En matière d’organisation et de méthode, Pathé Ndiaye est la bonne école. L’ancien directeur général du Bureau Organisation et Méthode (BOM) émet de sérieuses réserves « sur la rationalité et la cohérence de la reconfiguration des collectivités territoriales » telle qu’envisagée par le Gouvernement. Dans un document que nous reproduisons in extenso, l’ancien patron du BOM et du Port Autonome de Dakar explique pourquoi, selon lui, le découpage administratif du Gouvernement doit être jeté à la poubelle.
Depuis quelques jours, le Gouvernement a saisi certaines collectivités territoriales du département de Rufisque sur une proposition de reconfiguration des collectivités territoriales du département de Rufisque qui touche les communes de Sangalkam, de Bambylor, de Jakkhay – Parcelles Niacourapp. Des motifs généralement invoqués dans le rapport de présentation du projet de reconfiguration figure la nécessite constatée depuis la mise en œuvre de l’Acte III, soit en 2014, de « corriger les incohérences territoriales » « pour garantir une meilleure cohérence territoriale favorable à la territorialisation des politiques publiques », et de matérialiser la promesse du président de la République d’ériger Keur Massar en département, suite aux inondations de l’hivernage 2020, « pour corriger les difficultés notées dans l’offre de services administratifs de proximité et satisfaire une vieille doléance des populations ». Une première remarque de forme est la médiocre rédaction du rapport de présentation. Pour identifier les motifs du projet il faut aller les chercher, éparpillés, dans plusieurs paragraphes. C’est peutêtre un indice de la précipitation mise dans l’élaboration du Projet et/ou de la difficulté à le justifier.
Plusieurs autres remarques peuvent être formulées sur ce Projet
- Les lacunes dans la rationalité et la cohérence ont été signalées depuis longtemps, dès la mise en œuvre de l’Acte III. Sans doute les corrections ne pouvaient pas être faites immédiatement ; Il fallait prendre le temps de l’évaluation en laissant fonctionner les nouvelles organisations pour confirmer le diagnostic. Peut-on douter que cette évaluation ait été faite par les services compétents de l’État ? En principe non ! Su moins, si l’évaluation et le suivi sont au cœur des politiques publiques, comme le dit souvent le Président de la République.
Mais nous sommes quand même surpris par les modalités de mise en œuvre telles que révélées dans le rapport de présentation. 2. Pourquoi avoir attendu d’être si près des échéances électorales locales pour proposer cette reconfiguration du département de Rufisque ? Le moment choisi suscite des suspicions légitimes sur les objectifs politiques voire politiciens de cette proposition. 3. Le projet est soumis pour avis des collectivités territoriales concernées, soit une consultation de celles-ci comme l’exige la Loi.
En réalité, c’est juste pour se conformer à la Loi
Car ce projet est une proposition déjà conçue et dessinée, structurée et finie, faite par des fonctionnaires dans le secret des murs de l’Administration, soit « entre quatre murs », sans une réelle consultation des populations concernées et de leurs représentants légitimes. Pour une réelle et sérieuse concertation démocratique respectant le principe de l’autodétermination des populations, corollaire du principe de l’autonomie des collectivités locales, il aurait fallu associer les populations ou leurs représentants dès le départ, à la formulation et conception du projet. Les réactions notées depuis lors — Ndlr, depuis que le texte gouvernemental a été rendu public — au niveau des populations concernées et des élus, représentants des dites populations dans la réunion des organes délibérants démontrent bien que lesdites populations n’ont pas été associées comme elles l’auraient souhaité, comme un droit légitime, à ce projet. Le Conseil municipal de Bambylor, par un voté majoritaire, s’oppose au projet. Au Conseil départemental de Rufisque, une majorité a voté pour l’adoption du projet malgré une majorité d’intervenants qui se sont prononcés dans leurs discours contre le projet. Ici, la discipline de parti a pris le dessus. C’est une triste aberration que nous constatons : les intérêts de l’État/ Parti versus les intérêts des populations ! Les populations des villages que l’État veut rattacher à la Commune de Sangalkam manifestent depuis lors pour l’érection en communes de leurs villages : Keur Ndiaye Lô, Kounoune, Keur Daouda Sarr. Ces populations manifestent leur droit à l’autodétermination, et tout au plus leur opposition à ce projet de rattachement à la Commune de Sangalkam. C’est aussi la preuve qu’elles n’ont pas été consultées au départ. 4. Les mêmes problèmes se posent dans la Commune de JaxaayParcelles Niackourab dont
’éclatement entre le département et les Communes de Sangalkam et Tivaoune Peulh est vivement contestée, sur la base des principes de l’autodétermination et l’autonomie des populations. 5. Le rapport indique qu’il s’agit de corriger des erreurs administratives ou « injustices politiques » commises en 2011. Mais le résultat de ce projet est qu’en fait on déplace le problème en transférant les mêmes erreurs administratives et « injustices politiques » dans un autre territoire. Une réforme administrative doit être régie par des règles d’objectivité, de transparence et d’adhésion des populations concernées. Ces règles sont le seul gage de sa
réussite et de sa pérennité. Pour beaucoup d’observateurs, cette réforme semble être un moyen de règlement de comptes personnels, d’accaparement de pouvoirs et moyens pour un clan politique, plutôt qu’un moyen de satisfaire les doléances des populations. D’où des frustrations profondes : certaines ont été exprimées, d’autres sont contenues. Mais elles ne serviront surement pas les intérêts politiques des initiateurs. 6. Qu’en est-il des autres collectivités territoriales, surtout celles du monde rural, dont la non rationalité, l’incohérence du découpage, ont été le plus décriées ? Ces communes rurales ne sont pas viables telles quelles. Le regroupement en des entités plus grandes pour être viables était la recommandation la plus partagée. Une refonte de ces collectivités locales rurales aurait dû être réalisée depuis longtemps, en dehors des échéances électorales. Mais plus on se rapproche des échéances électorales locales, moins il y a de chances que cette refonte se réalise. Là aussi, ce sont les intérêts politiques et partisans qui sont le moteur de toute décision à prendre. 7. Finalement, les décisions de l’arbitrage fait par le Président de la République et son Ministre chargé de la Décentralisation et de l’Aménagement des collectivités territoriales sont contestées. Elles sont contestées parce que contestables par nature du fait de la position du Ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des Territoires. C’est pourquoi, nous nous posons la question de savoir s’il est judicieux que ce poste soit occupé par un Maire. Ce cumul de fonctions d’arbitre et d’acteur fait que ses décisions seront toujours suspectes de parti pris quand il s’agit d’arbitrer sur des questions aussi importantes que l’aménagement ou le découpage territorial, la répartition des fonds de dotation et des fonds de concours pour les collectivités territoriales, etc.
PATHE NDIAYE
Ancien Directeur du Bureau Organisation et Méthodes (B.O.M.)
Conseiller départemental de Rufisque.
Adjoint au maire de la ville de Rufisque