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CRISE BIRMANE Mélodies cosmiques pour la rédemption du tortionnaire des Rohingyas

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« On fait de bons terroristes avec les fils des suppliciés » A. Malraux, La Condition humaine

Bouddhiste de Birmanie lève la tête et regarde le ciel : ses étoiles si éloignées te sont pourtant si proches. Tu les admires et les tiens souvent comme compagnons dans tes odyssées nocturnes, mais es-tu en mesure de décoder le message qu’elles t’envoient ? Elles te sont si proches : tu es fait de la même substance originelle, de la même poussière cosmique. Que dire alors de ton prochain Rohingyas ?

Le coucher du soleil est beau parce qu’il est promesse de douceur et de diversité nocturne, celle d’un ciel constellé d’étoiles. Le soleil est beau, mais son unicité l’appauvrit. Il suffit d’être attentif au bruit du cosmos pour entendre les étoiles s’exclamer : pourquoi un ciel si infini devrait-il être monopolisé par un seul astre !

Dieu est incommensurable à toutes les religions cumulées, a fortiori à une seule d’entres elle. Les différentes religions expriment l’infinité de la divinité : la façon dont celle-ci se révèle d’après des formes susceptibles d’être perçues par des hommes est ce qu’on appelle religion. Dieu est trop grand pour se laisser confiner dans une religion ou une confrérie.

Si tu ne peux pas décoder le message sublime que t’envoient tes voisins cosmiques peut-être seras-tu capable d’apprécier ce chant hindou qui dit que l’âme qui se cache dans l’enveloppe fragile d’un ver de terre est aussi étincelante que celle d’une princesse. En te servant des plantes et des animaux pour te nourrir ou te soigner, tu célèbres l’harmonie heureuse de la vie qu’aucune ségrégation ne peut disloquer.

Si tu ne veux pas écouter ce vers hindou plein de sagesse peut-être feras-tu l’effort de lire et de comprendre cette réflexion de ton frère Raimon Panikkar « Si je ne découvre pas en moi le terrain ou? l’hindou, le musulman, le juif, l’athée, l’autre peut avoir une place – dans mon cœur, dans mon intelligence, dans ma vie – je ne pourrai jamais entrer dans un vrai dialogue avec lui ». Panikkar dont la vie et l’ouvre sont le fruit d’une rare symbiose de plusieurs cultures et de plusieurs religions sait bien que le destin de l’homme est le dialogue. Né d’une mère catalane catholique et d’un père hindou, il a été ordonné prêtre, mais il n’a jamais renoncé à voir l’universalité du message du bouddhisme, de l’hindouisme, et de l’islam.

Apôtre et théoricien du dialogue interculturel et interreligieux Raimon Panikkar propose la convivialité à la place de la tolérance « Pluralisme signifie qu’il y a des systèmes de pensée et des cultures incompatibles entre eux ou, en utilisant une métaphore géométrique, qu’ils sont incommensurables (tels, que le sont le rayon et la circonférence ou l’hypoténuse et la cathète, en restant pour autant en coexistence et co-implication). ». Mon cher frère bouddhiste birman ne vois-tu pas que dans le triangle rectangle l’hypoténuse ne peut pas annihiler la cathète (c’est-à-dire le côté adjacent à l’angle droit) sans s’annihiler elle-même. L’hypoténuse implique la cathète sans laquelle il n’y aurait pas de triangle rectangle. De même l’humanité n’existerait pas sans cette pluralité de cultures et de religions incommensurables les unes aux autres.

La diversité des religions (comme celles des cultures) ne prouve pas leur fausseté, elle prouve seulement la finitude de l’homme et des ses œuvres. Dieu est infini, l’homme est fini : quand l’infini se révèle dans le fini, il y a forcément décalage. Toutes les religions ne sont que des étincelles de la divinité. Aucune religion n’épuise la divinité, pas plus qu’aucune culture n’épuise l’humanité. Ignorer cela c’est ignorer sa propre humanité. Combattre la pluralité des cultes et des cultures c’est renoncer à sa propre humanité, c’est faire la négation de sa propre religiosité.

Bouddhiste, comment peux-tu détester le musulman, le chrétien, etc., sans détester Dieu ? La divinité nous transcende et nous unit dans notre condition humaine : elle cesserait de nous unir si elle cessait de nous transcender. C’est donc se déchoir soi-même de cette divinité que de chercher à la ramollir et à l’appauvrir en la réduisant à sa propre approche de la divinité.

Lève une dernière fois la tête, cher frère bouddhiste, et observe bien cette allégorie cosmique : quand les nuages « rencontrent » le soleil, mettant ainsi fin à sa solitude et à son infertile et implacable unicité, ils nous gratifient d’une douceur et d’une amnistie solaire. De cette étreinte cosmique tombent des larmes de joie sous forme d’une pluie qui apporte fraicheur et vie. Tu verras alors qu’ôter la vie, c’est déclarer la guerre à Dieu. Ôter la vie à autrui parce que tout simplement il est différent, c’est avouer qu’on ne mérite pas d’être le réceptacle de la divinité.

