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Dans l’enfer convoité du Campus Social de l’UCAD

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« Le bien être, ce n’est pas au campus social que vous allez le trouver » prévient Salif, soucieux de lever toute équivoque quand aux difficiles conditions de vie des étudiants. Ce jeune homme originaire de Kaolack est en première année de Lettres modernes. N’ayant pu trouver un logement, ce sont les couloirs du pavillon J qui lui servent de dortoir. Il passe ses nuits sur un petit matelas étalé à même le sol. Une moustiquaire à la propreté douteuse et une couverture le protègent à la fois des moustiques et du froid de la nuit.

Chercher un logement, c’est ce que fait Salif en dehors de ses heures de cours. « Presque tous les matins, je me rends au bureau du chef du département des œuvres sociales, situé au service médical, mais j’ai rarement la chance d’être reçu, tant il est sollicité ». En effet, jusqu’à ce vendredi matin, le jeune homme n’avait jamais rencontré Khalifa Ababacar Diagne. Plus tôt dans la journée, il a dû sécher ses cours, squatter dans une salle d’attente et supplier la secrétaire d’inscrire son nom sur la liste des personnes qui allaient être reçues par ce responsable du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud). Parmi elles, des étudiant(e)s venu(e)s des régions comme lui et des personnes à la mobilité réduite.

Finalement, vers 10 heures et demi il est introduit dans une pièce spacieuse dépourvue d’ornements. Le mobilier du bureau se réduit à une grande bibliothèque et à trois chaises encadrant une table sur laquelle sont posés un ordinateur portable, un téléphone fixe et une pile de dossiers. L’humeur joviale du maitre des lieux contraste avec l’austérité de son bureau. Vêtu d’un caftan bleu, Khalifa Ababacar Diagne se départit rarement de son large sourire, mettant à l’aise ses visiteurs. Il écoute attentivement Salif même si des appels téléphoniques fréquents, ainsi que les va-et-vient de la secrétaire interrompent régulièrement la discussion. « Je comprends ton problème, assure-t-il au jeune homme avec une voix teintée de compassion, mais il y a des règles que je dois respecter ». Il lui explique que la nouvelle administration du Coud a décidé de rompre avec le favoritisme érigé en règle les années précédentes afin de distribuer les lits, en se basant en priorité, sur des critères d’excellence. De bons résultats scolaires sont la seule garantie d’avoir un logement. Pour étayer ses propos, Khalifa Diagne exhibe la lettre que le nouveau directeur du Coud lui a adressée. Abdoulaye Diouf Sarr s’y indigne des « pratiques illicites consistant à vendre des lits» et assure que « la direction du Coud affiche sa ferme détermination à punir vigoureusement et sans complaisance tous ceux qui seront identifiés comme étant les auteurs, de quelque bord qu’ils se situent : agents de l’administration, personnes extérieures ou étudiants ».

Cependant, en voyant l’abattement de son visiteur, Khalifa Diagne essaie de le rassurer. Il lui explique qu’après les codifications, il y aura une « évaluation » qui devrait permettre de recenser les lits auxquels les ayant droits ont renoncé et de les redistribuer aux cas sociaux. Néanmoins, voulant éviter de donner de faux espoirs, il s’empresse de préciser qu’il ne peut rien promettre. Cette année, du fait de la démolition de cinq pavillons (I, N, F, G, H ; B2 de Claudel étant encore habitée), 1263 lits ont été perdus. Les 75 500 étudiants recensés devront se contenter de moins de 4000 lits en attendant la réception prévue, dans les prochains mois, de trois nouveaux bâtiments dont la capacité devrait avoisiner les 600 lits. Malgré tout, certains étudiants ne trouveront pas de logements reconnaît Khalifa Diagne. Toutefois, le Coud a décidé d’adopter une politique d’accompagnement destinée à encourager certains étudiants à trouver des logements près de l’université. Une certaine somme leur sera versée pour les aider à subvenir aux coûts du logement. Le mobilier et le matériel retirés des pavillons en construction leur sera également prêtés.

