Ils sont nombreux à se partager le pactole de plus de deux milliards de francs que génère, chaque année, la lutte avec frappe. Mais cette lutte n’enrichit pas tout son monde bien qu’on en parle comme d’un facteur de développement. Alors, qui sont les principaux bénéficiaires de cet argent ?
Les lutteurs, les grands bénéficiaires
Premiers à bénéficier du pactole généré, chaque année, par la lutte, les lutteurs eux-mêmes. Seulement, la distribution des ressources à leur niveau connaît un grand dysfonctionnement. C’est ainsi que, dans une saison sportive, une vingtaine de lutteurs sur les quatre mille recensés se partagent les centaines de millions que les sponsors mettent dans la lutte pour la visibilité de leurs produits. De l’argent injecté via les promoteurs, qui redistribuent cette manne financière aux lutteurs. Et dans le lot, on peut citer Yakhya Diop Yékini, Mohamed Ndao Tyson, Serigne Dia Bombardier, Balla Bèye n°2, Gris Bordeaux, Moustapha Guèye, Modou Lô, Balla Gaye n°2, Lac de Guiers n°2, Tapha Tine, Seybatou Boye dit Thiék, Bazooka, qui sont les plus visibles en termes de revenus de plus d’une dizaine de millions. Viennent ensuite, dans un autre lot, les Papa Sow, Zoss, Issa Pouye, Bathie Seras, Tapha Guèye n°2, Ama Baldé. Et ce sont les mêmes qui reviennent chaque année alors que l’arène regorge de jeunes champions. Mais ce sont ces deux catégories qui sont les premières servies par les promoteurs, qui leur versent des centaines de millions par an. Et ce sont des revenus non imposables.
Qu’est-ce qui explique cela ? ’C’est la résultante d’amitiés qui sont nouées entre les managers et les promoteurs les plus en vue, au détriment de la majorité des lutteurs. Chaque promoteur a son manager qui lui sert de passe-droit dans les écuries, auprès des lutteurs et de leurs collègues managers. C’est ainsi que Gaston Mbengue a le président de l’Association nationale des managers, Babou, et Max Mbergane qui sont ses plus proches collaborateurs ; Luc Nicolaï se sert de Mbaye Diagne comme bouclier, tandis que Serigne Modou Niang a Palla Diop. Quant aux autres promoteurs qui ont nom Palla Mbengue, Ndèye Ndiaye Tyson, Manga 2, Pape Abdou Fall, et les jeunes producteurs du Baol et la nouvelle génération de jeunes promoteurs qui cherchent leur voie dans l’arène, ils naviguent entre les différents managers pour se frayer un chemin’, nous informe un responsable de l’arène.
Selon notre interlocuteur, le phénomène n’est pas que l’apanage de la lutte avec frappe. ‘Dans la lutte traditionnelle aussi, c’est le même phénomène qui s’illustre, avec des promoteurs et managers qui régulent le milieu, au détriment des lutteurs. Et tous détiennent un portefeuille financier assez consistant, leur permettant de faire leur beurre’. Le fait se vérifie d’autant que les milliers de jeunes lutteurs qui foisonnent dans les écuries et écoles de lutte, ne profitent pas de cette manne financière qui leur file sous le nez. Alors qu’ils se sont investis dans ce sport. Certains d’entre eux ont laissé tomber études et boulot, pour se consacrer à la lutte. Mais le partage est inéquitable. Et il urge de réparer cette injustice qui risque de plomber les efforts de renouvellement de la lutte. L’implication de l’Etat par une subvention au Comité national de gestion de la lutte et le partenariat entre les sponsors et le Cng seraient bénéfiques pour l’arène. La structure dirigeante devrait avoir assez de moyens financiers, pour aider à la programmation de jeunes espoirs de la lutte qui se lèvent à 5 h du matin et squattent les plages, les terrains d’entraînement, les salles de musculation, les écoles et écuries de lutte.
Les promoteurs, détenteurs des cordons de la bourse
Rien ne fait plus dans l’arène sans eux. Ils font, mais peuvent également défaire les carrières dans ce milieu. Parce que ce sont eux qui détiennent les cordons de la bourse. C’est par eux que passent les sponsors qui génèrent une partie importante des recettes dans l’arène. Ils sont ainsi devenus incontournables. Il est, dès lors, de bon ton d’être en bons termes avec eux si l’on veut avoir des contrats. Et la plupart de ces promoteurs sont des hommes d’affaires versés dans le show biz qui n’a plus aucun secret pour eux.
A l’origine de ce métier, se trouvaient, pourtant, des hommes de foi qui, le bénévolat en bandoulière, n’étaient préoccupés que par la promotion de la lutte. Et les plus en vue étaient feus Adrien Fall, Abdoukarim Dia, Mbor Gningue, Alcantara de Reubeuss, Mme Guèye de Reubeuss, El Hadji Bassirou Diagne Marème Diop, sans oublier les promoteurs des arènes Gabar Ndoye de Rufisque, Thiéma de Kaolack, Sambaye Sall de Thiès, Seukou Bour de Saint-Louis etc., qui montaient de grands évènements dans leur localité.
