieu du gué. Pape Diop, ancien président du Sénat, Mamadou Seck, ancien président de l’Assemblée nationale, Ousmane Masseck Ndiaye, Conseil économique et social et d’autres ministres, lui ont tourné le dos en mutualisant leur force dans la coalition Bokk gis gis. L’expérience n’a pas été concluante pour eux sur le plan électoral (5 députés lors des Législatives). Mais, cette dislocation de la famille libérale et l’émiettement de son héritage sont la preuve absolue que son génie politique a aussi ses limites. Fieffé manipulateur, politicien assermenté, opposant adulé, chef d’Etat controversé, Abdoulaye Wade est un personnage singulier. Durant toutes ses nombreuses vies, il a été toujours Me de son destin. Pour le meilleur et le pire.
Stratégie du chaos
Aujourd’hui, les erreurs l’assaillent. Avec le recul, il peut faire les comptes, des décisions qu’il aurait dû prendre malgré l’usure du pouvoir, les mauvais choix qui apparaissent avec regrets. Sa chute est d’autant plus monumentale qu’il avait introduit un rapport affectif dans l’exercice du pouvoir pour réchauffer aussi l’ère glaciale de l’austère Abdou Diouf. En vérité, le couple qu’il a formé avec le Peuple sénégalais n’a pas d’exemple dans l’histoire. Elu dans la liesse, il est parti sous les huées. Grisé. D’où sa susceptibilité et son irascibilité actuelles. Il commentait amèrement les premières décisions de son successeur, laissait poindre quelques inquiétudes notamment le paiement des salaires, l’achèvement des grands travaux qu’il a entamés. Maigre consolation. Cette épreuve lui a été épargnée. Mais au prix d’une mise à l’écart qui fait aujourd’hui que son ancien paria s’est installé sur le fauteuil qui est le sien. Versailles n’est ni l’île du Diable ni le château d’If mais, le lieu d’une relégation humiliante. Durant ses longues et terribles journées, il a trompé son ennui en téléphonant chaque jour à ses amis, en lisant beaucoup. Pour montrer qu’il ne baissait pas les bras, pour se consoler de son destin brisé. Soutien de ses «enfants» auditionnés à la Section de recherches de la gendarmerie, le «vieux» n’a pas connu la quiétude que son règne controversé ne lui aurait pas autorisée. En route vers le sommet, l’ex-divin enfant subit un crash en plein vol. Ce n’était pas le scénario tant rêvé par le pater qui ne s’est pas gêné de décréter que Karim Wade est le «Sénégalais le plus compétent». La dévolution monarchique a fait pschitt. Aujourd’hui, Wade-fils est à la remorque. Et Wade-père chiale de mélancolie. Seul contre tous. Seul dans la détresse.
Cette ultime aventure, qui a brisé l’élan d’un homme et qui a fait perdre la tête au Pds, a mis en scène un spectacle aux frontières du vaudeville et de la tragédie. Faux dilettante et vrai combattant en politique, il a perdu le talent nécessaire pour renverser la tendance. Ces mots sont le reflet d’un traumatisme. Durant cette campagne, il a commis la plus grande imprudence de sa vie politique en cédant à des pulsions ethniques, une manière très délicate de jouer avec le feu au nom de ses seules ambitions politiques. Cette campagne est une faillite retentissante dans l’esprit, le discours et l’atmosphère. Privé de coalitions au second tour, il n’arrive pas à se donner une vitesse de croisière qui pourrait entretenir l’espoir ou même l’illusion d’une victoire. Le débat volait dans les caniveaux, il véhiculait des idées choquantes. Depuis le début de sa campagne, le discours de ses partisans est structuré sur des thèmes honteux, indignes comme la franc-maçonnerie et l’homosexualité. Tous ces commentaires populistes, lamentables, tous ces propos nauséabonds sont l’ébauche d’une stratégie électorale fondée sur le discrédit. D’où la gravité des propos tenus dans un contexte électoral tendu et qui a charrié son lot de morts… politiques. Cela a finalement ruiné sa réputation et a précipité sa chute. Jour après jour, il s’est rendu à l’évidence. Il fallait avoir un tempérament romanesque que politique pour croire à un retournement de situation qui effacerait d’un seul coup une campagne de doutes et de folie. N’a-t-il pas offert non seulement des armes à ses adversaires mais un piège, où il s’est peu à peu laissé enfermer ? Cet échec est aussi une leçon de vie : dans l’absolu, rien n’est acquis.
Wade tatoué sur le Sénégal
Porté par un fort courant de sympathie, il a fortement mêlé sa politique au fric et aux frasques. Ce qui a sans doute flatté les instincts les plus bas de certains de ses collaborateurs qui n’ont pas pu balayer leurs scrupules au contact du pouvoir pour décrocher l’avoir. Leurs extras excentriques ont enseveli tout le travail accompli par Me Abdoulaye Wade durant ses douze ans de règne controversé. Eminent bâtisseur, visionnaire consacré, plusieurs réalisations et infrastructures seront les témoins de son temps. Autoroute à péage, infrastructures routières modernes, nouvel aéroport international en érection, Grand théâtre, Place du Souvenir, Monument de la Renaissance africaine entre autres vernissent sa présidence partagée entre contestations et incompréhensions. Mais, le cerveau humain ne connaît pas la prescription : On lui rétorquera les conditions d’attribution de certains marchés d’où exhalent de fortes puanteurs de malversations et de scandales. Ce sera son péché éternel. A l’image des dictateurs, son passage à la tête de la Nation sera tatoué sur le territoire sénégalais. A jamais ! Quels sont les vestiges de Abdou Diouf ? Invisibles. Donc rendons à César ce qui appartient à César.
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