Même s’il n’est pas assuré de trouver assez d’argent pour prendre un local hors de l’université, une lueur d’espoir est toujours la bienvenue pour celui qui passe ses journées au pavillon J où logent provisoirement celles qu’il appelle « mes sœurs». Ces dernières lui gardent ses bagages et effets personnels dans leur logement assez bien entretenu, mais infesté de moustiques et très encombré. En plus des deux lits qui se font face, il y a un lavabo un peu rouillé, une grande armoire commune en fer d’où déborde des vêtements et des sachets en plastique. Au fond de la chambre, en dessous de la fenêtre, un long placard disposé horizontalement abrite des cahiers et des livres empilés les uns sur les autres ainsi que des ustensiles de cuisine et une bonbonne de gaz répandant une chaleur infernale dans la pièce. « Le plus souvent nous préférons préparer nous-mêmes nos repas plutôt que de nous rendre dans les restaurants universitaires où la nourriture est rarement de bonne qualité », explique Astou, l’une des douze filles logeant dans cette pièce d’environ 12m².

Tandis que Véronique et Fatou, toutes deux étudiantes en Portugais, préparent le repas, Awa, nouvelle bachelière inscrite à la Faculté de médecine, lave la vaisselle sur le lavabo. Le bruit de l’eau ruisselante couvre presque la voix mélodieuse qui s’échappe de la radio posée sur un des lits. « Nous écoutons Titi en boucle », explique Louise en se maquillant. Elle doit se rendre à son cours magistral à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP). « Comment me trouvez-vous ? », interroge-t-elle après avoir fini de se pomponner. « Horrible », répondent les autres filles en chœur, provoquant l’hilarité générale. En réalité, elle était très belle mais apparemment elles étaient suffisamment amies pour se permettre de se moquer les unes des autres. « Nous formons une famille » assure Véronique, la première à avoir logé dans cette chambre. Au fur et à mesure, les autres filles l’ont rejoint. Les unes dorment sur les lits, les autres sur des matelas et des nattes étalés par terre durant la nuit. Elles reconnaissent que parfois, elles se sentent à l’étroit mais la solidarité est ce qu’il y a de plus important. « Je ne peux pas avoir un logement et refuser d’héberger une amie qui en a besoin », explique Véronique.

En effet, la plupart d’entre elles viennent des régions et leurs familles d’accueil à Dakar, si elles en ont, résident très loin des facultés : à Mbao, à Teunguédj ou même à Rufisque. « Quand on doit quitter ces localités pour venir assister aux cours, il est presque impossible de ne pas être en retard. En plus de la distance, il y a les problèmes de transport. Il faut emprunter deux à trois cars, débourser plus de mille francs par jour pour rester coincé durant des heures dans des embouteillages», raconte Mariama. Certes, la chambre est loin d’être un havre de paix et de tranquillité – des vendeurs ambulants s’y incrustent souvent pour essayer d’écouler leurs produits cosmétiques et elles y ont été victimes de vols de portables, de tickets de restaurant et d’argent- mais elle compte beaucoup pour elles. « Ici nous avons la chance de vivre en harmonie, il n’ ya pas trop de tensions, comme il y’en a généralement dans les chambres des filles… », explique Véronique.

Malheureusement, elles ne pourront pas garder la chambre après la fin des codifications. Seule Awa, qui a de bons résultats scolaires, est assurée d’être relogée, elle devra néanmoins changer de pavillon et cohabiter avec d’autres filles qui, elles aussi, voudront surement héberger leurs amies. Elle ne pourra pas accueillir toutes ses anciennes colocataires devenues ses « sœurs ». Certaines d’entre elles devront donc se débrouiller pour se faire héberger par d’autres amies ou trouver un logement aux alentours de l’université. Ce qui est très improbable, les bourses et les aides sociales qu’elles perçoivent suffisent à peine à couvrir leurs besoins quotidiens.

Il est environ 12 heures, le cours magistral de Louise doit commencer à 13 heures, mais elle doit être à l’amphithéâtre avec au moins une demi-heure d’avance pour s’assurer d’avoir une place devant. N’ayant pas le temps d’attendre que le Kaldou soit prêt, elle devra déjeuner au restaurant universitaire. Arrivée sur les lieux, elle doit se sacrifier à une tradition bien ancrée dans l’espace universitaire : faire la queue. En effet pour se doucher le matin, pour manger, pour se soigner, pour encaisser la bourse ou l’aide sociale, ou pour obtenir un quelconque service, faire la queue est un rituel auquel il est difficile d’échapper.

La file s’étend sur une centaine de mètres et la progression est plutôt lente, il faudra donc s’armer de patience. Certes, il existe des restaurants privés où manger ne nécessite pas autant de sacrifices, mais ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Il faut débourser au moins 500 f pour avoir un sandwich peu consistant. « Parfois, certains étudiants n’ont même pas 150f pour acheter un ticket de restaurant, ils sont obligés de se contenter d’un ou de deux repas par jour s’ils n’ont personne pour les dépanner » raconte Louise.

