Yaya Jammeh croyait pouvoir obtenir la validation de son rejet des résultats de la présidentielle et donc de sa défaite, en usant de l’artifice d’un recours auprès de la Cour suprême de Gambie. Mais tout semble indiquer, qu’après la volée de bois vert reçue depuis son déni de la victoire de l’opposant Adama Barrow, le dictateur risque d’être rattrapé par les combines qui lui ont permis d’asseoir un semblant d’Etat de droit durant son règne sans partage de 22 ans.
Depuis mai 2015, le dictateur gambien, alors très remonté contre la Cour suprême de son pays, avait limogé tous les cinq juges de cette institution. Leur faute : avoir commué, en peine de prison à perpétuité, la peine de mort infligée à son ancien patron de la garde nationale, le général Lang Tombong Tamba, et d’avoir libéré l’ancien chef d’Etat-major de la marine nationale gambienne, Sarjo Fofana. Ces deux officiers supérieurs de l’armée gambienne étaient alors considérés comme des ennemis jurés de Jammeh qui ne voulait leur accorder aucune faveur. Les dénonciations de l’expulsion des cinq juges allant crescendo, Jammeh avait ramené à son poste le président de la Cour suprême, le juge nigérian Emmanuel Fangbele. Les sièges des quatre autres juges sont toujours restés vacants, depuis lors.
Maintenant qu’il veut introduire un recours auprès de cette instance, Jammeh est rattrapé par ses errements et sa soif de contrôle du pouvoir judiciaire. Il doit d’abord désigner quatre nouveaux juges pour siéger à la Cour suprême. Mais comme tous les dictateurs avant lui, Yahya Jammeh fera face aux conséquences de ses actes. À force de subir des humiliations, des brimades et des arrestations, aucun magistrat gambien n’est enclin à accepter une nomination au sein de cette instance où Jammeh a toujours préféré avoir des juges nigérians, ghanéens, pakistanais, sierra-léonais ou camerounais, généralement plus malléables. D’autre part, le Nigéria, pays d’origine du seul juge encore dans cette instance a tourné le dos à Yahya Jammeh et on voit mal ce pays lui détacher des magistrats en urgence pour réaliser sa forfaiture. Car le Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, est membre de la délégation de leaders africains qui se rend à Banjul ce matin pour demander à Jammeh de quitter le pouvoir.
L’autre obstacle à la manœuvre juridique de Jammeh auprès de la Cour suprême est que, légalement, Jammeh n’avait que dix jours après le vote pour déposer un recours. L’élection ayant eu lieu le 1er décembre, Yaya Jammeh avait jusqu’au 12 décembre, c’est-à-dire hier lundi, journée fériée en Gambie, pour déposer son recours au risque d’être forclos. La question est comment ce recours qui devrait être déposé ce mardi pourrait passer chez le seul juge de la Cour suprême encore en exercice ?
Le Barreau gambien appelle à la résistance
Dans une sortie publique à Banjul, par la voix de son président, le Barreau gambien condamne le revirement de Yahya Jammeh qu’il qualifie de « tentative de subvertir le choix légitime du peuple de Gambie ». Le Barreau rejette surtout « l’intention de Jammeh de déposer un recours électoral qui aggraverait ses actions illégitimes et déstabilisatrices ». Le Barreau de Gambie avertit que « Yahya Jammeh ne doit pas nommer des juges qui auraient dû être nommés, depuis 2015. Considérant que depuis lors, il n’y a pas de mécanisme juridique légitime en Gambie pour entendre et statuer sur le recours électoral que veut déposer Jammeh ou en son nom, le Barreau gambien dénonce le procédé et affirme qu’il a déjà anticipé l’issue du recours de la Cour en déclarant nul le résultat des élections ». Les avocats de Gambie demandent à tous leurs collègues et au personnel de la magistrature en particulier (celui de la Cour suprême inclus) de boycotter les tribunaux en solidarité avec le peuple gambien jusqu’à ce que Yahya Jammeh accepte le résultat des élections et remette le pouvoir au Président élu Adama Barrow.