Depuis le 15 août 2010, le transport de conteneurs est libre au Sénégal. Il suffit pour l’opérateur ayant la confiance du client d’avoir deux sésames pour transporter les conteneurs vers ou à partir des terminaux portuaires de Dakar.
1- Un agrément délivré par le ministre en charge du transport maritime
2- La signature d’un cahier de charge avec le Directeur Général du Port Autonome de Dakar.
Depuis plus de trois mois, une multitude de transporteurs exercent sur la base de la confiance des clients.
Cependant, le cadre légal qui fixe les conditions générales d’exercice de ce métier n’en règle pas toute la complexité avec seulement 9 articles contenus dans un arrêté ministériel.
A l’étude et à la pratique, l’arrêté ministériel relatif au transport routier et à la livraison des conteneurs peine dans l’applicable en raison de quatre incohérences non encore clarifiées par l’autorité.
1- De l’incohérence de la notion de délai de franchise.
Selon l’article 6 de l’arrêté ministériel, « les délais de franchises » sont délimités et fixés à12h ou 15h sur Dakar. Pour les régions, ce délai varie entre 3 et 5 jours. Pour les pays limitrophes le délai est de 21 jours. Au-delà, les délais sont négociés entre les différentes parties. Cet article 6 ne définit pas la notion de « délai de franchise ». Franchise par rapport à quoi ? Franchise mesurée à partir de quelle date et heure ? Est-ce depuis sortie conteneur du terminal jusqu’à son retour ? Est-ce depuis arrivée conteneur chez le réceptionnaire ? Quid des cas de blocages fréquents du conteneur pour autres raisons douanières ? Quid des cas fréquents d’attente due au manutentionnaire ? En vérité, les opérateurs gagneraient beaucoup à ce que cette notion de délai de franchise recoupe la réalité des responsabilités légales et du trafic notamment à Dakar. Il est impossible qu’un conteneur qui sort du port puisse être livré, dépoté et retourné vide dans les 12 ou 15 heures.
Ici la solution serait qu’après la sortie du conteneur du port, la règle des 2 jours ouvrables hors blocage par la douane soit appliquée pour prendre en compte la réalité et les intérêts des uns et des autres.
2- De l’incohérence de la non prise en compte des franchises surestaries et magasinage.
Dans la pratique, le délai minimal de franchise pour les surestaries et magasinage est de 10 jours. Il s’agit d’une franchise pour les clients Si par exemple, un opérateur enlève son conteneur dans les 2 premiers jours après arrivée par navire, il fait économiser 10 – 2 soit 8 jours à l’armateur et au manutentionnaire. Si après livraison du même conteneur, il dépasse ce que l’article 6 appellera « délais de franchises », il tombe sous le coup d’une pénalité détention de 15 000 FCFA par jour pour le conteneur 20 pieds et 25 000 FCFA par jour pour le conteneur 40 pieds. En clair et en incohérence sénégalaise, le client ne gagne rien à enlever rapidement le conteneur du moment qu’en retour, il peut se voir appliquer une pénalité de détention souvent supérieure à la pénalité surestaries ou magasinage.
La notion de délai de franchise devrait prendre en compte la franchise magasinage et surestaries pour rester dans une certaine logique de la boucle du conteneur.
3- De l’incohérence des tarifs détention. Selon l’article 7 de l’arrêté ministériel, les tarifs détentions sont de 15 000 FCFA par jour pour le conteneur 20 pieds et 25 000 FCFA par jour pour le conteneur 40 pieds et 25 000 FCFA par jour pour la remorque. Ces tarifs ne devraient pas être des sommes sur lesquelles une marge bénéficiaire devrait être faite. Il devrait s’agir de pénalités calculées sur la base du coût de location standard des conteneurs à l’échelle mondiale. Un tel coût serait de loin inférieur aux montants fixés par l’arrêté ministériel. Le fait que ces montants permettent aux armateurs de dégager une marge aura comme conséquence une augmentation des coûts de revient avec le risque de répercussion sur l’inflation au niveau nationale.
Les montants actuels fixés par l’arrêté ministériel doivent être revus à la baisse parce que trop exorbitants et permettant de dégager une marge trop importante pour les armateurs sans commune mesure avec les coûts réels de locations des conteneurs.
4- De l’incohérence du rôle du transporteur routier. Dans l’article 3 de l’arrêté ministériel, il est écrit que le retour du conteneur est à la charge du transporteur de même que le remboursement en cas de perte sans compter les taxes éventuelles sur le conteneur vide. Le terme « est à la charge » signifierait-t-il en droit « est de la responsabilité de » ? Si charge ou responsabilité il y a, est-ce vis-à-vis de qui ? Le transporteur routier peut-il être tenu pour responsable vis-à-vis d’un armateur avec qui il n’est pas en contrat ? Peut-il (le transporteur routier) se substituer (en responsabilité) au client chargeur qui a une relation contractuelle avec l’armateur à travers un connaissement ? A supposer qu’un arrêté ministériel crée un lien entre le transporteur routier et l’armateur, la question focale est de savoir si un arrêté ministériel peut naviguer à contre-courant du code des obligations civiles et commerciales du Sénégal. Ces questions méritent d’être posées aux juristes puristes. Aujourd’hui, les armateurs en contrat avec le chargeur à travers un connaissement appliquent sur la base d’une interprétation de l’arrêté ministériel des pénalités directement aux transporteurs quelle que soit la raison du non retour du conteneur qui souvent résulte d’un non dépotage par le client. Les armateurs ont-ils le droit légal de facturer directement des détentions aux transporteurs sans être en contrat avec eux ?
La bonne règle qui ne sèmerait pas d’amalgames serait que le client chargeur s’engageât en amont avant livraison par caution auprès de l’armateur. Cela mettrait le client face à son transporteur qui ne répondrait que de sa défaillance directe avérée. La caution étant remboursée au retour du conteneur vide dans les délais de franchise.
En définitive, l’arrêté ministériel a sans doute était fait sans prise sur la réalité ni prise en compte de l’intérêt mutuel des différentes parties. C’est un arrêté qui porte les germes de contentieux multiples qui risquent de déranger la quiétude de l’activité. Certains armateurs qui sont aussi transporteur routier direct ou par procuration font usage d’une certaine interprétation pour créer les conditions d’une concurrence déloyale.
Et pourtant la première référence de l’arrêté ministériel est le règlement 02/200//CM/UEMOA du 23 mai 202 relatifs aux pratiques anticoncurrentielles. A la lecture des 91 articles de ce règlement de l’UEMOA, il urge que l’autorité sénégalaise fasse une claire adaptation de notre arrêté ministériel qui tient en 9 articles.
Ce débat dépasse le cadre strictement portuaire et interpelle toute la nation parce que les conséquences seront senties partout y compris dans le panier de la ménagère.
Osons espérer que la lucidité, le souci de concurrence pure et parfaite et la maitrise de l’inflation l’emporteront sur les calculs conjoncturels.
La balle est dans le camp de la puissance publique qui doit avoir le courage de se ressaisir pour concilier les intérêts des armateurs avec l’intérêt national.
Moustapha DIOP