Alors qu’elle déplorait les difficiles conditions de vie des étudiants, un malingre jeune homme l’aborde pour lui demander un ticket de restaurant. Il explique qu’il a oublié son ticket dans sa chambre. Louise s’empresse de fouiller dans son sac, en sort un ticket et le lui offre. Un peu gêné, le jeune homme remercie sa bienfaitrice avant de s’en aller. « Ce n’est pas facile pour eux de reconnaitre qu’ils sont fauchés alors ils s’inventent des prétextes pour pouvoir manger » explique-t-elle avec tristesse.

Après avoir patienté pendant près de 25 minutes sous un soleil peu clément, Louise peut enfin être servie. Au menu, il y’a du mafé. Le riz n’est pas suffisamment cuit et le mafé a encore le goût de la patte d’arachide mais personne ne semble s’en plaindre. Certains comme Modou, étudiant en Histoire, vont même se resservir. « Ce qui compte, c’est que le ventre soit plein » ironise-t-il. Pourtant, une année auparavant, soupçonnant la viande qui leur avait été servie d’être avariée, les étudiants avaient saccagé plusieurs restaurants entrainant leur fermeture temporaire.

Finalement, Louise arrive à l’amphithéâtre avec plus d’un quart d’heure d’avance. La grande salle est presque vide mais il n’ya plus beaucoup de places libres. Des cahiers, des livres ou des sacs posés sur les bancs indiquent qu’ils sont réservés. Malgré ses problèmes de vision, Louise devra s’asseoir derrière. De là, celle qui rêve de devenir une grande avocate, essaiera tant bien que mal d’ignorer les péroraisons de ses deux voisines pour se concentrer sur son cours de droit dans l’espoir de plaider un jour pour une amélioration des conditions de vie des étudiants.

Marlyatou DIALLO, Etudiante en Journalisme et Contributrice à Senenews

1 COMMENTAIRE

  1. État de droit, gouvernance vertueuse, transparence, etc. à l’épreuve des faits.
    « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

    Un recteur qui ignorait royalement l’autonomie des structures et les lois du Sénégal, avec une gestion hors norme tant décriée par les syndicats et des citoyens de tous bords se retrouve nommé Ministre de l’Enseignement Supérieur de la Recherche, sans autre forme de procès. Les faits avérés qui lui sont reprochés sont d’une telle gravité qu’il ne doit certainement son « salut » (c’est temporaire, car un jour chacun rendra des comptes, ces anciens amis du PDS ne diront pas le contraire) que grâce la transhumance du PDS à l’APR à la 25ème heure. Les « amis » avant la patrie.

    Sauvons nos universités publiques du naufrage.
    (leral.net 9 oct. 2012 de Citoyen)

    Malgré les moyens substantiels mis à la disposition de l’enseignement supérieur de notre pays, les résultats sont qualitativement et quantitativement loin des normes de l’UNESCO. Nos instituions d’enseignement supérieur ont surtout un problème de management ([b]mal gouvernance, corruption, népotisme, dépenses de prestige, gestion solitaire en lieu et place de la gestion démocratique et légale, non respect des lois et des règlements, etc.[/b]) avec la complicité active ou passive de la communauté universitaire ([b]avantages indus, intimidations, etc.[/b]), des autorités étatiques qui, jusqu’à présent, feignent de ne rien savoir (n’ont-ils pas les moyens de savoir ce qui se passe ?) pour éviter la confrontation avec ceux (les amis politiques !) qui sont nommés à la tête de ses structures et qui agissent parfois comme des monarques en gérant la chose publique à leur guise.

    Face à la démission de l’État, nos universités croulent sous le poids de dettes dues aux créanciers (banques, hôpitaux, Sonatel, Senelec, SDE, fournisseurs divers) et chaque corporation s’évertue à demander toujours plus pour « améliorer ses conditions d’existence » et parfois au détriment des intérêts de la communauté. Ainsi donc, la crise est donc une conséquence logique de l’inaction de l’État.
    En effet quand les dirigeants (nommés par les autorités) gèrent la chose publique en dehors des normes établies sans être inquiétés le moindre du monde (pour ne pas dire promus à des stations plus juteuses), les syndicats demanderont des chosent hors normes et c’est le début du CHAOS.
    A l’État de faire l’état de la gestion de ceux qu’il a nommé, punir ceux qui se sont montrés indélicats et récompenser les autres, ensuite il serait facile de demander aux syndicalistes de faire preuve de mesure et enfin sévir dans le respect de la loi si de besoin. Il est temps de restaurer l’État de droit (et donc des devoirs) ; il est indispensable, avant toute promotion, d’étudier sérieusement la gestion présente et passée du pressenti.

