Il ne doit pas y avoir de malédiction ivoirienne. Il ne faut pas que la Côte d’Ivoire – qui fut un temps l’un des pays les moins mal lotis d’Afrique de l’Ouest – connaisse une autre guerre civile. Elle a payé assez cher depuis huit ans d’être quasiment coupée en deux après la révolte de 2002 : rivalités ethniques ; effondrement du niveau de vie ; infrastructures à l’abandon ; corruption et criminalisation du pouvoir central…
La journée du jeudi 16 décembre fait craindre le pire. Des affrontements armés dans la capitale, Abidjan, parfois à l’arme lourde, ont sans doute fait près d’une trentaine de morts. Ils ont eu lieu alors que les partisans de M. Alassane Ouattara, le vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre, entendaient marcher sur la télévision, bastion propagandiste du président sortant, Laurent Gbagbo, qui refuse de reconnaître sa défaite.
Celle-ci – très nette – a été déclarée par la commission électorale ivoirienne, au sein de laquelle étaient représentés les deux candidats. La victoire de M. Ouattara – un homme du nord, ancien premier ministre et ancien directeur Afrique au Fonds monétaire international – a été reconnue par l’ONU, l’Union africaine (UA), la Russie, les Etats-Unis, tous les pays de l’Union européenne…
M. Gbagbo, qui s’est accroché cinq ans au pouvoir avant d’accepter d’organiser cette élection, s’appuie sur une décision du Conseil constitutionnel, qui lui est inféodé, pour contester la régularité du vote dans le nord du pays. Il a dans son camp les forces armées et des miliciens, notamment des gangs venus du Liberia, de triste réputation ; M. Ouattara, retranché dans une partie de la capitale, dispose aussi d’hommes en armes, des anciens de la rébellion du nord. Tout est en place pour un nouveau drame.
La communauté internationale – dont plusieurs membres maintiennent la Côte d’Ivoire sous perfusion – entend faire respecter le résultat du 28 novembre. Elle a raison. Les plus exigeants sont les Africains ; il faut les soutenir. L’UA appelle à une pression maximale pour obtenir de M. Gbagbo qu’il cède le pouvoir à M. Ouattara. Le premier ministre kenyan, Raila Odinga, a même évoqué « le recours à la force militaire » pour déloger le président sortant.
Plus prudemment, Américains et Européens ont multiplié vendredi les avertissements à l’adresse de M. Gbagbo. Ils lui ont fait savoir qu’il disposait d’un « temps limité » – déclaration américaine – avant d’être soumis lui et ses proches à de drastiques sanctions financières.
Elles peuvent être individuelles – gel d’avoirs et restrictions de visas – et viser l’entourage de M. Gbagbo : l’Union européenne a ciblé une vingtaine de proches du président sortant. Elles peuvent paralyser le fonctionnement de l’Etat – la seule signature de M. Ouattara est reconnue à l’étranger – et notamment empêcher M. Gbagbo de payer la solde des militaires le mois prochain. Bref, il s’agit de frapper au portefeuille. Pour empêcher que la Côte d’Ivoire ne devienne un autre Zimbabwe.
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