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Compte rendu de lecture: L’épopée du Parti africain de l’indépendance (PAI) au Sénégal

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Je viens de terminer, en 24h, la lecture du le livre de Sadio Camara, L’épopée du Parti africain de l’indépendance (PAI) au Sénégal (1957-1980.  Paris, L’Harmattan, 2013. 289 pages.

Ouf, quel grand parti et quels grands esprits patriotiques que ces pionniers du PAI Sénégal!

Cet ouvrage dont je livre ici mes premières réactions est une mine d’informations intéressantes sur des sujets qui ont souvent été éludés au sein du PAI (devenu PIT-Sénégal) soit parce qu’ils réveillent toujours brutalement les trauma de la répression aveugle du régime senghorien contre ces gens là, soit parce que les contingences de la vie qui assaillent quotidiennement ces pionniers ont toujours rendu difficile le partage de la mémoire collective de cette épisode mouvementée de notre histoire politique commune. Le plus beau dans ce livre est, à mon avis, la réécriture de l’histoire du PAI par les acteurs qui l’ont faite. Par cette réécriture en mains propres, Sadio Camara fait apparaitre, en les présentant nommément sous leur véritable identité, les vrais durs acteurs des 3 premières décennies de mobilisation turbulente d’un parti qui a profondément marqué l’histoire politique de notre pays.

L’histoire officielle présente le Sénégal comme un long fleuve tranquille dont le destin historique a reposé sur les seules épaules de quelques figures historiques comme Lamine Gueye, Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, etc. Or ce qui frappe à la lecture du livre de Sadio, c’est le fait que la contribution des pionniers du PAI-Sénégal au modelage et au remodelage incessant de l’histoire politique de notre pays a été exceptionnelle mais toujours obscurcie par les ratiocinations d’une élite petite bourgeoise d’historiens officiels payés par l’argent du contribuable pour raconter la seule histoire que les oreilles des classes dominantes veulent entendre. De la même manière que Senghor a tenté, en vain, de confisquer l’espace politique, ces élites aussi ont tenté, en vain, de confisquer la mémoire collective en présentant le PAI sous les oripeaux d’un parti violent qui voulait coute que coute imposer le communisme, lui-même présenté comme une idéologie contraire aux intérêts et à la négritude des masses populaires africaines.

Ce livre, tel qu’écrit par Sadio, me rappelle ce vieux proverbe africain qui dit qu’« aussi longtemps que les lions n’auront pas leurs historiens, les récits de chasse tourneront toujours à la gloire des chasseurs ». Son mérite est immense au plan de la narration des faits historiques, du repositionnement des acteurs politiques qu’il opère et de la lumière qu’il jette sur ces trente glorieuses et difficiles années de luttes pour l’indépendance nationale, la démocratie et le progrès économique et social du Sénégal.

Ce livre est écrit sous la forme d’un récit autobiographique où l’auteur nous décrit son enfance à Bantata, sur les contreforts du Nioko Koba, les gens qu’il a côtoyés et qui l’ont influencés, notamment certains membres de sa famille ainsi que M. Herault Joseph, son instituteur. Il explique aussi le contexte géopolitique qui prévalait durant son jeune âge (révolution chinoise, luttes de libération nationale des pays du Tiers monde, conférence de Bandoeng, révolution cubaine, guerre du Vietnam, guerre d’Algérie, etc.) en faisant le lien de tout ce contexte géopolitique mouvementé avec son engagement révolutionnaire et l’homme du refus qu’il va devenir plus tard dans sa vie.

Dans un long chapitre, Sadio raconte ses premières années d’activités militantes au PAI, ses pérégrinations comme instituteur rebelle à Kédougou, Bakel, Goudiry, Tambacounda, Cotiary ainsi que les événements historiques lors des élections municipales du 30 juillet 1960 largement dominée – à St-Louis, à Thiès, à Mbour – par la mobilisation exceptionnelle et le soutien massif des populations pour les listes de la coalition parrainée par le PAI. Il raconte également comment, à l’issue de ces élections, le PAI fut dissout le 1 aout 1960, 3 semaines avant l’éclatement de la Fédération du Mali. S’ensuit alors, comme le montre Sadio, une Grande noirceur de clandestinité marquée par une répression sanglante du régime senghorien, le départ en exil de nombreux dirigeants du PAI, les  difficultés internes d’organisation, les divisions internes de ce parti, le reniement spectaculaires des principes et la trahison de certains militants, dont Majmouth Diop, son secrétaire général. Malgré toutes ces difficultés et malgré la pesante clandestinité, certains camarades sont restés debout et ont fait face à Senghor et à l’arsenal répressif hors du commun qu’il a mis en branle, avec l’aide des agents de renseignements et de la police politique française, pour liquider le PAI. Dans la clandestinité en effet, ils ont poursuivi le combat pour le respect des libertés démocratiques et la légalité constitutionnelle. Leur mobilisation lors des élections législatives de décembre 1963 se solda par les manifestations de rue, la contestation populaire des résultats d’un «vote truqué» et l’arrestation des membres de la coalition PRA-Sénégal parmi lesquels certains amis de Mamadou Dia, l’ancien président du Conseil qui croupissait déjà dans une enceinte fortifiée à Kédougou. La répression sanglante de ce mouvement démocratique fit, d’après Sadio, une centaine de morts dont certains ont été tirés, à bout portant, par les « forces de l’ordre » à la solde du pouvoir en place.

