El Hadji Alioune Diouf dit, dans cet entretien, son Engagement démocratique, nom de son mouvement, pour mettre fin, entre autres, à la fragmentation du paysage politique. Parce que, soutient celui qui veut affronter Thierno Alassane Sall, Malick Mbaye, Rewmi de Idrissa Seck et autres à la mairie de Thiès, Socialiste ou Libéral, ces idéologies ne sont pas les nôtres. Le dernier directeur du Commerce intérieur du régime libéral ne s’explique toujours pas que le pays continue d’importer le riz. Il analyse également le rapport Doing Business qui classe le Sénégal parmi les mauvais élèves.
Rapport Doing Business
Le rapport Doing Business traduit certainement une perception que ceux qui font ce rapport ont de l’économie du Sénégal et des actes posés par les différents gouvernements qui se sont succédé. Il est vrai que cela peut paraître surprenant parce que depuis près de 20 ans le Sénégal a toujours travaillé autour de cette question pour garantir la sécurité de l’investissement, rassurer les investisseurs et présenter le pays sous un meilleur aspect. Mais c’est tout aussi étonnant, au bout de 20 ans, qu’on soit toujours à ce niveau. Alors, on a l’impression que les paroles dévaluent les actes posés. Il faudrait donc remédier à cela et revenir à une politique économique qui fasse la véritable promotion de l’économie. Il faudra également un suivi et une évaluation des politiques publiques. Le classement de ce rapport Doing Business traduit justement cette absence d’évaluation de nos politiques et de nos actions publiques. Parce qu’en réalité, ceux à qui on confie des responsabilités se contentent tout simplement de faire de grandes déclarations d’intention. (…)
Je pense que ce rapport, dans l’ensemble, dit des choses. Moi, quand j’étais directeur du Commerce intérieur, de 2009 à 2012, à deux reprises, j’ai rencontré ceux qui étaient venus pour les enquêtes sur cette question. Mais ce n’est pas évident que le travail soit fait de manière rigoureuse. Quand on entend les directives données de façon régulière par le chef de l’Etat, on se rend compte qu’il y a des choses qui n’ont pas été faites. (…) Le Président a eu une réaction un peu surprenante. Et pourtant cela ne devrait pas surprendre puisque les rapports de la Cour des comptes, de l’Ige ou de la médiature de la République relèvent souvent des manquements et surtout un problème de suivi. Ce sont, entre autres, les questions d’éthique et de déontologie dans la gestion et la transparence. Ce ne sont pas souvent les plus méritants qui gagnent les marchés ou ont l’autorisation de faire des affaires ou d’ouvrir des entreprises. Cela a toujours été un problème et je parle en connaissance de cause. Ce n’est pas seulement avec l’actuel régime ; c’est un problème qui date de longtemps. On a longtemps dit rupture et changement, mais il n’y en a pas eu. Il faut que les gens respectent leur parole. J’ai été étonné qu’on parle d’absentéisme ou de retard au cœur même de l’Etat. Et donc l’investisseur qui vient pour avoir l’information a toutes les difficultés du monde.
«Il faut un ministère de la Promotion économique»
(…) Il faut les reconnaître les manquements et arrêter d’accuser un tel ou tel autre régime. Nous avons besoin d’un ministère de la Promotion économique puisque le ministère de l’Economie, au Sénégal, n’a peut-être pas les moyens. Bien évidemment cela m’étonnerait. Dans tous les cas, il faut une certaine visibilité sur ces questions-là. On ne peut pas voir une agence qui s’occupe des investissements, une structure comme la Stratégie de croissance accélérée (Sca) qui essaie d’attirer les investisseurs et les intéresser dans des secteurs, un ministère de l’Economie et parfois un ministère de la Coopération, etc., et être le dernier de la classe.
«Que l’on soit Libéral ou Socialiste, peu importe»
J’ai commencé à faire de la politique depuis le Prytanée militaire. En classe de seconde, on avait des structures de réflexion sur le Socialisme avec certains camarades qui sont actuellement dans le gouvernement. Etudiants, nous avons milité au Parti socialiste où nous avions occupé d’importantes responsabilités comme membres du comité central, etc. Mais à partir des années 2000, nous avions constaté, au fond, que ce qui intéresse les hommes politiques dans ce pays ce ne sont pas des stratégies politiques collectives pour changer le pays, mais plutôt des gens mus par leurs ambitions personnelles. Comment peut-on expliquer qu’il y ait 247 partis politiques et avec des partis faibles avec très peu de cadres, des lignes politiques pauvres, des partis qui ne se reposent pas sur des forces significatives. Il faut donc mettre fin à cette fragmentation du mouvement politique sénégalais, qui se passe également dans les mouvements syndicaux. C’est une situation qui, si on n’y met pas fin, va compromettre la cohésion sociale et la démocratie. (…)
Notre mouvement va fédérer toutes les forces sociales qui ont l’intention de lutter contre cette fragmentation du mouvement politique pour qu’on aboutisse à 5 partis au maximum dans ce pays. Mais si on veut se développer, il faut qu’on comprenne qu’il n’y a pas de Socialistes, de Libéraux, de Conservateurs, etc., qui tienne. Nous avons besoin de toutes les forces sociales, d’unité d’actions, parce que nos pays ne sont pas développés. Nous avons des Pib très faibles et je ne sais même pas si nos formations politiques sont des capitalistes ou je ne sais quoi. Nous devons créer et augmenter les richesses et faire en sorte que tous travaillent dans de bonnes conditions. Que l’on soit Libéral ou Socialiste, peu importe puisque les Socialistes, à un moment donné, on fait moins de politique sociale que les Libéraux qui ont peut-être parfois fait beaucoup plus de politiques sociales. Donc, ces frontières idéologiques importées d’ailleurs, généralement européennes, sont basées sur des formations sociales très développées, capitalistes, industrielles où les agriculteurs représentent principalement 5%. Alors que chez nous, les agricultures représentent 75% ou 70% de la population. Nous ne pouvons pas nous contenter de calquer des politiques déjà abandonnées ailleurs pour des raisons circonstancielles. Tout est circonstanciel dans ces histoires de politique et c’est en fonction de l’état du pays, de sa population, de ses richesses, du climat social, de son état de développement, etc.
