De Y en a marre à Kaolack, laboratoire d’une utopie (Par Hamidou Anne)

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Malgré l’effondrement du niveau du débat politique, la campagne démarrée samedi va mettre en évidence certaines candidatures qui, du point de vue de la science politique, peuvent être intéressantes. Celle de Fadel Barro à Kaolack rentre dans cette catégorie, compte tenu de la trajectoire de l’homme et de la signification politique de sa coalition Jammi Gox Yi. J’ai découvert Fadel Barro quand il a, avec des amis rappeurs, lancé le mouvement Y’en a marre, un cri du cœur, un appel à la révolte face aux dérives du régime de Abdoulaye Wade. Entre 2011 et 2012, le mouvement, qui a ouvertement soutenu Macky Sall, a contribué à la deuxième alternance. J’ai toujours reproché à Y’en a marre d’avoir stratégiquement manqué de déborder les flancs des partis traditionnels afin de devenir une force politique centrale. Peut-être que le pari de Fadel Barro en quittant la tête de Y’en a marre pour proposer une offre politique durant ces élections territoriales est une entreprise de correction de l’erreur de 2012. Après l’alternance, Y’en a marre a évité de se «salir les mains» pour en rester à une posture de veille sans assumer un rôle politique par la conquête de l’Assemblée nationale et des collectivités territoriales pour, à partir de la base, structurer une alternative qui demain lui permettra de gouverner le pays.

Y’en a marre n’est pas un projet, mais un cri d’exaspération et de ralliement qui pouvait constituer un terreau fertile à une aventure politique de rupture et de transformation. C’est aussi parce que le mouvement a évité de franchir le pas du simple cri pour devenir un projet politique de transformation sociale dans la radicalité propre aux codes de la rue, que la colère des masses et des intellectuels précaires a été instrumentalisée par des forces populistes réactionnaires.

En politique, il faut un alliage entre la pensée et l’action. Or, Y’en a marre a négligé la pensée pour se limiter aux actions spectaculaires qui, face aux urgences du quotidien des citoyens, lassent et n’offrent que peu de résultats dans le fond et dans le temps long. Le mouvement traverse une crise de maturité et se retrouve à la remorque de toutes les causes, même les plus futiles et les plus antirépublicaines.

Retourné à ses sources kaolackoises, dans les entrailles du pays réel, qui souffre de l’inanité du politique et son incapacité à panser les blessures de tous ceux qui souffrent, Fadel Barro compte lancer une offensive pour se doter d’un outil capable de lui conférer une majorité politique locale.

Aux côtés des politiciens classiques dont la parole est discréditée, les candidatures dites de la Société civile, qui profitent de la réforme du Code électoral relative aux candidatures indépendantes, peuvent être le point de départ d’une nouvelle donne qui, à terme, pourrait reconfigurer l’espace politique et propulser le pays vers autre chose.

Fadel Barro a eu le courage d’aller se confronter au suffrage universel loin des plateaux de télévision et des réseaux sociaux, qui sont le mur des lamentations des activistes mais aussi leur champ de surexcitation feinte au sujet des douleurs des gens qu’ils prétendent défendre, mais qu’ils manipulent pour divers subsides.

Pour faire advenir une utopie : celle d’un pouvoir qui revient au peuple, instance suprême en démocratie, il faut titiller l’ordre établi et lui opposer une volonté sincère qui, avec le temps, demeure le plus puissant moteur de changement dans une société. La politique, ce sont des idées qui rencontrent des circonstances. Il me semble nécessaire de provoquer le destin pour espérer remporter les batailles qui peuvent changer le cours de l’histoire.

Fadel Barro comme tous ceux comme lui qui viennent des marges du personnel politique classique, qu’ils veulent battre et délégitimer afin de structurer un nouveau printemps, feront face à deux adversaires. D’abord, ils seront confrontés aux concurrents issus des appareils politiques. C’est un face-à-face à leur hauteur, qui n’est pas insurmontable. Mais l’adversaire le plus pernicieux et le plus volatile reste l’électeur dont le rapport à l’argent et aux promesses matérielles est plus que vicié. Ce rapport malsain a freiné de nombreuses velléités sincères de ceux qui n’ont que l’utopie en bandoulière et qui voient leur offre négligée car désencastrée du moule classique politicien. Dans notre pays, la matière électorale est un jeu tordu entre un homme et une femme d’argent prêt à en distribuer et un électeur pris dans la nasse d’un quotidien difficile, qui donc devient vulnérable face aux stratégies d’achat de conscience.

Si Fadel Barro s’empare de la mairie de Kaolack, il s’agira d’une victoire qui pourra déclencher quelque chose dans le champ des mouvements citoyens africains. S’il perd son pari, le terrain labouré servira de base expérimentale pour tous ceux qui demain vont tenter de provoquer le destin et promouvoir des idées radicales afin de transformer le vécu de millions de gens pauvres qui, au Saloum, au Fouta, en Casamance et partout ailleurs, cultivent l’espoir.

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