L’exigence républicaine nous interpelle tous, du plus petit au plus grand, des dirigeants aux citoyens ordinaires et appelle de notre part, une réelle remise en cause de notre manière de concevoir et de faire la politique.
Nous citoyens, cadres, juristes et autres, formatés à la vieille recette française ; il est de nos traits de caractère de défendre contre vents et marées ce que nous voulons, au besoin, en faisant abstraction de ce qui est, ou de ce qui devrait être.
Pour ceux d’entre nous qui sont dans le landerneau politique notamment, c’est comme s’ils n’avaient de comptes à rendre ou les rendraient à une autorité supranationale autre que le peuple qui, le plus souvent, se retrouve dans le désarroi le plus total.
Ismaïla Madior Fall s’est inscrit dans cette logique dictatoriale, poussant la témérité jusqu’à nous interdire de donner un ‘’avis’’ sur l’‘’AVIS’’ du Conseil Constitutionnel, au motif principal qu’il s’agit d’une ‘’DECISION’’ dans une matière réservée à une caste de supra-juristes aux connaissances constitutionnelles ‘’hors du commun’’.
Ne lui en déplaise, juriste de formation, je me permets de commenter la décision du Conseil Constitutionnel, qui, sur le plan purement juridique, renferme des considérations qui font et vont continuer à faire débat.
J’ai toujours dit et je répète que le Président Macky SALL a été élu pour un mandat de 7 ans et que sa déclaration allant dans le sens de réduire son mandat n’engageait que lui et ne pouvait, en aucune manière, prendre le pas sur les dispositions constitutionnelles.
Je peux aussi comprendre que, malgré sa volonté affirmée de réduire son mandat, il se ravise, à bon droit, devant des risques élevés liés à une éventuelle élection anticipée en 2017.
En revanche, lui conseiller de fonder cette décision sur l’avis ou la décision (cela importe peu) du Conseil Constitutionnel ne me parait pas pertinent et ne milite pas en faveur d’une responsabilité bien assumée.
La décision du Conseil Constitutionnel traduite en français simple nous amène à conclure qu’il est victime d’un mauvais procès et je défie quiconque de prouver que le Conseil s’est prononcé sur la conformité du projet de révision à la lettre de la Constitution, ou mieux aux dispositions constitutionnelles. La commande n’ayant tout simplement pas été passée en ce sens.
En effet, il a été demandé au Conseil de vérifier la conformité du projet de révision à l’esprit général (notez bien qu’il ne s’agit ni de la lettre, ni de sa spécificité) de la Constitution et aux principes généraux du droit (qu’on apprend en première année de droit).
En réponse à cette demande à la limite du compréhensible et pour se protéger de l’interprétation abusive qui pourrait être faite de ses propos, le Conseil Constitutionnel a pris le soin de mettre le curseur sur ses limites quant au contrôle de constitutionnalité des lois référendaires en ces termes :
« Considérant que si le Conseil Constitutionnel, saisi en matière de contrôle de constitutionnalité des lois ne tire ni de la Constitution ni de la loi organique qui le régit le pouvoir de statuer sur les lois portant révision de la constitution ».
En termes clairs, le Conseil déclare son incompétence à connaître du contrôle de constitutionnalité des lois référendaires.
Son contrôle étant limité au strict minimum tourne autour de la forme du texte et au fond, au niveau des délais fixés par la Constitution.
Jusque là le Conseil Constitutionnel a assurément fait du droit et c’est par la suite qu’il va rentrer dans des considérations philosophiques discutables à tous points de vue.
Le Conseil prend d’abord la judicieuse précaution de préciser qu’il s’agit de répondre à une demande du Président de la République, à laquelle il ne peut se soustraire ’’ sa saisine étant déterminée, au surplus, par la requête’’.
Puis, il nous explique qu’il est dans l’obligation de se prononcer sur les principes et valeurs sur lesquels repose la Constitution(ou les constitutions en général) mais uniquement au ‘’regard des termes généraux dans lesquels la demande est formulée’’.
Le Conseil considère ainsi que l’objet de la demande n’étant pas précis, il allait répondre de manière générale au regard des valeurs propres à la Constitution de 2001 (pourquoi pas les constitutions en général) et des principes généraux du droit. C’est ce qui lui permet d’aller au-delà de son domaine de compétences pour faire dans la littérature, allant du conseil en écriture aux Etats partageant la même tradition juridique, en passant par les précédents historiques.
Voilà pourquoi, vouloir vaille que vaille organiser un référendum dans des délais limités, alors que l’objet principal est mis au rebus, ne cadre décidément pas avec une vision frappée au coin du bon sens et ressemble singulièrement à un véritable tour de passe-passe, inventé par un conseiller adepte de la théorie des jeux à somme nulle. Ce dernier s’étant certainement dit qu’au Sénégal, le peuple, ayant oublié la réflexion au berceau et étant amnésique, on pouvait tout se permettre pour peu qu’il soit possible de présenter un bilan satisfaisant à la fin.