«Les gouvernements qui se sont succédé ont voulu baisser le prix du riz par populisme»
Comment peut-on continuer à importer du riz de l’extérieur alors que depuis Senghor, on a créé des barrages, on a des terres, on a créé la Saed et mis des milliards pour aménager des terres au nord comme au sud, dans l’Anambé ? On importe toujours le riz sans qu’aucune force sociale n’appelle à y mettre fin. C’est le contraire d’ailleurs que les gouvernements font, pas ce gouvernement. Ceux qui se sont succédé ont voulu que le prix du riz baisse par populisme ou pour tromper le Peuple. L’intérêt du Sénégal, c’est de produire du riz et non de l’importer. Aucun pays développé n’importe ce qu’il consomme. C’est ce qui fait que nous n’avons pas de responsables ou en tout cas nous en avons peu. (…)
«Pourquoi je suis candidat à la mairie de Thiès»
Je suis candidat à la mairie de Thiès parce que je suis Thiessois. Et aujourd’hui, il y a véritablement un problème avec ces histoires de chantiers de Thiès, qui sont bloqués, etc. A partir du moment où le maire de Thiès (Ndlr : Idrissa Seck) dit qu’il ne veut plus être maire, on ne l’a pas entendu désigner quelqu’un. On n’a pas non plus entendu des Thiessois dire qu’ils sont au chevet de la ville de Thiès. Pour moi, il n’est pas question qu’on continue à être cette ville frondeuse vis-à-vis de l’Etat du Sénégal. Il y a eu Abdou Diouf qui parlait de «jeunesses malsaines», puis le Président Wade qui, à un moment donné, a tourné le dos à Thiès. Le Président actuel (Macky Sall) n’est peut-être pas d’accord avec l’un des éléments les plus représentatifs de Thiès, le président de Rewmi et maire. Du coup, les Conseils des ministres décentralisés se sont tenus sauf à Thiès. Pas encore en tout cas. On a l’impression que Thiès n’est pas une préoccupation de l’Etat du Sénégal. Il faut mettre fin à cela parce que nous ne pouvons pas, nous Thiessois, continuer d’être victimes d’une querelle qui ne nous concerne pas. Mais je ne développe pas une ambition personnelle. Seulement, pour avoir toujours été sur le terrain politique, je ne peux pas, alors que Thiès a besoin de nouvelles ressources humaines à son chevet, rester indifférent. C’est pourquoi je lance un appel à tous pour une ambition collective au service de la ville. Les gens dont vous parlez (Ndlr : Une question sur Thierno Alassane Sall, Malick Mbaye et autres Apéristes) ont commencé à faire de la politique hier ou avant-hier. Moi je suis là depuis 40 ans. Je suis à Thiès, j’ai été même adjoint au maire en 1997. Tous ceux qui se sont prononcés jusqu’ici n’ont fait que développer des ambitions personnelles. (…)
Ce n’est pas une question de battre Thierno Alassane Sall ou pas. Ce qui m’intéresse – et c’est valable pour Thierno Alassane Sall et tout le monde – c’est le développement des villes. (…) Ce n’est pas parce qu’on est au pouvoir qu’on va gagner les élections. Loin de là parce que quand même nous sommes là depuis très longtemps et bien plus connus. Il y a aussi Rewmi, le Ps, le Pds, etc. La plupart de ceux qui ont déclaré leur candidature sont des jeunes que nous connaissons. Peut-être qu’on les a même formés pour qu’ils deviennent des responsables politiques. Si je voyais un candidat qui peut faire l’affaire, objectivement, je ne serais pas candidat. Je demanderais plutôt qu’on l’appuie.
«Je ne vois pas encore la rupture»
L’année dernière, j’avais pensé que c’était un peu très tôt pour faire le bilan d’un an, puisque le budget n’avait même pas été défini. Mais-là nous sommes à la deuxième année et il faut dire qu’il y a des efforts qui ont été faits. En tout cas, le gouvernement a affiché une ambition par exemple pour une meilleure gouvernance. On a entendu beaucoup de choses dans ce domaine, mais j’avoue qu’il n’y a aucun changement pour ma part. Je ne vois aucune différence entre ce qui se faisait avant et ce qui se fait actuellement. Dans le domaine de la prise en charge des préoccupations des Sénégalais, je ne vois pas encore la rupture parce que je peux parler quand même du commerce, de l’économie, de l’agriculture. Bref, je demande au président de la République d’être à équidistance entre l’Etat et sa famille, entre l’Etat et ses amis et entre l’Etat et son parti.
(Stagiaire)
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