Drogue dans la Police : l’Etat à côté de la plaque. Par Bathie Ngoye Thiam

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Le 07 décembre 2012, le commissaire Keïta prend fonction comme directeur de l’Office Centrale pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants. Très vite, il découvre que des fonctionnaires de cet Office sont impliqués dans le trafic de drogue qu’ils sont censés réprimer. Des narcotrafiquants, se présentant comme amis de son prédécesseur à ce poste (le commissaire Niang qui a dirigé l’Office pendant 10 ans), le contactent et lui proposent des deals alléchants. Réaction normale d’un policier, le commissaire fait semblant d’entrer dans le jeu, pour en savoir plus. Un mois plus tard, donc en janvier 2013, l’un d’eux lui explique comment il a fait gagner beaucoup d’argent à de hauts gradés de la police parmi lesquels il cite le commissaire Niang. Le 16 février 2013, ce trafiquant le relance et propose de lui verser 40 millions de francs, « jóni-jóni ».

Voila, en gros, ce que Keïta a écrit dans un rapport détaillé qu’il dit avoir envoyé au ministre de l’Intérieur, le 18 février 2013. Personne n’a encore démenti cela. Ce rapport et l’« Alerte » qui s’ensuivra, vous pouvez les trouver ici : www.tousaveckeita.org.

Aucune réaction de la part du ministre de l’Intérieur qui, selon Keïta, ne peut pas nier qu’il a reçu ce rapport. Normalement, une enquête s’imposait. Rien. Le commissaire Niang est, malgré tout, nommé directeur général de la Police nationale. Keïta n’en revient pas. Le 03 juin 2013, il envoie une « Alerte » au ministre de l’Intérieur, avec deux enregistrements de conversations qu’il a eues avec un dealer, le 24 mai 2013 et le 29 mai 2013. Il signale, encore une fois, que l’élu (Niang) n’a pas les mains propres et avertit : « La réputation et l’honorabilité de cette prestigieuse institution pourraient en souffrir, sans compter que cela entacherait l’image du Sénégal. »

Peut-on, ici, parler d’atteinte à la Sureté de l’Etat et de non-respect de l’obligation de réserve et aux procédures administratives ? « Je ne pouvais pas me taire, dira Keïta. Les intérêts de la République dépassent nos personnes. Je suis Sénégalais avant d’être commissaire de police. Je pouvais me complaire dans cette situation, prendre des avantages et des centaines de millions comme les autres et me taire. Je serais devenu un complice. J’ai travaillé sur la base d’un rapport et j’ai saisi l’autorité pour l’informer de ce qui se passe dans la police au niveau de ces cadres. » « C’est une enquête administrative que j’ai effectuée quand je suis arrivé dans mon service. Je n’ai pas fait dans la délation. Je n’ai rien contre Abdoulaye Niang. Je n’ai rien contre Codé Mbengue. Mais le débat, c’est l’existence de la drogue dans la police. » (On rapporte que le ministre de l’Intérieur avait « réclamé, à plusieurs reprises, sans trop convaincre le chef de l’Etat, la tête de Codé Mbengue, en proposant Abdoulaye Niang, alors qu’il détenait par devers lui le rapport qui lui a été remis depuis le mois de février 2013. »)

Le 11 juillet 2013, en Conseil des ministres, le ministre de l’Intérieur fait limoger le commissaire Keïta, sous un prétexte fort discutable, pour ne pas dire farfelu.

Imaginez que vous êtes médecin militaire. Un laboratoire étranger veut des cobayes pour tester un nouveau virus et paye de grosses sommes d’argent à certains de vos collègues pour que ce virus soit injecté à nos enfants, sous prétexte que c’est un vaccin contre le paludisme ou une autre maladie. Vous découvrez que c’est un virus mortel. Vous avertissez votre supérieur. Il fait la sourde oreille. Les vaccins arrivent. Encore une fois, vous contactez votre supérieur pour lui signaler, preuves à l’appui, que ce vaccin va tuer nos enfants. Il vous fait radier de l’armée et autorise la campagne de vaccination. Allez-vous vous taire pour respecter « l’obligation de réserve » ou allez-vous prévenir les populations ? … Imaginez qu’après cela, au lieu de vous féliciter pour avoir sauvé des vies, les autorités vous condamnent pour «propagation de fausses nouvelles, atteinte à l’image du pays, atteinte à la Sureté de l’Etat, non-respect de l’obligation de réserve et aux procédures administratives, outrage  à l’armée, divulgation de secrets, insubordination et mise en danger de la vie d’autrui », sans vérifier sérieusement vos révélations. Hallucinant, n’est-ce pas ?

