Colère et tristesse des Birmans après quatre exécutions, dont celle d’un rappeur

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La junte birmane a procédé à l’exécution de quatre prisonniers, dont un ex-député du parti d’Aung San Suu Kyi et star du hip-hop, a indiqué lundi un média d’État, alors que la peine de mort n’avait plus été pratiquée dans le pays depuis des décennies. En éliminant des opposants populaires, le pouvoir militaire s’enferme dans une sanglante fuite en avant, qui pourrait trahir une faiblesse du régime. Analyse.

C’est un tournant dans le conflit qui oppose depuis 18 mois les militaires au pouvoir à Rangoun et une résistance civile armée. Tandis que la peine de mort n’avait pas été appliquée depuis 30 ans, la junte birmane a exécuté quatre prisonniers, dont un rappeur, ancien député prodémocratie du parti d’Aung San Suu Kyi, et un autre célèbre opposant, ont annoncé lundi 25 juillet les médias d’État.
Les Birmans sont partagés entre « la tristesse et la colère », rapporte Cyril Payen, grand reporter à France 24, ancien correspondant en Asie du Sud-Est.
Kyaw Min Yu, 53 ans, dit « Jimmy », était un écrivain et opposant de longue date à l’armée, célèbre pour son rôle dans le soulèvement étudiant de 1988 contre la junte de l’époque. Il avait été arrêté en octobre et condamné en janvier.

Phyo Zeya Thaw, 41 ans, ancien député de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), avait été arrêté en novembre et condamné en janvier pour avoir enfreint la loi antiterroriste. Ce pionnier du hip-hop en Birmanie, dont les paroles critiquaient déjà l’armée au début des années 2000, avait fait de la prison en 2008 pour appartenance à une organisation illégale et possession de devises étrangères. 

« Traumatiser la résistance »

Une partie des Birmans se demandait si la junte oserait aller jusqu’à mettre à mort les deux célèbres opposants, explique sur France 24 la correspondante de RFI à Rangoun, Juliette Verlin.

« Et pourtant, la nouvelle de leur exécution n’est une surprise pour personne », assure la journaliste. Phyo Zeya Thaw et Kyaw Min Yu étant des symboles du combat pour la démocratie – et très populaires –, leur élimination est analysée par nombre d’observateurs comme une façon de « traumatiser la résistance », souligne Juliette Verlin.

Les autorités ont entretenu – à dessein – le flou entourant leur sort, estime Cyril Payen. « La semaine dernière encore, le pouvoir avait nié la mise en œuvre de ces exécutions. Une communication qui montre la perversité de la junte », ajoute-t-il.
Les quatre personnes avaient été condamnées pour des « actes de terreur brutaux et inhumains » et leurs exécutions ont suivi « les procédures de la prison », a affirmé lundi le journal d’État Global New Light of Myanmar, sans préciser comment ni quand elles avaient eu lieu.

« Aucune limite »

Mais tout porte à croire que les exécutions ont eu lieu au cours du week-end, rapporte sur l’antenne anglophone de France 24 Han Htoo Khant Paint, un ami du rappeur exécuté. Ce militant prodémocratie et chercheur birman vit désormais à Berlin, où il a trouvé refuge il y a six mois.
Vendredi dernier, deux des hommes exécutés étaient entrés en contact avec leur famille par Zoom, rapporte Han Htoo Khant Paint. Ils ignoraient alors vraisemblablement qu’ils vivaient là leurs derniers instants : les prisonniers avaient demandé à leur famille de faire parvenir à leur lieu d’incarcération des « lunettes de vue, ainsi qu’un dictionnaire », rapporte le chercheur.

Leur mise à mort est une preuve pour la communauté internationale que « la junte ne connaît aucune limite quand il s’agit de son maintien au pouvoir », conclut l’activiste prodémocratie.
Ces exécutions, suivies de multiples condamnations officielles, de Washington à Tokyo, risquent d’accentuer l’isolement international des militaires birmans. Ces derniers ont pris le pouvoir par la force le 1er février 2021, sous prétexte de prétendues fraudes aux élections de l’année précédente, remportées de façon écrasante par la LND d’Aung San Suu Kyi.

« Ces actes pervers doivent marquer un tournant pour la communauté internationale. (…) Le statu quo de l’inaction internationale doit être fermement rejeté », a réagi sur Twitter Tom Andrews, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains en Birmanie.

Aux prises avec une guerre civile, le général à la tête du coup d’État, Min Aung Hlaing, se trouve actuellement en partie « enfermé », estime Cyril Payen, qui décèle dans le voyage du militaire à Moscou en juillet l’aveu d’une certaine faiblesse. Avec la Chine, la Russie représente un des bailleurs de fonds d’une « junte on ne peut plus isolée ».

Premières exécutions d’une longue série ?

Selon Cyril Payen, en exécutant des opposants, le pouvoir fait aussi preuve d’une certaine fébrilité : « L’armée birmane est sur la sellette. En un an et demi, les Forces de défense populaires (PDF) se sont levées aux quatre coins de la Birmanie et ont multiplié les coups, contre tous les apparatchiks du pouvoir. »
Pour autant, une question agite les esprits en Birmanie, observe la correspondante de RFI, Juliette Verlin : « Et si ces mises à mort étaient les premières d’une longue série ? »
Depuis le coup d’État militaire, 115 opposants à la junte ont été condamnés pour terrorisme, ce qui laisse présager de nouvelles exécutions.

Trente ans après les dernières exécutions en date, Han Htoo Khant Paint et ses amis militants restés en Birmanie craignent de voir dans les pendaisons de lundi un « sinistre précédent ».

« Affront au peuple »

La date du 25 juillet demeurera symbolique pour les Birmans, estime Cyril Payen : exécuter deux hommes dont la popularité est aussi grande est un affront fait au peuple.
Mais là où la junte entend « terroriser », il est probable qu’elle ait au contraire soudé une population en colère, laquelle était déjà déterminée à faire tomber les militaires, estime Juliette Verlin.

Selon elle, la nouvelle risque de « déclencher une vague de vengeance de la part de la résistance armée ». Lundi, un de ces groupes a déjà tiré au lance-grenade sur le bâtiment de la télévision d’État MRTV, situé sur une artère animée de la capitale, rapporte la correspondante.
Par sa fuite en avant jusqu’au-boutiste et violente, la junte prouve un échec, conclut Cyril Payen : les putschistes n’ont pas remporté leur pari de mettre à genoux la population.
L’armée au pouvoir poursuit une répression sanglante contre ses opposants, avec plus de 2 000 civils tués et plus de 15 000 arrêtés depuis le coup d’État du 1er février 2021, selon une ONG locale.

Elle est également visée par des accusations de génocide contre les Rohingyas. En 2017, plus de 740 000 membres de cette minorité musulmane ont trouvé refuge dans des camps de fortune au Bangladesh pour fuir les exactions des militaires.

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