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Donald J. Trump ou le délire du dément (par Abou Bakr MOREAU)

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Abou Bakr MOREAU, Enseignant-chercheur, Etudes américaines, FLSH, UCAD.

Les propos injurieux que le président américain a tenus à l’endroit des pays africains et d’Haïti ont soulevé des vagues d’indignation. D’emblée, nous souhaitons saluer ici la lettre de protestation que certains de nos Etats (plus précisément l’Afrique du Sud, le Botswana et le Sénégal) ont, chacun individuellement, adressée à Washington. En notre for intérieur, nous devons rester et demeurer des hommes de refus. « L’oppression se nourrit du silence » et la dignité n’a pas de prix !
Mais au-delà de ces propos abjects que nous ne voulons même pas reprendre, tant est pertinent l’adage wolof qui dit que des propos malveillants ne sont pas domiciliés là où ils vont mais bien là d’où ils viennent, le véritable problème du président américain actuel, c’est son prédécesseur. En clair, le vrai problème de Donald J. Trump, c’est Barack H. Obama. Car en réalité, Donald Trump est hanté par l’image de son prédécesseur qui, et l’histoire le montrera suffisamment, aura forcément mieux fait que lui. Dans le détail :
Non seulement, Barack Obama a été mieux élu que lui, en 2008, quand il arrivait aux affaires, en soufflant un vent de renouveau sur un pays qui en avait tant besoin, mais en plus, il a été très confortablement réélu en 2012. Et tout compte fait, en huit années, il aura servi son pays avec efficacité (en ayant réussi à le sortir de la plus grave crise économique et financière que le monde ait connue depuis la Grande dépression de 1929) et avec dignité, sans l’ombre d’un scandale relatif à son image à lui ni à celle de son pays.
Bien entendu, Donald Trump est très loin de tout cela, et il fera forcément moins bien, beaucoup moins que lui. Pour commencer, son élection est à jamais entachée par l’ingérence russe en sa faveur. A ce sujet, les enquêtes du FBI vont certes trainer en longueur, mais elles iront jusqu’au bout. Dans les semaines à venir, le juge Robert Mueller va interroger le président américain, Trump himself, et rien ne l’arrêtera. De quoi troubler le sommeil d’un homme déjà si déséquilibré ! Un homme si imbu de sa propre personne et habitué à se faire obéir au doigt et à l’œil, à la tête d’un empire financier. On le voit donc, entre une élection vraisemblablement entachée de fraudes et qui n’a pas fini de révéler tous ses secrets et la façon magistrale dont Barack Obama a été élu en 2008 et réélu en 2012, il n’y a même pas photo ! Il s’y ajoute qu’au bout d’une année d’exercice du pouvoir, le 8 novembre 2017 dernier, le président américain actuel ne pouvait encore se prévaloir d’aucun succès à quelque niveau que ce soit. A ce jour, la seule réalisation dont il peut se vanter, c’est la réforme fiscale votée il y a quelques jours, et dont l’impact sur le vécu quotidien des classes moyennes est insignifiant sinon inexistant. Enfin, ce n’est guère un secret : au soir des élections de mi-mandat du 6 novembre 2018, les Républicains vont perdre un grand nombre des 33 sièges de sénateurs en jeu, des 435 membres de la Chambre qui remettront en jeu leur mandat, et des 14 postes de gouverneur qui seront disputés. Ce qu’il restera à voir, c’est l’ampleur de la débâcle !
Les propos insultants du président américain ne nous ont pas surpris. Ils entrent en droite ligne du langage sulfureux, xénophobe et ultraréactionnaire auquel celui que les citoyens américains ont malgré tout choisi avait habitué le monde dès la campagne électorale.