Le 16 juillet 2013, le commissaire Keïta s’adresse donc à la presse qui publie ses fracassantes révélations. Boum ! Le ministre de l’Intérieur, le Premier flic du pays, refuse de s’impliquer dans ce qu’il qualifie de « duel fratricide » entre chefs de la police, « une guerre qu’ils mènent entre eux. » Indigné par ces propos, Keïta s’exclame : « Même s’il s’agissait d’un duel fratricide, il a l’obligation d’intervenir parce qu’il s’agit de son ministère, mais il a fui ses responsabilités pour tirer cette affaire de drogue au clair. » D’aucuns réclament la démission du ministre, le porte-parole du gouvernement soutient qu’on doit « le laisser avec son âme et conscience… »

Une enquête est quand même, tardivement, ouverte par la Direction de l’Inspection des Services de Sécurité (Diss) qui est rattachée au Cabinet du ministre de l’Intérieur, ce dernier étant cité dans l’affaire. Aussi, le principal accusé est le directeur général de la Police nationale. Que peut-on attendre de cette enquête ? Le Quotidien (journal) se pose la question en ces termes : « Quel crédit va-t-on donner aux résultats d’une enquête interne de la police, menée par des fonctionnaires de police en activité alors que leurs patrons les plus élevés dans la hiérarchie sont en cause dans la même enquête et demeurent à leurs postes ? » Le président de la République exige néanmoins que lui soient communiqués, dans les plus brefs délais, les résultats de l’enquête.

« Taf-taf », l’enquête de la Diss conclut que Niang n’a rien fait, aucune faute qualificative n’étant relevée à son encore. Keïta, par contre, a commis plusieurs fautes. Ses révélations deviennent des « allégations mensongères ». Le Conseil décide, sur instructions du chef de l’Etat, de prendre des mesures disciplinaires fortes à son égard. « Le commissaire Keïta est passible d’une double sanction disciplinaire et pénale », rapporte la presse. Il est même accusé d’être un trafiquant de drogue. Il répond : « Si je suis un trafiquant de drogue, qu’on sorte un dossier sur moi. Et qu’on tire toutes ces affaires au clair. »

Le commissaire Niang, qui n’aurait commis aucune faute, est quand même relevé de ses fonctions. On nous explique que c’est pour lui permettre de disposer de tous les moyens pour pouvoir se défendre… Se défendre contre quoi ? Les accusations portées contre lui sont qualifiées de mensonges et il est déjà blanchi… De l’autre côté, on décide de désarmer le commissaire Keïta sans assurer sa protection, alors que deux camps armés ont des raisons de lui en vouloir : des narcotrafiquants et des policiers. Les balles perdues et les « accidents » sont à craindre.

Les raisons pour lesquelles l’Etat veut sanctionner Keïta ne sont pas convaincantes aux yeux de bon nombre d’entre nous. La plus étonnante est « l’offense au chef de l’Etat ». Dans le « Rapport » et l’« Alerte » du commissaire, notre Macky bien aimé n’est mentionné nulle part. Il nous faut donc chercher dans la fameuse bande sonore diffusée par la presse. (Keïta a été sournoisement enregistré par des collègues, après avoir dénoncé le trafic de drogue dans la police.) Il s’agit, comme nous l’avons signalé dans d’autres contributions, d’extraits de plusieurs enregistrements avec plein de parties censurées et d’autres agencées dans un but pas très catholique. On entend le commissaire déclarer : « …Dans mon pays, c’est des gens de mon rang et mon honorabilité qui postulent aux postes les plus élevés. » Qui peut y trouver une allusion au chef de l’Etat ? Si Keïta avait été candidat malheureux aux élections présidentielles, ou s’il avait dit : « …c’est des gens de mon rang et mon honorabilité qui postulent au poste de président de la République ou qui doivent diriger le pays », ñu ne sax... On peut se demander à qui il s’adressait en disant « Dans mon pays », mais il est évident qu’il ne parle pas de Macky Sall. Dans le montage, immédiatement après ces paroles, on colle un autre extrait contenant le nom du président sénégalais, ce qui peut prêter à confusion : « (Dans l’administration), je suis plus gradé que Macky. Macky n’est pas du système de l’Administration. C’est un ingénieur, je ne sais quoi, géologue, un ingénieur ramasseur de pierres. Donc il n’existe pas hiérarchiquement. Je suis administrativement son patron. Le président de la République aujourd’hui, en tant que Macky Sall (géologue), agent de l’État, je suis son patron. » On peut se demander si définir un géologue comme étant un ramasseur de pierres, est une offense au chef de l’Etat et si Keïta a le droit d’estimer qu’un officier de police est, administrativement, plus gradé qu’un ingénieur.

On condamne aussi le commissaire pour « non-respect de l’obligation de réserve et aux procédures administratives » car il ne devait pas s’adresser à la presse, dit-on. Mais pourquoi le haut gradé de la police qui a remis ces enregistrements à la presse n’a pas été identifié et sanctionné pour la même raison ? Deux poids et deux mesures ?

