« Nous n’avons pas eu besoin de recourir à des malversations ou au paiement de la moindre commission dans le cadre du processus d’acquisition de la licence globale gagnée par Sudatel ». Le groupe Sudatel conteste ainsi les informations publiées par la Gazette faisant état de commissions payées par la Sudatel à des lobbyistes américains dans le cadre de l’acquisition de la troisième licence globale de téléphonie. Entre autres « démentis », Expresso Sénégal a publié un communiqué de presse de type commercial diffusé dans les pages de la quasi-totalité des journaux pour nier jusqu’à l’existence d’intermédiaires dans le processus d’acquisition de sa licence en dépit des informations précises publiées par la Gazette.
En effet, documents à l’appui, la Gazette avait publié les relevés bancaires qui attestent du paiement de commissions pour le compte de lobbyistes américains. La Gazette dispose du contrat qui lie le Groupe Sudatel et le cabinet d’expert américain, Palm Vital Group (PCG) qui a servi d’intermédiaire entre Sudatel et le gouvernement du Sénégal. Mieux, nous avons identifié deux Sénégalais sur la piste de l’argent qui a été payé aux lobbyistes.
Kéba Keinde, le Directeur de Red Sea Holding (la compagnie offshore basée à Dubaï par laquelle les 20 milliards de commissions ont transité) et Thierno Ousmane Sy, le conseiller en technologie de l’information et de la communication du président de la République figurent en bonne place dans les échanges de correspondances entre le cabinet d’expert et le Groupe Sudatel concernant le paiement des commissions. Dans un message adressé au directeur du groupe Sudatel Emad Ahmed, Kéba Keindé demande à ce dernier de payer la facture de 10 millions de dollars. L’intégralité du mail s’énonce comme suit : « félicitations pour la clôture du projet. « Conformément à notre accord, il vous est demandé de payer immédiatement la facture de 10 millions de dollars US qui a été soumise à votre collègue Ihab Othman à Dubaï. S’il vous plait, renvoyez-moi par email une copie du code Swift. J’attends votre réponse ». Comme on peut le constater, ce mail fait formellement foi d’une demande de paiement d’une partie des commissions que doit le groupe Sudatel aux intermédiaires de PCG. Il faut préciser toutefois que ce mail est un message que Kéba Keinde a fait suivre (« forwarded message » selon la terminologie anglaise plus usitée) c’est-à-dire réexpédier à son premier destinataire à savoir le Directeur du groupe Sudatel, Emad Ahmed.
En effet, le message originel émane du directeur de PCG Andrew Davis à l’adresse de Emad Ahmed. Question logique : pourquoi Kéba Keinde a-t-il senti le besoin de réexpédier le même message au premier destinataire ? A la différence du message d’origine qui avait pour seul destinataire le directeur du Groupe Sudatel, le message renvoyé par Keiba Keinde à celui-ci informe au passage Thierno Ousmane Sy et Ihab Ousmane en les copiant. Comme le confirment ces échanges épistolaires, Kéba Keinde, le directeur de la compagnie offshore Red Sea Holding basée à Dubaï et Thierno Ousmane Sy, le conseiller en Tic du chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, sont donc au cœur de la transaction qui lie le Groupe Sudatel au cabinet d’experts américain. Pourtant, Expresso Sénégal, la filiale de droit sénégalais du Groupe Sudatel dément formellement avoir eu recours à ces pratiques.
Dans son communiqué, Expresso Sénégal explique : « ce type de pratique est interdit par la déontologie et les valeurs éthiques et culturelles du Groupe et de ses dirigeants en terme de valeurs, le Groupe a pour vertus cardinales la transparence dans toutes les transactions en particulier pour ce qui est de l’acquisition des licences, l’application des meilleures pratiques en matière de gestion des entreprises privées, la soumission aux standards exigés de toute entreprise cotée en bourse et la préservation du capital dont jouit le Groupe auprès de l’ensemble de ses partenaires. »
Pour prouver qu’il a été choisi sur la base des critères de qualification requis, le communiqué renseigne que le groupe est fortement présent dans la région. « C’est ainsi qu’il a pu gagner la deuxième globale de mauritanie en 2006 », précise le communiqué.
La Gazette a appris que c’est le Président Mouhamed Ould Val qui a servi de point d’entrée de Sudatel au Sénégal en le recommandant fortement auprès de son homologue sénégalais Me Abdoulaye Wade. Une première réunion a, par la suite, eu lieu à New York entre les dirigeants de Sudatel et les autorités sénégalaises – en présence de Thierno Ousmane Sy, de KarimWade et de Keiba Keinde – pour déblayer le terrain. La deuxième étape décisive a eu lieu sur le territoire de Dubaï où Thierno Ousmane Sy a été dépêché pour rencontrer des membres de la direction de Sudatel afin de négocier les conditions d’attribution en présence des lobbyistes américains. C’est là que tout a été décidé avant même que l’appel d’offres ne soit lancé en présence des lobbyistes américains. Nos sources indiquent que ces derniers ont même été recommandés par la partie sénégalaise.