En effet, le projet de constitution qui nous a été finalement soumis, duquel le mandat en cours est extirpé, ne me semble pas du tout épais et comporte, en dehors d’une écriture qui laisse à désirer, des dispositions politiquement conflictogènes, qui devraient faire l’objet d’échanges avec plusieurs segments de la société avant leur mise en œuvre.
Dés le départ, il est aisé de relever le nombrilisme qui habite ses rédacteurs qui tentent, par des jugements de valeur, de transformer leurs doutes en convictions. Morceaux choisis : la solidité à toute épreuve de notre ordonnancement institutionnel ; l’Etat de droit est bien une réalité au Sénégal ; la réputation du Sénégal comme démocratie majeure en Afrique et dans le monde ; la maturité démocratique du Sénégal est réelle et ne fait aucun doute, et quoi encore ?
Sur un autre versant, plusieurs dispositions doivent être discutées et corrigées avant de pouvoir figurer dans un texte aussi solennel que la constitution. On peut citer, entre autres, les articles :
• 60. – Tout député qui démissionne de son parti en cours de législature est automatiquement déchu de son mandat. Il est remplacé dans les conditions déterminées par une loi organique.
Une tentative de prise en otage des députés par les partis politiques alors que nous sommes dans un système qui repose sur le mandat représentatif. Ce qui caractérise le mandat du député est qu’il est collectif (le député représente la totalité du peuple, non ceux qui l’ont mis sur leur liste ou ceux qui l’ont élu) et qu’il n’est pas impératif (le député est en droit complètement libre dans ses opinions et son vote). Cet article va encore fragiliser les députés et l’Assemblée nationale par la même occasion ;
• 81. – Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement peuvent être entendus à tout moment par l’Assemblée nationale et ses commissions. Ils peuvent se faire assister par des collaborateurs.
Les commissions permanentes de l’Assemblée nationale peuvent entendre les directeurs généraux des établissements publics, des sociétés nationales, des agences d’exécution. Ces moyens d’information et de contrôle sont exercés dans les conditions déterminées par la loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
La logique voudrait que l’on vise les dirigeants et non les directeurs généraux et que l’on élargisse le champ d’application avec la rédaction suivante : Les commissions permanentes de l’Assemblée nationale peuvent entendre les dirigeants des établissements publics, des sociétés nationales, des sociétés anonymes à participation publique, des personnes morales de droit privé bénéficiant du concours de la puissance publique, des agences d’exécution ;
• 85. – Les députés peuvent poser, au Premier ministre et aux autres membres du Gouvernement qui sont tenus d’y répondre, des questions écrites.
Les députés peuvent poser au Premier ministre et aux membres du Gouvernement, qui sont tenus d’y répondre, des questions orales et des questions d’actualité. Les questions et les réponses qui y sont apportées ne sont pas suivies de vote.
Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement se présentent à l’Assemblée nationale, selon une périodicité à fixer d’accord parties, pour répondre aux questions d’actualité des députés.
Les questions peuvent certainement être importantes sans être d’actualité.
De même au titre VIII, intitulé’’ DU POUVOIR JUDICIAIRE’’, il est stipulé que
‘’Pour répondre aux besoins de réforme de la justice constitutionnelle, le Conseil constitutionnel comprend désormais sept membres nommés par le Président de la République dont cinq nommés directement par le Président de la République et deux désignés par le Président de l’Assemblée nationale avant nomination. Cette innovation met fin au pouvoir exclusif de désignation des juges constitutionnels par le Président de la République et associe la deuxième personnalité de l’Etat à la mise en place de la juridiction constitutionnelle’’.
C’est que l’on peut appeler une réformette qui retire de la main gauche ce qu’on a offert de la main droite. D’abord il nous faut corriger la fausse allégation qui consiste à vouloir « mettre fin au pouvoir exclusif de désignation des juges constitutionnels par le Président de la République’’. Ce dernier n’a jamais eu de pouvoir de désignation des juges du Conseil Constitutionnel mais bien d’un pouvoir réel et exclusif de nomination des juges et de leur Président. La loi 92-23 du 30 mai 1992 sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi 99-75 du 17 février 1999 parle de nomination et non de désignation.
Une bonne réforme eût été de permettre au Président de l’Assemblée Nationale de nommer directement deux juges parmi les sept désormais prévus pour le Conseil Constitutionnel. Ceci pourrait alors s’interpréter comme une avancée démocratique et se rapprocherait des standards. Pour mémoire en France ‘’Trois des membres du Conseil Constitutionnel sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l’Assemblée nationale, trois par le Président du Sénat.’’
En lieu et place d’une véritable réforme, l’article 89 nouveau proposé stipule que ‘’ Le Président de la République nomme les membres du Conseil constitutionnel dont deux sur une liste de quatre personnalités proposées par le Président de l’Assemblée nationale’’, et confine le Président de l’Assemblée Nationale dans un rôle de faire valoir pour un semblant de transfert de pouvoirs. Cette réforme ne fait ainsi qu’enfoncer une porte ouverte et, ses justifications n’étant pas fondées, ne mérite nullement de figurer dans un texte soumis à référendum.