Sadio souligne que ni la loi d’urgence, ni les tribunaux d’exception instaurés à la suite des « événements de Saint-Louis » n’ont ramolli la détermination des militants du PAI de poursuivre le combat pour l’instauration d’un État de droit et la défense des libertés démocratiques. Il montre ensuite que la confiscation de ces droits élémentaires ainsi que le « totalitarisme », « l’intolérance absolue du parti au pouvoir et de ses hommes », « le piétinement des droits et libertés des citoyens », « les agissements du commandement territorial appuyé par la police, la gendarmerie et […] l’armée » n’ont laissé d’autre issue aux forces démocratiques et patriotiques que de « s’opposer à la violence du parti au pouvoir par la violence » (p. 113). D’où l’envoi à Cuba, par le PAI, d’une trentaine de militants chevronnés pour une formation militaire dont Sadio narre les péripéties en terre castriste, le retour au bercail, le séjour mouvementé dans le maquis, en Casamance et sur les contreforts du Fouta-Djallon, ainsi que l’échec patent d’un rêve à la réalisation duquel tout manquait, y compris les armes et munitions avec lesquelles, pendant trois ans, ils espéraient abattre d’un coup sec le «régime liberticide» de Senghor. Sans regret aucun à propos de cette opération controversée dont il vante le mérite dans un une page et demi de bilan au cours duquel il a mis toutes ses tripes sur la table, Sadio affirme qu’au plan de l’expérience politique, cette épisode de la lutte révolutionnaire du PAI est la plus instructive de sa carrière de militant communiste.

Le reste du livre raconte les difficiles phases de réorganisation de ce parti (1967-1972), les tensions et divisions internes liées soit à des problèmes de personnalité et/ou d’orientation idéologique (notamment avec le «groupuscule» qui va plus tard former la LD/MPT), les luttes syndicales de la fin des années 60 avec l’UNTS, la mobilisation exceptionnelle des «camarades PAI» dans les centrales syndicales suite à la résolution de la conférence nationale de mai 1967 qui appela à l’unité syndicale, le raidissent du pouvoir et sa volonté de faire main-basse sur un mouvement syndical qui a visiblement échappé à son contrôle, etc. Sadio termine son livre en décrivant les diverses phases de la récente décennie de lutte pour l’instauration des libertés démocratiques et le retour à la légalité du PAI, légalité qui va survenir officiellement lorsque, suite à l’article 35 de la Constitution que Senghor a fait voter en catimini quelques semaines avant son départ de la magistrature suprême, Abdou Diouf le succéda en décembre 1981.

En somme, ce livre est écrit par un homme dont le niveau de conviction aux valeurs communistes est profonde. En écrivant une nouvelle histoire de la vie politique sénégalaise de 1957 jusqu’en 1980, il montre à merveille que le débat sur la mémoire collective n’est pas seulement une question d’objectivité mais il est aussi une question de rapport de forces.

Ce livre comporte néanmoins quelques faiblesses que je résume très rapidement :

1)      Le style narratif (des griots mandingues) fait qu’il est bourré de détails difficiles parfois à démêler.

2)      Ce livre fait peu de cas de la contribution de certains responsables politiques à la dynamique du PAI et à la vie politique du pays. C’est le cas en particulier d’Amath Dansokho à l’ombre de qui ont grandi tous les militants qui sont arrivés au PIT-Sénégal au début années 1980. La contribution de ce dernier au développement et à la visibilité de ce parti est exceptionnelle pour ne pas passer sous silence dans le livre de Sadio.

3)      Certaines questions importantes y sont abordées sans que l’auteur ne les clarifie (par exemple, les frasques de Majmouth Diop, l’engagement des femmes PAI, l’organisation des autres maquis comme celui de la Casamance et du Sine-Saloum, etc.).

4)      Enfin le lien organique entre l’histoire du PAI et les transformations sociales et politiques n’est pas mis en exergue, ce qui n’enlève en rien le mérite de cet ouvrage qui jette une lumière nouvelle sur la contribution du PAI à l’évolution politique du Sénégal.

Personnellement, je pense que notre pays est devenu ce qu’il est aujourd’hui (un pays démocratique, libre, pluriel et ouvert) grâce à l’engagement militant des pionniers de l’indépendance, pionniers que le PAI a formés en grand nombre et qui continuent, chacun selon ses compétences et dans les domaines où ils interviennent en ce moment (ou sont intervenus avant leur mort), d’orienter le destin collectif de notre peuple.

Livre à lire, impérativement.

Dr Lamine Diédhiou, sociologue.

Email : [email protected]

Québec, Canada

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