Thierno Ousmane Sy, Kéba Keinde et Karim Wade ont ficelé le dossier en dehors de l’Artp qui n’a servi que de chambre d’enregistrement qui a entériné les décisions prises à Dubaï. D’ailleurs le manque de crédibilité de l’Artp n’est plus à démonter. Elle a été rudement mise à l’épreuve par un scandale de détournement portant sur un montant de 1,6 milliard. La Gazette avait révélé en se basant sur un rapport d’audit de l’Inspection générale d’Etat (Ige) que tous les membres du conseil d’administration de l’institution à l’exception d’une seule personne, s’étaient indûment partagé cette somme qui devait être réinjectée dans la structure. En outre, le rapport d’audit final (portant sur l’exercice 2008) de l’Armp en septembre dernier a également épinglé l’Artp et l’accuse de s’être rendue coupable d’une kyrielle de violations du nouveau code des marchés publics.
LES CLAUSES DU CONTRAT ENTRE SUDATEL ET LE CABINET D’EXPERT
En dépit des documents publiés en fac similé par la Gazette Expresso Sénégal nie l’existence même d’intermédiaires. Il parle dans le communiqué de « prétendus intermédiaires » qui n’ont pas leur raison d’être. Au-delà des relevés bancaires qui établissent de manière irréfutable l’existence de ces intermédiaires, un contrat en bonne et due forme (voir le fac simile) a été signé entre les lobbyistes et le Groupe Sudatel. Dans notre édition n° 56 nous écrivions : « des étrangers en association avec des nationaux très hauts placés dans les structures de l’Etat se sont partagé la rondelette somme de 40 millions de dollars dans le cadre de la vente de la troisième licence à Sudatel ».
Le modus operandi, en l’occurrence, a consisté à s’attacher les services d’un cabinet de consultance dont la mission était de faire du lobbying auprès du gouvernement sénégalais pour le compte de Sudatel. Le cabinet d’experts avait même inclus dans les clauses une prime de réussite de 10 millions de dollars. L’objectif du cabinet principal consiste, en l’occurrence, à amener le gouvernement du Sénégal à signer le contrat avec la compagnie soudanaise. Celle-ci assigne au cabinet d’analyser l’information publique et les informations élaborées par le vendeur (ou ses conseils) et d’effectuer une analyse financière de la cible dans le cadre de l’acquisition. Le cabinet doit conseiller et aider la direction de la Sudatel à faire des présentations au conseil d’administration du client concernant l’acquisition, prodiguer des conseils et aider le client à étudier l’opportunité d’effectuer l’acquisition et à déterminer les produits pouvant être offerts à la cible. Il a aussi pour mission d’élaborer une stratégie générale pour la réalisation de l’acquisition, y compris la structuration des termes et conditions des acquisitions et la coordination de ses conseils avec ceux des autres conseillers juridique, fiscal, technique et du client. Dans la même veine, il conseille le client quant à la stratégie et la tactique de négociation avec le vendeur et ses conseillers financiers et l’aider, sur demande, dans les négociations.
Au cas où un accord de principe est obtenu pour l’acquisition, les intermédiaires aident le client à négocier un accord d’acquisition définitif, donnent des conseils sur toutes les questions de régulation découlant de l’acquisition et assurent la liaison avec les autorités de régulation compétentes ; orientent vers les opportunités de partenariat avec les autorités de régulation compétentes. Ils ont aussi compétence à orienter sur les opportunités de partenariat avec des tiers dans l’acquisition de la cible sur la base des objectifs spécifiques du client. En outre le cabinet s’assigne de préparer une présentation publique de toutes circulaires relatives à l’acquisition (le cas échéant) et d’aider à la coordination générale et l’administration de l’acquisition. Il doit enfin aider le client à obtenir du ministère des Finances ou tout autre organisme compétent une confirmation du régime fiscal spécial ainsi qu’une confirmation de l’autorité de régulation que la licence a été délivrée conformément aux lois et règlements en vigueur au Sénégal. Rappelons que dans les clauses du contrat, il est clairement stipulé que : « Cette lettre constitue l’accord global entre PCG et le Client relativement aux objectifs énoncés dans cette lettre. Elle ne peut être amendée ou modifiée sauf par écrit. Les termes de cette lettre doit être régie et interprétée en vertu de la loi des Emirats Arabes unis. A toutes fins, dans le cadre de la présente lettre, vous vous soumettez irrévocablement et inconditionnellement à la compétence à la juridiction des tribunaux des Émirats arabes unis. »
Aliou NIANE
un jour ils paieront au peuple senegalais