Le deuxième point de divergence qui nous intéresse concerne la constitutionnalisation des devoirs des citoyens. Loin de nous l’idée de dédouaner le citoyen de ses devoirs qui existent naturellement et préexistent à l’idée même de constitution, si tant est que la vie en société est impossible sans l’existence et le respect des devoirs des citoyens, c’est-à-dire d’une éthique, ce qui renvoi à la morale. Il est évident que la contrepartie normale des droits, ce sont les devoirs mais toutes les règles de conduite qu’elles soient d’origine constitutionnelle, légale ou règlementaire sont des devoirs pour le citoyen. En effet, ’’nul ne peut se dépouiller des devoirs sans dépouiller, du même coup, sa qualité d’Homme’’ disait Jean- Claude Rocher
Certains de nos droits ont été acquis de haute lutte et sont relativement récents et souvent pas encore respectés, alors que nos devoirs nous régissent depuis le bas âge.
Dans nos pays où le respect des droits fondamentaux est souvent sujet à caution et garde un caractère formel (Absence de présomption d’innocence et renversement de la charge de la preuve au niveau de la CREI, refus de s’exécuter suite à une décision de la Cour Suprême, refus d’exécuter des décisions d’instances supranationales), notre préoccupation fondamentale ne devrait-elle pas être de rompre avec les abus de l’Etat que de faire crouler les citoyens sous des devoirs déjà connus et respectés par la majorité des citoyens ? Et ne glisse –ton pas vers un état totalitaire ou la jouissance des droits serait subordonnée au respect des devoirs énoncés dans la constitution ?.
Au demeurant, tant qu’on y est, et la majorité des sénégalais seraient d’accord avec nous, pourquoi ne pas formuler et constitutionnaliser les devoirs des élus dans le but d’instaurer un code de bonne conduite pour ces derniers et moraliser la vie politique nationale ?
Un juriste congolais, à propos des devoirs inscrits dans leur constitution disait ’’Affirmer constitutionnellement les devoirs de l’homme dans un contexte de démocratie non consolidée, c’est prendre le risque d’un usage abusif des devoirs, conduisant à l’écrasement des droits’’.
Pour ce qui concerne la réduction du mandat, le Président a été manifestement très mal conseillé suite à une interprétation abusive de la décision rendue par le Conseil constitutionnel et à une lecture à rebours de celle-ci. En effet, il n’est nul besoin d’être professeur de droit ou juge au Conseil constitutionnel pour savoir que les lois référendaires adoptées par le peuple souverain ne peuvent être soumises au contrôle de constitutionnalité. Elles incarnent l’expression directe de la souveraineté nationale.
‘’Le peuple du Sénégal est souverain’’ clame la première phrase du préambule de la Constitution.
Le Conseil aurait du, par conséquent, aller plus loin et préciser qu’au Sénégal comme dans les Etats de même tradition juridique aux premiers desquels la France, le pouvoir constitutionnel est souverain et ’’ qu’il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compéter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime approprié ; qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle, que cette dérogation peut être aussi expresse qu’implicite’’. C’est une décision du Conseil constitutionnel rendue suite à un reproche qu’on faisait à la Révision constitutionnelle opérée par la loi constitutionnelle du 25 Juin 1992 de ne pas avoir révisé la Constitution de manière appropriée.
C’est donc dire qu’au-delà de la qualification de la réponse, il apparaît clairement que le Conseil constitutionnel ne s’est nullement prononcé en droit sur la réduction du mandat, pour la bonne et simple raison que cette matière est en dehors de ses compétences.
Enfin en décidant de soustraire le mandat en cours des rigueurs du quinquennat et de le proposer pour le futur, le Président de la République risque non seulement de priver le référendum de sa quintessence, mais encore, de poser un acte qui va naturellement faciliter la campagne pour le non.
En effet, le premier mandat étant exclu des nouvelles dispositions instaurant les cinq ans, le Président de la République en fonction pourra, nolens volens, en bénéficiant des précédents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, avoir droit à deux autres mandats de cinq ans.
Et vouloir le limiter à deux mandats sera impossible, même par le biais des dispositions transitoires. Le faire équivaudrait à accepter que le mandat en cours puisse être visé par la nouvelle constitution, y compris pour la réduction et remettrait en cause toute la construction juridique que le Conseil a eu beaucoup de mal à mettre en place.
Pour toutes ces raisons, notre AVIS est que la DECISION la plus sage serait de reporter le referendum et d’organiser de larges concertations, susceptibles de nous mener à de vigoureux consensus.
Boucar DIOUF Coordonnateur National de la CIAR (Convergence d’idées Autour de la République)
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sage avis qu’il faut suivre. Merci Boucar!
Tres bonne analyse technique. Conseil de sage qui merite d’être ecouté.