Dakar regrette déjà Rufin

A Dakar, le départ fin juin de l’ambassadeur de France, Jean-Christophe Rufin fait débat. Certains médias sénégalais regrettent déjà sa liberté de ton, d’ordinaire si peu prisée par les diplomates.

Des organes de presse se sont émus de son retour en France. A commencer par la presse quotidienne volontiers frondeuse vis à vis du pouvoir du président Aboudoulaye Wade. Comme en témoigne cet éditorial du journal Kotch.

Rufin reprend sa canne et son sac

On raconte que le rabbi hassidique Schmelke de Nikolsburg, qui a vécu
au XVIIIe siècle, avait accroché à son bureau, de manière ostensible,
une canne et un sac. A ceux qui l’interrogeaient sur la présence de
ces objets insolites dans ce lieu, ce sage rétorquait : «Je veux que
l’on sache que les riches et les puissants ne pourront en aucune
manière m’obliger à faire fléchir le droit. Dans ce bureau, tout le
monde sera jugé de manière juste et équitable. Et si les gens qui
disposent d’un certain pouvoir s’imaginent qu’ils pourront, par
exemple, menacer de me licencier, je leur fais savoir à l’avance que,
dussé-je devenir mendiant et errant, je suis disposé à tout instant à
rependre ma canne et mon sac et à m’en aller.»

Pour Jean-Chistophe Rufin, diplomate iconoclaste et esprit libre qui vient  d’être
remplacé comme ambassadeur de France au Sénégal, l’heure est venue de
reprendre sa canne et son sac. Et on peut parier, au vu de son
impressionnant background-anglicisme qui risque d’écorcher l’oreille
de l’académicien et du défenseur de la langue française -que l’auteur
de «Katiba» ne sera ni un mendiant ni un errant.

Incontestablement, Jean-Chritophe Rufin aura marqué son passage et les esprits comme
ambassadeur à Dakar, un poste particulièrement délicat. Tout en
respectant l’obligation de réserve qui sied à cette profession fort
particulière, il ne se sera pas privé, durant tout son séjour, de dire
ce qu’il pensait. En homme libre.

C’est justement cette liberté de ton que n’a jamais apprécié le président Wade qui doit être bien content de s’être débarrassé d’un “empêcheur-de-se-faire-succéder-en-rond”. A
l’heure où le pays de Marianne est de plus en plus gagné par les peurs
identitaires, Jean-Christophe Rufin nous aura réconcilié, comme le
disait De Gaulle, avec une “certaine idée de la France”. Un Immortel
qui, lors de sa réception sous la Coupole, dans un discours
d’anthologie, rendra un vibrant hommage au Président Senghor ainsi
qu’au sculpteur Ousmane Sow.

A Kotch, où la Sarkophilie n’est certainement pas la chose la mieux partagée,

nous aimerions dire ces simples mots à ce grand seigneur qui,

quelques semaines seulement après la naissance de notre journal,

nous avait fait l’insigne honneur de nous accorder un entretien exclusif :

Jërëjëf [merci en wolof].

Barka BA

http://dakarparis.blog.lemonde.fr/