L’islam au Sénégal, à l’image du monde musulman, se caractérise par la multitude de courants religieux notamment le Mouridisme, la Tidjaniya, la Khadriya, les Layènes et tout récemment les associations islamiques dont les plus connues sont la jamahatoul Ibadou Rahmane et les mouvements Salafistes. Ces confréries ou courants prennent leurs sources dans les grandes écoles de pensée dont les plus connues sont les Hanafites, les Malikites, les chafiites et les hanbalites.
Les confréries dont les plus anciennes remontent à des siècles, ont installé des écoles coraniques ou « daaras » et répandu l’islam dans le Sénégal et dans beaucoup de localités de l’Afrique de l’Ouest. Depuis plus d’un demi-siècle, une nouvelle génération sortie de ces écoles traditionnelles mais ayant pour la plupart poursuivi leurs études islamiques au Maghreb, en Mauritanie, en Egypte, au Soudan ou en Arabie Saoudite, s’est progressivement installée avec un discours qui s’adosse à la tradition sunnite.
L’accrochage verbal entre une frange du mouvement salafiste et une frange du Mouridisme
Au Sénégal, le Magal de Touba qui commémore le départ en exil de Cheikh Ahmed Bamba et le Gamou qui célèbre la naissance du Prophète Mouhammad PSL ont été les prétextes pour ressusciter les démons de la diversité religieuse.
Les discours non appréciés à Touba, prêtés à Ibrahima Khalil Lo, un des chefs de file du mouvement Salafiste et la réplique jugée musclée de Serigne Amsatou Mbacké de Xoudamoul Xadim, ont été les gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase. Mais elles ont vite cédé la place au débat que l’on croyait enterré sur le célèbre et controversé livre du docteur Mohammed Ahmed LÔ « la Sanctification des personnes (des saints) au regard de la doctrine Soufie » présenté d’abord comme thèse de doctorat en 1992 avant d’être publié en 1996.
Doit-on qualifier de défenseurs ou pourfendeurs de leurs confréries certains paroliers ?
En plus des raisons de la discorde citées plus haut, les offensives font souvent allusion aux pratiques et déclarations inqualifiables venant d’adeptes singuliers et quelques fois de guides religieux célèbres et qui peuvent heurter les principes de l’islam et la doctrine de la confrérie. Quand par exemple, un marabout, ici mouride, a poussé le délire jusqu’à oser dire que son guide est le créateur des cieux et de la terre, il bat les records de l’absurdité et de l’hérésie. Mais est-ce une raison pour mettre dans le compte global de la confrérie, cette déclaration qui n’engage que son auteur ? Imputer de telles paroles blasphématoires à toute sa communauté, c’est accepter qu’un non-musulman puisse blâmer tous les musulmans sous prétexte que c’est un des leurs qui en est l’auteur. Au rythme de ces sorties remarquées, leurs auteurs déconstruisent plus qu’ils ne construisent et exposent leur communauté.
Cependant, les confréries ne doivent plus laisser certains de leurs fils, poser des actes contraires à l’enseignement de leurs Guides spirituels et au fondement de l’islam.
Le cas des mausolées dans l’enceinte des mosquées.
Des membres du mouvement fondamentaliste sunnite considèrent qu’il est blâmable de prier dans des mosquées qui abritent des mausolées. Il se trouve que Touba dont le mausolée du Cheikh est construit à la limite de la surface de prière, n’échappe pas à la règle.
Cependant tout musulman ambitionne de prier dans la Grande Mosquée de Médinatoul Mounawara qui abrite le mausolée du Prophète Mouhammad PSL et où reposent aussi les deux premiers Khalifs, Ababacar et Omar ibn khatab.
Par ailleurs, il est vrai que c’est à l’an 88 de l’hégire (707 g) que les chambres des épouses du Prophète PSL dont celle de Aicha qui abrite le mausolée, ont été incluses dans la Grande Mosquée, sous le règne du Calife Al-Walid bin Abdoul Malik (Les chemins du Hadj, page 138).
Mais ces différences de convictions sur le Gamou, le Magal ou les mausolées, ne doivent pas être des barrières infranchissables entre frères en islam.
Les querelles de clochers donnent-elles raison aux défenseurs de la laïcité ?
Très remonté contre la présence de la laïcité dans la Constitution sénégalaise et son caractère irréversible récemment introduit, je ne peux m’empêcher de méditer sur ce que serait le Sénégal sous une Constitution non laïque où seuls des mourides, ou seuls des Tidjanes ou encore seuls des salafistes seraient aux commandes du pouvoir. Encore plus difficile à imaginer, une entente de toutes ces composantes religieuses, pour diriger le Sénégal ! Jusqu’ici, le Sénégal est surtout riche de sa diversité culturelle et religieuse qu’il faut préserver.
Faut-il se contenter de condamner ou doit-on encourager la réconciliation ?
L’ancien président Abdou Diouf n’a-t-il pas confessé avoir produit une thèse critique à l’endroit des confréries pendant qu’il était sous le charme de l’idéologie marxiste ? Cette thèse, aujourd’hui oubliée, lui avait valu beaucoup de déboires à ses débuts.
Le livre du docteur Ahmed Lô doit-il continuer à faire l’objet de débats 30 ans après sa parution ? Au lieu de soulever une plaie cicatrisée, son comportement personnel depuis lors exempt de reproche et riche de son érudition prouvée et reconnue par la Oumah islamique devrait suffire pour calmer les esprits ?
Les conséquences imprévisibles d’un conflit.
L’on aura constaté que les critiques et attaques les plus déplacées viennent de part et d’autres, des couches les moins informées et particulièrement sous l’emprise d’une fougue de jeunesse. Il appartient aux principaux responsables d’appeler à plus de respect et de retenue.
Un conflit peut être sous-estimé sous l’angle de la représentativité de ses antagonistes, et avoir des effets dévastateurs. La rébellion casamançaise partie d’une petite marche de contestataires, perdure depuis quarante ans.
Le Sénégal aride du 19ème siècle n’avait pas manqué d’aiguiser l’appétit du colonisateur qui n’avait pas hésité à anéantir toute tentative de résistance, que ce soit du côté des forces royales ou des chefs religieux. En ce début du 21ème siècle, avec l’avènement des richesses découvertes dans le sous-sol sénégalais, est-il raisonnable de penser que ce pays ne fera pas l’objet de grandes convoitises au coût imprévisible ? Alors, céder aux démons de la division et aux querelles de clochers et de doctrines ne ferait qu’ouvrir la voie aux déstabilisateurs étrangers qui sans doute ne manqueraient pas d’emporter nos richesses et de semer le chaos à l’image de ce qui se passe en Libye, en Syrie et en Irak, en Afghanistan etc.
La seule alternative pour préserver la paix sociale dans ce contexte d’un Sénégal prospère où chacun de ses fils et chacune de ses filles pratiquent en toute liberté le culte de son choix, est de cultiver la paix et de respecter ceux qui ne s’identifient pas à notre foi, pour qu’ils en fassent de même à notre égard.
Nous appelons les deux communautés et au-delà toutes les composantes religieuses à se donner la main pour une meilleure stabilité sociale.
Cheikh Bamba Dioum