Le problème de Donald Trump, c’est qu’il ne peut et ne pourra jamais que faire pâle figure face à Barack Obama. En plus d’une année d’exercice du pouvoir exécutif, toute sa politique n’a été inspirée que par la haine : dans l’histoire politique si chargée et si mouvementée des Etats-Unis d’Amérique, on n’avait encore jamais vu un président élu dont toute la politique intérieure comme extérieure était exclusivement centrée sur la destruction de l’héritage de son prédécesseur. Jusqu’à ce jour, l’unique motivation du président Donald Trump élu au soir du 8 novembre 2016, c’est de défaire tous les programmes mis en place et les acquis obtenus sous l’administration de son prédécesseur Barack Obama. Or, même sous les administrations les moins capables (ce qui n’est pas le cas de l’administration Obama à qui il revient incontestablement le crédit d’avoir résorbé la crise financière et économique de 2009, la plus grave crise depuis la Grande Dépression de 1929 et la récession qui s’en était suivie), la continuité de l’Etat et l’intérêt supérieur de la nation font que toute nouvelle administration qui arrive cherche au moins à consolider les acquis antérieurement obtenus. Donald Trump a ceci de particulier qu’aucune des politiques de son prédécesseur ne trouve grâce à ses yeux. Vraisemblablement, il n’a qu’une seule motivation, celle de faire table rase de l’héritage du président Obama, à tous les niveaux de la politique intérieure comme de la politique extérieure de son administration :
– Dans la politique intérieure, le président Trump a entrepris de démanteler le plan d’assurance-maladie. Dans un pays de l’hémisphère Nord, industrialisé et riche où plus d’un citoyen sur six qui travaille tous les jours n’avait pas accès à une assurance et courait le risque grave de perdre son emploi du jour au lendemain en cas de maladie, Barack Obama avait réussi la prouesse majeure et historique d’arriver à doter d’une assurance plus de vingt millions de ses compatriotes qui en étaient lamentablement privés. La dimension d’un tel acquis était à mesurer à l’aune d’un besoin aussi essentiel que la santé. Elle était aussi à mesurer à partir du fait que toutes les administrations antérieures à celle d’Obama qui en avaient eu l’ambition n’avaient pas réussi à mettre en place la réforme, ce qui signifie qu’en plus de la résorption de la crise économique, cet acquis est aussi à mettre au crédit de l’administration Obama. L’administration Trump a eu à mobiliser tous les moyens politiques en vue de démanteler le plan, mais sans succès. C’est, contrainte et forcée que l’administration Trump a fini par jeter l’éponge dans cette entreprise funeste, et impopulaire même auprès de certains élus Républicains. Et il est certain que quand au soir des élections de mi-mandat en novembre 2018, les Républicains perdront du terrain, le plan d’assurance-maladie que l’histoire doit à l’administration Obama pourra revenir en force.
Aux Etats-Unis, comme peut-être ailleurs dans le monde, toutes les grandes réformes sociales dont les Américains profitent encore (Medicare, Medicaid, etc.) comportaient, à l’origine de leur application, des insuffisances de taille. Mais il n’a jamais été question ni dans l’esprit ni dans l’action des successeurs des présidents qui ont eu l’initiative et le mérite de les mettre en place de les remettre en question encore moins de les délabrer. Au contraire, ils ont persévéré dans leur mise en œuvre au point de les ancrer dans la politique sociale et dans la vie de la nation. A l’opposé, au lieu de chercher à l’améliorer en en corrigeant les insuffisances, l’administration Trump a entrepris de torpiller tout bonnement la réforme du système d’assurance-maladie de l’administration Obama. C’est peu dire que de parler de « détricotage » de la réforme : pour puiser dans le même registre, disons qu’un travail de « détricotage » aurait voulu procéder à découdre la réforme dans son assemblage pour éventuellement procéder à des ajustements, ce qui aurait très probablement amené à conserver dans son modelé la réforme acquise de haute lutte, ainsi que le préconisaient même certains élus Républicains. Mais bien entendu, cela ne convient pas à Donald Trump, d’autant plus préoccupé par une disparition pure et simple de la réforme qu’il n’a aucune alternative disponible et applicable permettant de sauver tous les assurés qui en perdant les avantages octroyés par la réforme ainsi abrogée risquaient de mourir des affections dont ils se plaignaient.
C’est l’esprit même qui inspire l’idée d’abroger purement et simplement une réforme qui forcément s’attachera à l’identité et au magistère de Barack Obama (qui en avait fait un pari en le lançant dès 2009, et qui l’aura réussi) qui est mauvais voire abject. Autrement, comment expliquer la disposition des élus Républicains opposés à un démantèlement systématique de la réforme, et comment expliquer en plus l’absence d’ouverture d’esprit du président Trump qui ne veut voir en cette réforme aucun aspect positif à préserver, ne serait-ce que pour l’intérêt vital des bénéficiaires dont certains ont eu à sonner l’alerte quant à la prise en charge de leurs besoins de traitement lourd et coûteux pour des pathologies graves.
– Par ailleurs, même la tendance baissière du chômage est à mettre entièrement au crédit de l’administration Obama qui en arrivait aux affaires avait hérité d’une situation de chômage massif et endémique accentuée par la crise économique et financière.
En fin de compte, à force de mettre à plat toutes les réalisations de son prédécesseur sans jamais pouvoir offrir quelque alternative crédible, c’est Donald Trump lui-même qui finira par être synonyme de nihilisme, d’annihilation, de nullité.
