La tension est à son comble en Egypte avant l’expiration, mercredi 3 juillet à 16 h 30 (14 h 30 au Caire), de l’ultimatum lancé par l’armée à Mohamed Morsi pour « satisfaire les revendications du peuple », sous peine de se voir imposer une « feuille de route » rédigée par les militaires.
Des militaires appuyés par des véhicules blindés ont pris position mercredi aux abords des studios de la télévision publique dans le centre du Caire, selon Reuters. AP affirme que des officiers sont entrés dans le bâtiment et contrôlent les contenus diffusés. Le personnel ne participant pas à des émissions en direct a quitté le bâtiment.
Rencontre entre l’armée, ElBaradei et des chefs religieux
Alors que l’armée a annoncé qu’elle publierait un communiqué à l’heure fatidique, son chef – également ministre de la défense de M. Morsi – Abdel Fattah Al-Sissi, a rencontré le représentant de l’opposition Mohammed ElBaradei, des chefs religieux et des représentants de partis islamistes, dont celui du président Mohamed Morsi. Leurs discussions portent sur la « feuille de route » que l’armée menace d’appliquer.
Etaient également présents au ministère de la défense, le patriarche copte orthodoxe d’Alexandrie Tawadros II et le grand imam Ahmed Al-Tayeb d’Al-Azhar, principale autorité sunnite. Des représentants du parti salafiste Al-Nour et du Parti de la liberté et de la justice, bras politique des Frères musulmans dont est issu M. Morsi, participaient également aux discussions, a poursuivi la source. Des représentants de Tamarrod (« rébellion » en arabe), à l’origine des manifestations monstres contre M. Morsi, étaient aussi présents.
Des éléments de la « feuille de route »
Selon le quotidien gouvernemental Al-Ahram, la nouvelle « feuille de route » militaire inclurait la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale « tenant compte des exigences des différentes composantes du peuple avant d’être soumise à référendum ». Le texte devra être approuvé par Al-Azhar, la plus haute instance religieuse sunnite du pays. Les militaires seraient prêts à suspendre la Constitution, dissoudre le Parlement et confier le pouvoir à un « conseil intérimaire » majoritairement civil en cas d’échec.
Dans le même temps, « un conseil présidentiel de trois membres, dirigé par le président de la Cour suprême constitutionnelle » sera chargé « d’administrer les affaires du pays » pendant « une période transitoire allant de neuf mois à un an ». Et « un gouvernement intérimaire sans appartenance politique » sera formé pour « la période de transition » sous « la direction d’un des chefs de l’armée ».
Pour « Al-Watan », c’est « la fin »
« Aujourd’hui : éviction ou démission », affirmait en « une » le quotidien à grand tirage Al-Ahram, détenu par l’Etat, alors que le pays traverse sa plus grave crise depuis la révolte qui avait chassé Hosni Moubarak début 2011. Le journal officiel ravive les craintes d’un coup d’Etat militaire en écrivant que l’armée avait l’intention de renverser Mohamed Morsi si celui-ci ne parvenait pas à un accord de partage du pouvoir avec l’opposition ou s’il n’avait pas démissionné de lui-même à l’expiration de l’ultimatum. Une source militaire a formellement démenti ces informations.
Al-Watan (indépendant), à l’unisson de nombreux autres journaux, titrait plus laconiquement : « La fin ».
L’armée et Morsi « prêts à mourir » pour leur cause
Les militaires et le président issu de la mouvance islamiste ont chacun de leur côté déclaré être prêts à mourir pour défendre leur cause.
Au pouvoir depuis le 30 juin 2012, Mohamed Morsi a défié l’armée mardi soir dans un discours à la nation, rejetant l’ultimatum et dénonçant une tentative de « coup d’Etat ». « Le prix de la préservation de la légitimité, c’est ma vie », a déclaré le chef de l’Etat, contesté par des millions de manifestants dimanche à travers le pays. Morsi a martelé que la « légitimité » était « la seule garantie contre l’effusion de sang », répondant implicitement à ceux qui estiment que son départ permettrait de résoudre les tensions dans le pays.
Le chef des forces armées lui a répondu sur le même ton en déclarant que les militaires étaient prêts à mourir pour défendre le peuple contre les « terroristes » et les extrémistes. « Le commandant général des forces armées a indiqué qu’il était plus honorable pour nous de mourir que de voir le peuple égyptien terrorisé et menacé », a affirmé une page Facebook associée au Conseil suprême des forces armées dirigé par le général Abdel Fattah Al-Sissi.
L’intérieur répondra à toute violence
Le ministère de l’intérieur a prévenu mercredi qu’il répondrait « fermement » à toute violence dans un communiqué publié deux heures avant l’expiration de l’ultimatum. Alors que les violences, notamment lors de heurts entre pro et anti-Morsi, ont déjà fait 47 morts depuis une semaine, le ministère a affirmé que la police « protégerait » les Egyptiens et s’opposerait à tout acte violent.
Seize morts dans la nuit au Caire
Dans la nuit, seize personnes ont été tuées lorsque des hommes non identifiés ont attaqué un rassemblement de partisans de M. Morsi au Caire, a annoncé le ministère de la santé. Ailleurs au Caire, sept personnes ont été tuées mardi lors de heurts entre partisans et opposants du président islamiste dans le quartier de Guizeh (Sud) qui ont également fait des dizaines de blessés, dont plusieurs grièvement touchés par des tirs, ont rapporté des sources médicales.
Au total, 47 personnes, dont un Américain, ont trouvé la mort dans des violences en marge des manifestations qui secouent le pays depuis une semaine.
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