    L’État ne peut continuer à protéger et promouvoir ceux qui mettent à genoux nos institutions d’enseignement supérieur et jeter en pâture les syndicats. Je pense que les responsabilités sont partagées.
    Des assises de l’Éducation avec ceux qui bloquent le système pour des raisons personnelles ou émotives ne serviraient à rien, je proposent des assises des anciens (Recteurs, Professeurs ou hauts cadres à la retraites) du système pour faire des propositions objectives. Il est souvent difficile d’être juge et parti.
    Il n’est jamais trop trad pour bien faire un devoir citoyen.

    ———————-kathior, 24 novembre 2012 00:18 de nettali —————-
    DÉCLARATION SAES

    La section SAES-UGB s’est réunie en AG ce jeudi 11 octobre 2012 en vue d’évaluer la situation qui prévaut en interne au sein de notre institution universitaire.
    Devant le constat :
    d’une situation générale de mal gouvernance,
    de non fonctionnement des structures et directions démultipliées,
    de non respect des textes universitaires,
    de mauvaise gestion des deniers publics alloués à l’UGB,
    de la dégradation des conditions de travail,
    de recrutements massifs et clientélistes de personnels non prévus dans le budget en cours,
    de retard dans le paiement des salaires et de retenues sur salaires non versées.
    L’Assemblée Générale de Saint-Louis condamne avec la dernière énergie le mode actuel de gestion du Recteur Mary Teuw Niane….

    L’Assemblée générale, note avec indignation, désolation et amertume que le Recteur de l’UGB n’a respecté aucun des engagements qu’il avait pris lors de ses dernières rencontres avec le bureau de la section SAES.
    Ainsi, l’AG exige :
    le respect des textes en vigueur sur le recrutement de personnels enseignants non titulaires,
    le paiement sans délai de toutes les sommes dues :
    Heures Complémentaires du second semestre,
    perdiem de voyage d’études aux ayant droits restants,….
    le versement effectif des prélèvements opérés sur les salaires des enseignants au profit de certaines institutions financières,
    le paiement effectif des sommes dues aux institutions sanitaires,
    L’AG regrette la lecture partielle ou contextuelle que le Recteur fait des textes qui nous régissent. Elle insiste sur l’urgence de la situation désastreuse dans laquelle se trouve l’UGB et interpelle les pouvoirs publics sur la nécessité d’auditer les fonds alloués.
    Nous restons mobilisés pour la sauvegarde et la défense de notre institution.
    Vive l’Université sénégalaise, vive le SAES.

    Fait à Saint-Louis le 12 octobre 2012.
    L’Assemblée Générale
    ————-
    SYNTUS (Syndicat des travailleurs de l’UGB de Saint louis).
    Saint Louis, 22/06/2012.

    APPEL A LA COMMUNAUTÉ CONTRE LES DÉRIVES D’UNE GESTION SOLITAIRE.

    Depuis quelques années la gestion solitaire, le subjectivisme, le népotisme et les règlements de compte sont monnaie courante a l’UGB. Dans la vie des établissements ( UFR LSH, CCOS…) comme dans la gestion des ressources humaines (recrutement, traitement salarial, nominations) les exemples ne se comptent plus. Retraits de prérogatives, mises en quarantaine et tentatives d’humiliation sont le lot de ceux et celles qui qui refusent de marcher au pas et qui ont osé faire face.

    LE SYNTUS FERA FACE COMME PAR LE PASSE.

    Nous avons toujours préfère le dialogue social constructif a la confrontation. C’est pourquoi depuis la tentative avortée de licenciement dont certains de nos camarades ont été victimes en 2010 et toutes les tentatives vaines de déstabiliser notre syndicat, nous avons voulu rester sereins et positifs.
    Seulement la récidive dans l’irrespect et le manque de considération à l’ endroit des travailleurs y compris certains de ces collaborateurs attitres, du Recteur, mettent gravement en péril la gestion démocratique et la justice sociale.
    C’est pourquoi sentinelle au service exclusif de l’institution, le SYNTUS est résolu a faire face pour réinstaller la confiance et la joie de travailler ensemble toutes composantes confondues au développement concerté de l’UGB.

    VIVE LES SYNTUS, VIVE L’UGB.
    L’Assemblée générale
    _

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