L’homme fort de la Côte d’Ivoire s’appellerait-il Simone Gbagbo ? Samedi 15 janvier, devant près de 5 000 personnes survoltées qui se pressaient au Palais de la culture, au bord la lagune Ebrié, à Abidjan, elle en a quasiment fait la démonstration.
Tandis que le sommet de l’Etat reste paralysé entre un président autoproclamé, son époux Laurent Gbagbo, et un président cloîtré dans l’hôtel du Golf, l’ancien premier ministre Alassane Ouattara, celle qui se considère toujours comme la première dame a jeté ses forces dans la conservation du pouvoir.
Gare aux infidèles. Le ban et l’arrière ban des dignitaires du régime, les partis, les syndicats, les associations, les forces religieuses, tout le monde a été convoqué et a dû débiter son discours : on se compte, avant un dénouement incertain. L’argument est simple, efficace. Laurent Gbagbo est « l’enfant de l’Afrique », soutenu par Dieu, et la Côte d’Ivoire le fer de lance de la décolonisation inachevée du continent.
« Y’a rien en face », proclament les tee-shirts, ou plutôt, le favori « des tenants pervers d’un colonialisme rétrograde ». Pour brosser cette grande fresque devant un public avide de l’entendre, la « dame de fer » de la Côte d’Ivoire n’a pas lésiné sur les moyens, ni sur le populisme. Ballons de fête aux couleurs nationales, hommes en pagne, peints des pieds à la tête et figurant des statues, puissante sono, habiles chauffeurs de salle, petits drapeaux et chanteurs populaires : rien ne manquait à la geste, déclinée quatre heures durant.
Elle-même, plutôt avare de ses apparitions, avait quitté l’air lugubre arboré l’avant-veille à la Radio-télévision ivoirienne (RTI). Quand le révérend Camara, costume de velours lie-de-vin et chemise rouge, a fini de chanter, en star devant une salle debout, l’animateur l’a rappelé. « Vous avez oublié quelque chose ». Le pasteur évangéliste, un ex-musulman, est retourné sur ses pas pour faire conspuer les forces de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci) et l’armée française.
« MÈRE, NOUS T’ADÔÔÔRONS »
L’imam de la mosquée d’Abobo, cette commune au nord du district d’Abidjan où des émeutes ont fait plusieurs morts depuis le 11 janvier, est également venu en renfort : « Que Dieu bénisse le couple présidentiel », a-t-il conclu après une courte intervention en arabe et en français. Puis ce fut au tour des politiques de vilipender à qui mieux mieux la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’ONU, les Etats-Unis, et surtout la France. Le secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI) a « condamné avec la plus grande fermeté l’ingérence étrangère » et adressé un message à Nicolas Sarkozy : « La Côte d’Ivoire n’est pas un département français. »
Longue robe crème, rehaussée d’un motif de pyramides, Simone Gbagbo s’est offert d’aimables chants d’accueil – « mère nous t’adôôôrons, mère nous t’acclaaamons » – avant de s’installer sur un trône de velours rouge juché sur une petite estrade assortie. Quand son tour est venu, au pupitre, elle a savouré son récit – mimé, martelé, psalmodié. Alassane Ouattara ? « Comme je ne veux pas dire son nom, je vous propose qu’on l’appelle le chef des bandits », a-t-elle commencé en provoquant des hurlements de joie.
Trente minutes à l’avenant, au cours desquelles la France a été copieusement étrillée et son président assimilé au « diable ». Contrat rempli pour Mme Gbagbo. La foule s’est écoulée calmement, satisfaite. « L’indépendance on ne l’a pas encore, approuvait Justine Klaouroux, une commerçante de 43 ans. La monnaie que l’on utilise (le franc CFA) est fabriquée par l’ancienne colonie. » Charles Guigrehi, étudiant en droit public jugeait pour sa part que « Nicolas Sarkozy n’a aucun droit de dire ‘nous t’imposons tel président’. Il est élu par les Français, qu’il s’occupe de la France ». Un autre homme ajoutait : « Les marionnettes de la Cedeao, nous n’en voulons pas. »
Des commentaires plus modérés que les interpellations entendues dans la rue avant le meeting, comme celle de cet homme qui se penche avec véhémence vers la portière de la voiture : « On l’a installé Gbagbo, il est là à vie. Si vous touchez un de ses cheveux, on vous tuera, vous les Français. »
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