Mais c’est avec l’avènement dans l’arène des équipes de football à la recherche de ressources additionnelles que la promotion de la lutte a pris son envol au début des années 90. Et le Diaraf de Dakar, la Ja, l’Us Gorée, le Ndiambour de Louga s’y sont le plus illustrés. Et c’est de là que naquit une nouvelle race de promoteurs à l’image de Gaston Mbengue. Ce dernier y a trouvé, depuis lors, sa voie royale. Il s’est ainsi mué en grand stratège dans le montage des combats de lutte. Avec l’appui d’amis et connaissances, et plus tard avec abnégation et sérieux, ce natif de Louga a bénéficié de prêts bancaires pour se lancer définitivement dans le métier de promoteur. Mais il a également bénéficié du contexte favorable de l’époque, avec notamment l’introduction par le ministre des Sports d’alors, Abdoulaye Makhtar Diop, des cartes de promoteurs. L’avènement du Comité national de gestion (Cng) de lutte avec le ministre Ousmane Paye qui avait nommé à la tête de cette structure d’exception le Docteur Alioune Sarr, à charge pour ce dernier de chercher ses collaborateurs, finira par installer le renouveau et la modernisation de l’arène.
C’est ainsi qu’une large fenêtre a été ouverte pour les promoteurs, à charge pour eux d’aller chercher les fonds nécessaires à l’organisation de combats de lutte. Et Gaston Mbengue a été un des pionniers dans ce domaine pour avoir produit de grandes manifestations, fait éclore de nouveaux talents et permis à d’autres hommes d’affaires d’aimer le métier de promoteur. Depuis lors, beaucoup de sociétés de la place, pour une bonne visibilité de leurs produits, s’investissent dans la sponsorisation des galas de lutte. Et les promoteurs y gagnent beaucoup d’argent, puisqu’il arrive qu’une société de la place mette sur la table la moitié de son budget publicitaire annuel, pour l’organisation de plateaux de lutte durant la saison sportive.
Mais autant les promoteurs font la promotion des lutteurs, autant ils dérèglent l’arène, par des montages de combats à sens unique. Ils ne tiennent pas compte souvent des mérites, talents et autres instruments de mesure devant déterminer le choix du lutteur pour monter de catégorie. C’est un copinage qui détermine leur choix. Ce qui est regrettable, pour les milliers de jeunes lutteurs qui ambitionnent de faire une carrière dans la lutte.
Les managers, les incontournables Messieurs 10 %
Ce sont les textes régissant le secteur qui ont permis aux managers d’avoir la mainmise sur les contrats de lutte. Mais ils ont également bénéficié de la complicité du Comité national de gestion (Cng) de lutte qui en a fait ses principaux interlocuteurs. Ainsi, personne ne peut signer un contrat avec un lutteur, sans qu’un manager n’appose sa signature au bas du document. C’est une obligation, un acte officiel, pour valider juridiquement le contrat entre le lutteur, le promoteur et le Cng de lutte. Ce qui donne droit au manager de toucher un pourcentage (10 %) sur toute signature de contrat de lutte. Ce que certains lutteurs refusent souvent de payer, arguant du fait que ce sont eux qui descendent dans l’enceinte, qui se mettent à nu et qui se donnent des coups.
Seulement, pour éviter l’anarchie dans le milieu de la lutte, il a été jugé nécessaire de mettre des garde-fous entre le lutteur et la structure dirigeante. Une sorte d’inter face. Et c’est le manager qui joue ce rôle, tant décrié. Puisqu’on leur reproche de ne pas suivre quotidiennement le lutteur, sa santé, sa vie de famille, son plan de carrière en somme. D’où sont nées des frustrations entre les parties concernées. Et dans le lot des privilégiés, le manager est un acteur qui tire ses sources de revenu de ces 10 % reçus après chaque signature d’un contrat de lutte.
Le Cng avec les retenues sur les cachets des lutteurs sanctionnés
Le Comité national de gestion (Cng) de la lutte est souvent mise à l’index à propos de la destination des retenues sur les cachets des lutteurs sanctionnés lors d’un combat de lutte. D’aucuns pensent que les membres du Cng se partagent les sommes ainsi retirées. Surtout que la structure d’exception n’a pas voulu communiquer sur cet aspect, en servant toujours la même rengaine : ‘Nous n’avons de compte à rendre qu’à notre ministre de tutelle puisque nous ne sommes pas une fédération, mais une structure d’exception’, disait d’ailleurs récemment son vice-président Cheikh Tidiane Ndiaye. Ce que son président, le Dr Alioune Sarr, avait à maintes reprises confirmé, dans des interviews. Tout en précisant que ‘cet argent sert à l’équipement des Crg pour la lutte gréco-romaine, au fonctionnement de l’administration du Cng, aux cas sociaux et à la prise en charge des lutteurs des différentes équipes nationales de lutte comme les primes et frais de missions’.
Des promoteurs crient certes à tue-tête que cet argent leur revient de droit, mais le contrat de concession leur enlève ce droit, nous informe-t-on auprès du Cng. Avec la suppression du fonds d’aide aux fédérations logé maintenant dans une autre rubrique au ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, la recherche de ressources additionnelles est devenue une nécessité impérieuse pour toutes les fédérations et structures d’exception.
Babacar Noël NDOYE
walf.sn