C’était un jeudi classé rouge, celui de tous les dangers. Depuis qu’Alassane Dramane Ouattara et son Premier ministre Guillaume Soro avaient déclaré, en début de semaine, qu’ils iraient prendre le pouvoir au Premier ministère et à la Radio télévision ivoirienne (RTI), tout le monde se demandait de quoi serait faite cette journée du 12 décembre 2010.
Et la question devenait plus lancinante quand ils appelaient leurs partisans à monter aux barricades pour défendre leur choix, celui exprimé lors du second tour de la présidentielle du 28 novembre dernier. En engageant l’épreuve de force, le ticket ADO-Soro, qui voulait forcer le passage, savait pertinemment qu’il prenait un pari risqué, celui de ne pas être suivi par ses militants ou au contraire de les envoyer à l’abattoir si ces derniers s’amusaient à braver les mises en garde des Forces de défense et de sécurité (FDS), restées fidèles à Laurent Gbagbo. Car, sauf reddition sans condition, on ne voyait pas trop comment Laurent Gbagbo, qui a consommé son coup d’Etat électoral, aurait pu laisser faire.
Ce qu’on redoutait a donc fini par avoir lieu, puisque la journée d’hier a été particulièrement dramatique à Abidjan : pneus brûlés, jets de pierres, bombes lacrymogènes, échanges de tirs nourris entre membres de l’Ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) et des FDS autour du quartier général d’Alassane Dramane Ouattara… Bilan, encore provisoire quand nous bouclions, de cette guérilla urbaine, au moins une trentaine de morts, selon France 24, et de nombreux blessés, rien que dans la capitale économique, alors que les manifestations se sont étendues à d’autres localités du territoire comme Tiébissou dans le centre du pays.
Des macchabées qui s’ajoutent à ceux qu’on déplorait déjà avant la tenue du scrutin du 28 novembre et qui viennent grossir la mare de sang qui sépare désormais les deux camps. Plus que jamais, le leader du RDR semble déterminé à récupérer un pouvoir que son adversaire lui a ravi par des contorsions légalistes, et la fracture semble irrémédiablement ouverte entre les deux hommes qui se rejettent, naturellement, la responsabilité du carnage. La Côte d’Ivoire paraît ainsi avoir rendez-vous avec le chaos et, plus que jamais, on se perd en conjectures sur l’issue finale de ce duel à mort entre la légitimité des urnes et la légalité autoproclamée.
C’est dans ces conditions que le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, a promis d’effectuer une mission ce vendredi à Abidjan pour essayer de calmer la tension et de relancer une médiation, sous réserve de l’accord des deux principaux protagonistes. Face aux irrédentismes affichés des deux camps, on se demande bien si cette démarche du Gabonais ne sera pas un coup d’épée dans la lagune Ebrié. Dans tous les cas, le fait que l’étau diplomatique s’est resserré, depuis deux semaines maintenant, reste jusque-là sans résultats apparents.
En rappel, l’Organisation des Nations unies, les Etats-Unis d’Amérique, la France, l’Union africaine, la CEDEAO, qui a exclu la Côte d’Ivoire de l’instance sous-régionale, et le FMI, pour ne citer que ces institutions représentatives de la communauté internationale, ont reconnu la victoire d’ADO au second tour de la présidentielle et appelé Laurent Gbagbo à céder le pouvoir à son rival. Hier jeudi, c’est le Parlement européen qui adoptait une résolution demandant à la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, de prendre de “nouvelles initiatives” pour soutenir Alassane Ouattara. Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, est lui aussi sorti de ses gonds en menaçant « d’engager des poursuites contre quiconque serait responsable de violences meurtrières en Côte d’Ivoire ».
Bref, en attendant le dénouement de cette crise, on ne sait quand, c’est qu’au bout du décompte macabre d’hier, les légitimistes ne sont pas parvenus à prendre la citadelle inestimable de la RTI. Maintenant, que nous réserve cette journée de vendredi ? C’est la question que l’on ne peut s’empêcher de poser quand on sait qu’Alassane Dramane Ouattara a appelé ses partisans à poursuivre la mobilisation aujourd’hui en direction du Premier ministère.
Hamidou Ouédraogo
lobservateur.bf