Les rebondissements ne manquant pas dans cette affaire, on nous annonce que « la gendarmerie hérite de l’enquête ». Seulement… le général Pathé Seck, ministre de l’Intérieur, cité dans l’affaire, est un gendarme et pas des moindres. Il a été, pendant sept ans Haut commandant de la Gendarmerie nationale, après avoir été, pendant quatre années, Haut commandant en second de la Gendarmerie nationale… Hum ! Prions pour que l’Etat se ressaisisse et prenne le taureau par les cornes… Et hop ! Maintenant, c’est le juge du deuxième Cabinet d’instruction du Tribunal Hors classe de Dakar qui est en charge du dossier.  Eh bien, attendons, mais veillons à ce que l’affaire ne tombe dans les oubliettes. Il faut que la lumière soit faite. C’est ce que le commissaire Keïta ne cesse d’exiger. Nous aussi.

Pétition pour soutenir le commissaire Keïta. Signez ici : www.tousaveckeita.org

Bathie Ngoye Thiam.-

5 Commentaires

  1. Cher Bathie Ngoye pourquoi croire à Keita et ne pas croire à Niang? N’avoue pas sans avoir connaissance de la chose Si tu te réclame musulman tu ne dois pas être catégorique car le mensonge mène à la perversité

    • Cher Baida, le commissaire Niang et ses deux grands avocats n’ont encore rien dit pour qu’on puisse les croire ou ne pas les croire. Ce que je dénonce, c’est que les plus hautes autorités se sont précipitées pour blanchir Niang et condamner Keïta avant de laisser l’enquête suivre son cours. Aussi, jusqu’ici les accusations portées contre Keïta ne sont pas convaincantes et sentent la manipulation à des milliers de kilomètres. Keïta, lui, seul contre tous, a fourni ses « preuves ». Il fallait d’abord vérifier sérieusement si ce sont vraiment des preuves, avant de le sanctionner en faisant de lui l’agneau du sacrifice et du coup intimider tous ceux qui seraient tentés de dénoncer les magouilles qui sont monnaie courante dans l’administration. L’affaire est trop grave pour être balayée d’un revers de main. Qui parmi nous peut poser sa main sur le feu en jurant que des policiers ne sont pas impliqués dans le recyclage de la drogue ? Il nous faut donc exiger qu’on trouve les coupables et qu’on les punisse. Keïta nous en a donné l’occasion. S’il s’avère que lui-même fait partie des coupables, qu’il soit puni. En attendant, je crois que nous devons le soutenir jusqu’à l’éclatement de la vérité, toute la vérité. Le pouvoir exécutif (Macky et ses ministres) ne doit pas s’en mêler et encore moins étouffer l’affaire en sanctionnant Keïta sans fournir des raisons valables.

  2. M. Ngoye thiam votre seule et unique source dans cette affaire c’est la presse,
    Maintenant à moins que vous ne soyez agé de 5 ans, vous savez très bien que la presse n’est absolument pas une source fiable.

    Vous restez dans votre salon et vous attendez que Comissaire Niang démente les accusations à travers la presse, ce qui ne serait vraiment pas malin, vu que le risque de salir tres gravement la réputation du pays.

    Une chose est sure est que yaw kéne guenou la deugeur fiit », tu parle mélné koussi amm louko wor !!

    • Serigne Cheikh, vous apportez de l’eau à mon moulin car je critique une certaine presse. Les journalistes et les policiers sont cités parmi les plus corrompus au Sénégal. Avec des exceptions, bien entendu. Mais pouvez-vous citer un passage de mon texte et dire que « ceci n’est pas vrai », en apportant vos preuves ou arguments? Ou voulez-vous que l’on croise les bras et laisse les autorités faire ce que bon leur semble de cette affaire? Notre Justice, est-elle assez indépendante pour nous permettre cette attitude, quand on sait que nos gouvernants ont déjà donné leur verdict? Ne pouvons-nous pas nous faire notre propre opinion des différentes informations qui nous parviennent, et l’exprimer? J’ai bien peur que si tout le monde se tait et attend, la page sera vite tournée après un semblant de procès.

  3. Vous avez raison de dire que cette affaire doit être éclairci
    Mais en lisant votre texte j’ai l’impression que vous donnez beaucoup de crédit à ce que dit M. Keita, alors que ,comme moi, vous ne voyez qu’une partie du « tableau », et peut être même que cette partie est truffée de mensonges, Dieu seul sait.

    Ce que je peux accepter est que la société civile, les organisations des droits l’homme, le simple citoyen exigent toute la vérité, après enquête.

    Pour l’instant l’enquête n’est pas bouclé(le procureur les a entendu dernièrement), donc moi je ne me ferai d’opinion sur le ou les fautifs que lorsque l’enquête sera fini et les résultats publiés.

    Dois je faire confiance à cette enquête que vous vous qualifiez de bâclé, bin je pense pas avoir d’autres sources plus fiables, vu que comme je l’ai souligné waxi presse bi jaroul dorr sa dom.

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