– Sur le plan de la politique étrangère, le président Trump a remis en question tous azimuts le TPP (Trans-Pacific Partnership) conclu avec douze pays de la région Asie-Pacifique, l’adhésion de son pays au traité de Paris sur le climat, l’accord multilatéral sur le programme nucléaire iranien, les accords visant à une normalisation des rapports diplomatiques avec Cuba…
En une seule année d’exercice du pouvoir, il ne reste plus qu’à voir quel accord conclu par l’administration de son prédécesseur n’a pas été remis en cause et promis à l’abrogation. L’administration Trump est tellement obnubilée par cette opération de démolition qu’en plus d’une année d’exercice du pouvoir, il n’est pas possible de mettre à son crédit un seul projet constructif positif.
Le président Trump est animé d’une haine irrépressible et irrémédiable envers son prédécesseur. Il n’y a pas un autre sens à donner à ses actes : le Donald Trump qui veut par tous les moyens (législatifs comme politiques) faire table rase de l’héritage de Barack Obama sans pour autant pouvoir proposer des alternatives crédibles aux politiques qu’il abroge, c’est le même Donald Trump qui réclamait jusqu’à l’hystérie la nationalité de Barack Obama, au point que ce dernier a été amené à publier son bulletin de naissance afin de mettre fin à une polémique vicieuse. Ce qui reste une première dans l’histoire du pays. C’est le même Donald Trump, exubérant et fanfaron, aux avant-postes du Tea Party Movement, qui était porteur du discours xénophobe, islamophobe et sulfureux centré sur la personne du premier président noir dans l’histoire du pays. C’est le même Donald Trump dont les parents étaient affiliés au Ku-Klux-Klan. C’est à l’idéologie toxique du KKK qu’a été nourri et élevé Donald Trump. Comme on l’aura vu, le KKK a été l’un des premiers soutiens de sa candidature à l’élection, et c’est dans au sein de cette organisation raciste et funeste que Donald Trump puise une bonne part de sa base électorale.
L’homme n’a même pas honte de se dédire. Le rétropédalage noté dans le discours tenu fait penser à un dément qui était dans un ses habituels instants de délire souvent transcrits en tweets.
Aux Etats-Unis, il y a tant de réformes sur des questions politiques, sociales et économiques qui attendent depuis très longtemps, et que chacun des candidats à l’investiture des partis en 2016 (jusqu’aux Libertariens et aux Ecologistes) promettaient d’aborder, une fois élu. Mais en lieu et place d’un débat rationnel et structuré sur ces questions, toute l’action du président Trump est centrée sur l’annihilation de l’héritage de son prédécesseur et sur un exercice visant à ternir l’image de tout ce qui s’attache à Barack Obama : les peuples noirs (de l’Afrique à Haïti), le collectif « Black Lives Matter » de lutte contre la brutalité policière et l’injustice raciale, les basketteurs noirs de la NBA, jusqu’aux actes bénévolement posés par Michelle Obama alors Première dame des Etats-Unis, etc.
Une politique de la haine ne peut être porteuse de succès, parce qu’elle fait perdre du temps en empêchant de se consacrer à l’essentiel. Une politique inspirée par la haine ne peut être que démagogique et dangereuse. Engagé dans une fuite en avant pour remettre à plat tous les accords, programmes et changements que son prédécesseur avait pris le temps et la peine de mettre en place, l’administration Donald Trump (qui a battu un record de défections en une seule année d’exercice sans pour autant pouvoir se prévaloir d’une seule réalisation majeure et consensuelle, une administration déjà empêtrée dans le scandale de l’implication de la Russie dans l’élection présidentielle américaine de novembre 2016, le tout dans une Maison où le désordre généralisé qui va de l’instabilité émotionnelle de l’homme à l’instabilité de son administration fait penser à une boutique de brocanteur) aura une cuisante défaite électorale en novembre prochain si elle ne va pas tout simplement être annihilée, avant même cette échéance, par une procédure d’impeachment…
En définitive, il reste à nos Etats à se garder de ne pas créer à l’avenir dans nos pays si fragiles des situations qui amèneront Washington à devoir mettre son nez dans nos affaires internes au point de pouvoir y déceler quelque chose qui aura les relents de ce dont a parlé le président américain… Il est connu que dans nos pays africains, nombre de tensions aux conséquences souvent incalculables sont nées d’élections. Or, l’organisation d’élections transparentes, régulières, démocratiques et incontestables ne sont pas un luxe pour pays riches uniquement. Nous en avons déjà eu la preuve, à deux reprises, avec les alternances admirablement réussies au sommet de l’Etat et unanimement saluées. Mais le moins que l’on puisse dire c’est que les élections législatives que nous avons eues ne rassurent nullement le citoyen ordinaire. Et aucun président n’a le droit de faire moins bien que son prédécesseur…

Abou Bakr MOREAU, Enseignant-chercheur, Etudes américaines, FLSH, UCAD

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