Quand Panikkar dit que le seul testament de Jésus est son Esprit (cf. je vous envoie l’Esprit saint) il montre de façon radicale que la racine commune de l’humanité c’est l’esprit. Car aucune croyance ne peut s’épuiser dans les limites de la raison, et que c’est être raisonnable que de comprendre la légitimité de toute croyance. La seule issue dans ce contexte de la pluralité des croyances, c’est de cultiver le pluralisme dans la quête et la conception de la vérité. La vérité est peut-être une, mais sa perception ne saurait l’être ; et l’extrême diversité de nos niveaux d’entendement en est la preuve.

Le plus facile, le plus raisonnable, le plus avantageux pour un bouddhiste birman c’est de vivre en convivialité avec un rohingya. Si le monde d’aujourd’hui ne peut plus être compartimenté, comment un pays pourrait-il l’être ? « Nous ne pouvons vivre dans un monde compartimenté. L’autre devient un problème précisément parce qu’il fait irruption dans ma vie et est irréductible à ma manière de voir. Si un extrême est de penser que nous sommes dans le vrai et que les autres sont dans l’erreur, un autre extrême est de considérer que nous sommes tous adaptés à une sorte de village global » explique Panikkar.

Le musulman est environné par des éléments culturels occidentaux, l’occidental est obligé de coexister avec le musulman, le bouddhiste, etc. Qu’est ce que serait d’ailleurs être un bouddhiste là où il n’y a ni musulman, ni chrétien, ni juif ? Le modeste musulman d’Afrique que je suis pense ceci : au début fut Adam, ensuite Dieu tira Eve des flancs d’Adam et d’eux naquirent les fils d’Adam auxquels Dieu donna la raison, et donc la liberté, et donc la créativité, et donc la diversité. Tu vois donc mon cher frère bouddhiste birman, celui que tu persécutes est ton frère, non seulement de sang, mais aussi d’essence.

Cette guerre nous interpelle tous, car elle traduit une crise de l’humanisme de notre siècle. Nous ne pourrons faire renaitre un véritable humanisme que lorsque nous réussirons à nous unir autour de la condition humaine d’abord, et à réviser notre rapport à la nature ensuite. Aussi longtemps que nous ne comprendrons pas que le sens et le salut de notre vie en tant qu’individu, groupe social ou communauté impliquent ceux d’autres individus, groupes sociaux, et communautés différents, nous ne remplirons pas pleinement la vocation humaniste que chacun porte en lui. L’humanisme d’un monde aussi globalisé que le nôtre c’est avant tout la reconnaissance que l’humain est un « à-venir », un horizon jamais bouché, mais au contraire toujours ouvert vers plus de possibilités et, par conséquent de différences. Le rapport à la nature doit être conçu et vécu sous l’angle du partage : partage avec les autres membres de notre famille « Nature » ; partage avec nos contemporains, mais aussi partage avec les générations futures.

Un homme ne peut plus mériter le nom d’humain s’il n’est pas capable de comprendre que ce qui le différencie d’autrui est justement le fruit de ce qui l’en rapproche. Un homme se déchoit de sa qualité d’homme lorsqu’il perd de vue que les biens de la nature ont été là avant lui, qu’ils y seront (même si c’est sous d’autres formes) après lui, parce que tout bonnement la vie doit exister. Tous ces biens de la vie qui nous opposent ont été enfouis dans la nature pour le bien de tous les éléments de cette nature. Nous sommes tous des fils de la nature avant d’être des fils d’Adam : ne pas comprendre une telle évidence, c’est s’engouffrer imprudemment dans la mégalomanie, pire ennemie de l’humanisme. L’humanisme c’est d’abord la modestie (nous ne sommes pas meilleurs que les autres) c’est ensuite la générosité (communiquer et partager) c’est enfin le respect (la reconnaissance de la valeur d’autrui et la célébration de son mérite). Nous sommes sur la même terre, ô combien fragile ; nous vivons les mêmes angoisses existentielles ; nous avons le même défi à relever, à savoir perpétuer la vie et l’humanité telles que nous les avons reçues.

Promouvoir la xénophobie ou entreprendre un génocide, c’est dès lors proclamer à la face du monde la négation de sa propre humanité. Ce que l’humanisme doit aujourd’hui véhiculer, c’est qu’il n’y a pas de salut pour l’humanité sans une victoire sur les démons de la division. L’homme est trop fragile pour se payer le luxe d’investir son énergie dans la haine et la confrontation. L’humanisme dont notre siècle est digne doit consister à davantage connaître et respecter notre prochain, mais aussi à étudier la façon la plus pudique et la plus responsable de vivre en harmonie avec la nature.

Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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